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A Sidi Mohamed Mers Sultan, on achève bien les rites

Un monde où l'irrationnel dame le pion aux thérapeutiques modernes
Des corps en transe, des têtes qui se cognent contre les murs, des cris, des voix surgies de nulle part, du sang qui gicle des corps meurtris de chèvres et de volailles, aussitôt

A Sidi Mohamed Mers Sultan, on achève bien les rites
Nous sommes à "Sidi Mohamed Mers Sultan", célèbre marabout casablancais. Pour les habitués, ces scènes n'ont rien de surprenant ni d'exotique. Il s'agit tout simplement de thérapies ancestrales appelées communément "jedba" ou "hadra", des espèces de transes où le patient se libère avant de s'effondrer et de sombrer dans un coma momentané. Au réveil, il est plus léger et plus serein que jamais. Bienvenue dans un monde où le maraboutisme dame le pion à la psychologie et aux autres thérapies rationnelles.

16h, en plein quartier des hôpitaux à Casablanca. A proximité de deux grands boulevards de la ville (Zerktouni et Abdelmoumen) se trouve la tombe, insoupçonnée, d'un saint homme nommé Sidi Mohamed Mers Sultan. Le lieu sacré passerait inaperçu pour les visiteurs qui en ignorent l'existence si ce n'était la porte ornée de zellige et de tuiles vertes. A part la présence inopportune de quelques mendiants et de "neqqachate" au henné, rien dans cet espace ordinaire, ou presque, n'en présage l'existence.

Cette ruelle placée aux confins de la réalité, est érigée en passerelle entre un monde bien réel et un autre fait de spiritualité et de croyances ancestrales. Ceux qui empruntent ce pont virtuel passent dans un second monde pour fuir le premier, à la recherche de la paix de leurs âmes tourmentées. Sans distinction aucune des classes sociales, le marabout reçoit ses adeptes les bras ouverts.

Une fois le seuil franchi, c'est l'odeur du "fassoukh" (produit qui inhiberait l'action du "s'hour") qui saisit le visiteur, marquant ainsi la rupture avec l'univers extérieur. Dans cet espace qui sent la rénovation à plein nez (Il a été relifté il y a deux ans), tous les sens sont interpellés pour déchiffrer la multitudes de signes qui peuplent les lieux. Bougies, bouteilles d'eau de rose, lait, eau bénite, et autres offrandes en disent long sur la symbolique de cet endroit et son statut dans l'imaginaire des gens. Pour le gérant des lieux, si symbolique il y a, c'est tout simplement celle de la lumière qui jaillit au fond de chacun quand il se retrouve en présence du "wali". C'est ce qui justifie ce commerce de bougies dans le mausolée.

Trônant à l'intérieur d'une grande pièce, la tombe du marabout reçoit des dizaines de visiteurs qui viennent implorer la "baraka" du saint homme en vue d'adoucir leurs peines. Certains s'y rendent spécialement pour accomplir les rites, munis de ce qu'il faut, alors que d'autres entrent tout simplement par curiosité. Pour Fatna, initialement venue consulter à l'hôpital Ibn Rochd, à quelques encablures de là, sa petite visite est un complément thérapeutique. Dans une main, elle tient une enveloppe qui lui a été remise à l'institution sanitaire et dans l'autre, elle tient une bougie.

Elle multiplie les moyens dans un même objectif. "Vous savez, il suffit d'avoir la foi, "niya" et d'y croire. Alors si cela pouvait m'aider à guérir, pourquoi ne pas tenter ma chance ?", affirme-t-elle spontanément.

Cette conviction, on la retrouve chez presque tous les visiteurs qui appliquent aveuglément les rites du marabout. Leur regard en dit long sur leur détresse et leur volonté de s'accrocher au moindre espoir, aussi infime soit-il. Sous la bannière de cet espoir, la "promesse de guérison" les pousse à emprunter toutes les voies avec leur cortège de thérapies et de pratiques, aussi absurdes qu'irrationnelles. C'est qu'ils ne cherchent pas même à en comprendre le fonctionnement. Le cas de Lakbira est édifiant. A force de fréquenter ce lieu, cette femme fait presque partie du paysage.

