111VIEW - Jilali El Adnani, professeur d'histoire à l'Université Ibn Zohr à Agadir et spécialiste de la Tijania
LE MATIN : Quelle est la réalité des prétentions algériennes quant aux origines de la confrérie religieuse la Tijania ?
Jilali El Adnani : Le projet algérien est miné par les mensonges. Les Algériens ne cessent de répéter que la zaouïa mère et le tombeau d'Ahmed al-Tijani se trouvent à Ayn-Madi. L'adepte averti sait que la sépulture se trouve à Fès comme le prouvent les archives. Mais les défenseurs de cette stratégie veulent confondre le tombeau du neveu d'Ahmed al-Tijani qui porte le même nom que lui.
Ahmed al-Tijani II (1897), époux de la Française Aurélie Picard (1933), est une invention du caïd Riyyan (1885) qui l'a ramené de Batna où il était berger pour dire aux autorités coloniales qu'il s'agissait du fils de Muhammed al-Sghir (1853), issu d'un mariage avec une esclave. Ce caïd épaulé par les Français l'a placé à la tête de la zaouïa de Ayn-Madi pour contrecarrer celle de Tamasin dans le département de Touggourt.
Les Algériens, qui prétendent que Ayn-Madi constitue la zaouïa mère, sont contredits par les déclarations du fondateur. Ahmed al-Tijani a été chassé de Ayn-Madi et c'est à Abou Semghoun qu'il aura l'ouverture spirituelle en 1781. La fondation de la première zaouïa ne se fera qu'en 1801 à Fès, après l'accueil du fondateur par le sultan Moulay Slimane. D'autres sources, comme la Tuhfat al-Zaïr, citent une lettre de l'émir Abdelkader qui atteste des origines marocaines d'Ahmed al-Tijani.
Comment les adeptes africains continuent-ils à maintenir leurs liens avec Fès ?
Les fidèles de la Tijania en Afrique de l'Ouest constituent une majorité au sein des adeptes de cette confrérie religieuse dans le monde musulman.
Le Sénégal en compte des millions, partagés entre la Tijania Niassène, dont le pèlerinage est à Kaolack, et la Tijania héritière d'El Hajj Malick Sy (1822), avec son pèlerinage de Tivaouane dans le pays wolof. Ces deux obédiences sont liées à la zaouïa de Fès, malgré les divisions qui secouent la Tijania sénégalaise. Après les indépendances africaines, la maison de Tivaouane, avec à sa tête Abdel Aziz Sy Dabakh, est restée très influente.
L'enjeu politique que constitue la Tijania a fait d'elle un élément incontournable dans la politique des présidents sénégalais.
Les intendants des zaouïas de Sidi al-Arbi ben Sayeh à Rabat et ceux de Kénitra, Tiflet ou Khémisset affirment que les années 60 et 70 ont connu le déferlement des pèlerins sénégalais et ouest-africains vers Fès. Aujourd'hui, il n'y a pas de vol Royal Air Maroc ou de Air Sénégal en provenance de Dakar sans pèlerins.
Les grands khalifes africains de la Tijania ont reçu leurs licences (chaîne de transmission spirituelle) des Marocains, tels A. Skirej et Tayyeb al-Suffyani. Qui étaient ces deux personnages ?
Ahmed Skirej (1878-1944) est devenu, après les années 20, la personnalité la plus charismatique de la Tijania. Ce cadi (juge), qui a exercé à Settat, à El Jadida et à Marrakech, a laissé plus d'une centaine d'écrits dont la plupart sur la Tijania. Les agissements des zaouïas algériennes sont relatés dans son livre " Kashf al-Hijâb ".
Il suffit de dire que les Ijazas (licences) données par A. Skirej et Tayyeb al-Suffyani aux khalifes africains dépassent le cadre national. Leur renommée est liée à l'essaimage de la Tijania ouest-africaine au Nigeria, au Soudan, au Niger et au Tchad grâce aux grandes figures de la Tijania sénégalaise, notamment al-Hadj Malick Sy (1822) et surtout al-Hadj Ibrahima Nyass (1975).