Divorcée, la cinquantaine, elle trouve sa consolation dans l'atmosphère mystique du mausolée. "Je ne suis pas vraiment malade, mais quand j'ai des problèmes et que je ne me sens pas bien, mes pas me guident vers Sidi Mohamed. C'est le seul endroit où je me sens bien. Avec le temps, mes visites sont devenues des rendez-vous incontournables dans mon emploi du temps.

Et quand je tarde à m'y rendre, c'est le saint homme qui vient me voir dans mes rêves pour me signaler que je dois lui rendre une petite visite", affirme la dame. Et pourtant, Lakbira ne s'adonne à aucun rite. Elle se contente de s'asseoir tranquillement dans un coin et d'observer ce qui se passe autour d'elle. Quand son état de déprime est extrême, elle s'isole dans la "khaloua", (endroit sacré où les malades s'isolent pour se recueillir). Ce manège dure depuis des années.

Autre cas, autre diagnostic. Halima, elle, se dit habitée par un djinn qui lui recommande de visiter les "sadate". Dès qu'elle se trouve face au tombeau, elle se met à éructer et à répéter des formules avec une voix méconnaissable. Selon elle, ce sont les esprits qui l'habitent qui se manifestent. Pour se débarrasser définitivement de la présence non désirée de ces esprits dans son corps, Lamia, 25 ans est venue, en compagnie de son père accomplir le rite du "rchem". Aujourd'hui, elle ne va pas se contenter de se recueillir près de la tombe.

Elle prend son mal à bras le corps et passe aux choses sérieuses.
De rouge habillée, elle se rend directement dans "la khaloua", où elle dépose le paquet de cadeaux qu'elle a apporté en guise d'offrande à moualine lemkane (les esprits qui habitent les lieux). Une fois à l'intérieur, C'est Khalid qui la prend en charge. Ce dernier lui couvre la tête de deux morceaux d'étoffe, un blanc et un noir, qu'elle sort de son sac.

La main sur la tête de la jeune femme, il se met à lire des formules avant de prendre le coq qu'elle a ramenée et de le lui passer par devant, par derrière et sur les côtés de son corps. L'animal est ensuite emmené dans une sorte de basse cour où le jeune homme lui coupe un doigt. Le sang qui en coule est utilisé pour dessiner des signes sur le corps de la patiente…

C'est dire que ces croyances ont encore de beaux jours devant elles. Le marabout a du pain sur la planche. Ce haut lieu de la spiritualité est d'autant plus prisé qu'il est situé à proximité d'un grand hôpital et de différentes institutions médicales. Riches et pauvres y recourent. "L'élite de ce pays le condamne, la religion le combat. Mais rien ne peut l'effacer. Il s'agit de ce qu'il y a de plus profond dans l'homme. C'est le salut de l'être torturé dans un monde absurde.
Le marabout reste le havre de paix pour l'âme qui souffre et que rien n'apaise", explique le docteur Mustapha Akhmisse, spécialiste de la question.
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De la fonction publique à celle spirituelle

Dans son livre " Rites et secrets des marabouts à Casablanca", le docteur Mustapha Akhmisse écrit : " Sidi Mohamed Mers Sultan serait un vizir du temps de Moulay El Hassan. Il s'occupait du " Mers " ou camp militaire de Dar El Beida et était investi d'un grand pouvoir. Mais très vite, il se rendit compte qu'il n'était pas fait pour gouverner.

Il espérait connaître les sciences religieuses. Aussi, il a vendu tout ce qu'il possédait et s'est rendu à Fès pour étudier la théologie.
Très vite, il s'est fait estimer par ses professeurs et bientôt des cours lui furent confiés. Mais il ne tarda pas à quitter la Qaraouiyine pour revenir s'installer là où il est enterré. Il s'intéressa aux pauvres, aux orphelins et utilisa sa fortune à les secourir.
De très loin, les gens qui sont dans le besoin viennent le voir pour lui demander aide et assistance.

Sidi Mohamed Mers Sultan n'était pas connu uniquement pour sa générosité. Il était très estimé pour sa connaissance de l'âme et surtout pour l'intérêt qu'il portait à tous ceux qui avaient des problèmes psychologiques. Il savait écouter et surtout apaiser les âmes tourmentées. Il s'agit d'une réelle prise en charge thérapeutique des malades mentaux ".
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