C'est ce dernier qui a reçu une chaîne de transmission absolue de la part de cheikh Abdessalam al-Sa'id, moqaddem de la zaouïa de Fès en 1937. La Tijania marocaine s'implantera par le biais d'autres tijanis marocains, notamment Mohamed Raji et Mohamed ben Othman al-Alami, qui habitaient le nord du Nigeria. En même temps, on parlait de l'influence des Marocains Mohamed al-Saqqat, al-Arbi ben Sayeh (1893), al-Hadj Chérif Oujdoud au Darfour.
Vous dites qu'après 1830, la Tijania a coupé les liens avec l'Algérie pour s'orienter vers l'Afrique. Pourquoi a-t-elle pris cette nouvelle direction ?
La Tijania marocaine a eu peu de contacts avec les zaouïas algériennes surtout après la soumission de ces dernières aux autorités coloniales françaises. Leurs chefs avaient du mal à la représenter aux yeux des disciples. Aucun d'eux n'a rédigé un ouvrage, car toute la littérature tijanie est écrite soit par des Marocains, soit des Mauritaniens ou par des Tijanis ouest-africains.
La Tijania a été récupérée par des familles savantes marocaines. La collaboration des zaouïas algériennes (en dehors de celle de Tlemcen) avec les Français n'a pas été appréciée du côté marocain et ouest-africain. Cela explique pourquoi la Tijania a été marginalisée pendant la période postcoloniale par le pouvoir algérien.
La Tijania marocaine s'est orientée vers l'Afrique subsaharienne et même vers le Nigeria et le Darfour dès le début du XIXe siècle. Le fondateur, Ahmed al-Tijani, a affilié un disciple de Chenguit, Mohamed al-Hafed (1830), qui propagea cette confrérie religieuse vers l'Afrique de l'Ouest.
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LE MATIN : Quelle est la réalité des prétentions algériennes quant aux origines de la confrérie religieuse la Tijania ?
Jilali El Adnani : Le projet algérien est miné par les mensonges. Les Algériens ne cessent de répéter que la zaouïa mère et le tombeau d'Ahmed al-Tijani se trouvent à Ayn-Madi. L'adepte averti sait que la sépulture se trouve à Fès comme le prouvent les archives. Mais les défenseurs de cette stratégie veulent confondre le tombeau du neveu d'Ahmed al-Tijani qui porte le même nom que lui.
Ahmed al-Tijani II (1897), époux de la Française Aurélie Picard (1933), est une invention du caïd Riyyan (1885) qui l'a ramené de Batna où il était berger pour dire aux autorités coloniales qu'il s'agissait du fils de Muhammed al-Sghir (1853), issu d'un mariage avec une esclave. Ce caïd épaulé par les Français l'a placé à la tête de la zaouïa de Ayn-Madi pour contrecarrer celle de Tamasin dans le département de Touggourt.
Les Algériens, qui prétendent que Ayn-Madi constitue la zaouïa mère, sont contredits par les déclarations du fondateur. Ahmed al-Tijani a été chassé de Ayn-Madi et c'est à Abou Semghoun qu'il aura l'ouverture spirituelle en 1781. La fondation de la première zaouïa ne se fera qu'en 1801 à Fès, après l'accueil du fondateur par le sultan Moulay Slimane. D'autres sources, comme la Tuhfat al-Zaïr, citent une lettre de l'émir Abdelkader qui atteste des origines marocaines d'Ahmed al-Tijani.
Comment les adeptes africains continuent-ils à maintenir leurs liens avec Fès ?
Les fidèles de la Tijania en Afrique de l'Ouest constituent une majorité au sein des adeptes de cette confrérie religieuse dans le monde musulman.
Le Sénégal en compte des millions, partagés entre la Tijania Niassène, dont le pèlerinage est à Kaolack, et la Tijania héritière d'El Hajj Malick Sy (1822), avec son pèlerinage de Tivaouane dans le pays wolof. Ces deux obédiences sont liées à la zaouïa de Fès, malgré les divisions qui secouent la Tijania sénégalaise. Après les indépendances africaines, la maison de Tivaouane, avec à sa tête Abdel Aziz Sy Dabakh, est restée très influente.
L'enjeu politique que constitue la Tijania a fait d'elle un élément incontournable dans la politique des présidents sénégalais.
Les intendants des zaouïas de Sidi al-Arbi ben Sayeh à Rabat et ceux de Kénitra, Tiflet ou Khémisset affirment que les années 60 et 70 ont connu le déferlement des pèlerins sénégalais et ouest-africains vers Fès. Aujourd'hui, il n'y a pas de vol Royal Air Maroc ou de Air Sénégal en provenance de Dakar sans pèlerins.
Les grands khalifes africains de la Tijania ont reçu leurs licences (chaîne de transmission spirituelle) des Marocains, tels A. Skirej et Tayyeb al-Suffyani. Qui étaient ces deux personnages ?
Ahmed Skirej (1878-1944) est devenu, après les années 20, la personnalité la plus charismatique de la Tijania. Ce cadi (juge), qui a exercé à Settat, à El Jadida et à Marrakech, a laissé plus d'une centaine d'écrits dont la plupart sur la Tijania. Les agissements des zaouïas algériennes sont relatés dans son livre " Kashf al-Hijâb ".
Il suffit de dire que les Ijazas (licences) données par A. Skirej et Tayyeb al-Suffyani aux khalifes africains dépassent le cadre national. Leur renommée est liée à l'essaimage de la Tijania ouest-africaine au Nigeria, au Soudan, au Niger et au Tchad grâce aux grandes figures de la Tijania sénégalaise, notamment al-Hadj Malick Sy (1822) et surtout al-Hadj Ibrahima Nyass (1975).
C'est ce dernier qui a reçu une chaîne de transmission absolue de la part de cheikh Abdessalam al-Sa'id, moqaddem de la zaouïa de Fès en 1937. La Tijania marocaine s'implantera par le biais d'autres tijanis marocains, notamment Mohamed Raji et Mohamed ben Othman al-Alami, qui habitaient le nord du Nigeria. En même temps, on parlait de l'influence des Marocains Mohamed al-Saqqat, al-Arbi ben Sayeh (1893), al-Hadj Chérif Oujdoud au Darfour.
Vous dites qu'après 1830, la Tijania a coupé les liens avec l'Algérie pour s'orienter vers l'Afrique. Pourquoi a-t-elle pris cette nouvelle direction ?
La Tijania marocaine a eu peu de contacts avec les zaouïas algériennes surtout après la soumission de ces dernières aux autorités coloniales françaises. Leurs chefs avaient du mal à la représenter aux yeux des disciples. Aucun d'eux n'a rédigé un ouvrage, car toute la littérature tijanie est écrite soit par des Marocains, soit des Mauritaniens ou par des Tijanis ouest-africains.
La Tijania a été récupérée par des familles savantes marocaines. La collaboration des zaouïas algériennes (en dehors de celle de Tlemcen) avec les Français n'a pas été appréciée du côté marocain et ouest-africain. Cela explique pourquoi la Tijania a été marginalisée pendant la période postcoloniale par le pouvoir algérien.
La Tijania marocaine s'est orientée vers l'Afrique subsaharienne et même vers le Nigeria et le Darfour dès le début du XIXe siècle. Le fondateur, Ahmed al-Tijani, a affilié un disciple de Chenguit, Mohamed al-Hafed (1830), qui propagea cette confrérie religieuse vers l'Afrique de l'Ouest.
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