«Bata» au Maroc, c'est l'histoire d'une entreprise modèle, telle que pensée par ses géniteurs, à travers l'instauration d'une culture d'entreprise citoyenne, proche de ses employés et de leurs soucis. Promise à une phénoménale success-story, la marque tournera fatalement mal, après des décennies marquées par des hauts et des bas, des périodes prospères, d'autres houleuses.
Depuis son introduction au Maroc à la fin des années 20, Bata représentait la seule fabrique de chaussures structurée du marché.
Elle le restera jusqu'à son extinction à la veille du troisième millénaire. Durant plus de quarante ans, l'entreprise installera petit à petit ses bases jusqu'à dominer sans partage le marché national de la chaussure.
Les ingrédients d'une pareille réussite étaient simples, à commencer par le concept de « chaussure du peuple », à un prix à la portée de toutes les bourses, de bonne qualité et dans le vent sur le plan design. Dans les années 70, alors que la marque cartonnait, Bata sera au centre d'une série de grèves en cascade, paralysant la chaîne de production qui commençait à fonctionner de manière discontinue. De nouvelles marques feront leur introduction, au gré de ces dysfonctionnements, dans la chaîne de magasins Bata.
Le chausseur, jusque-là numéro Un du pays, commençait alors à procéder par importation. Cependant, quand le calme revenait, il arrivait à l'entreprise de doubler ses effectifs. En effet, Bata tournait par moment avec plus de 1.200 employés. Mais ces regains d'activités étaient, hélas, éphémères. Bata commencera à se frotter à deux nouveaux phénomènes : la concurrence et l'imitation.
Dans les années 80, l'entreprise fera l'objet d'un premier détournement de fonds, quelque 5 millions de dirhams qui se volatiliseront, entamant par là même le déclin de Bata. D'autres agissements verront le jour, à travers des fuites de tout genres (modèles, matière première, etc.).
Les années 90 seront les années «import » pour Bata, à travers l'introduction de nouvelles marques, histoire de se mettre au diapason de la concurrence.
On commençait alors à voir des prix inhabituels dans les vitrines de la marque. Or, ce revirement éloignait le chausseur de son concept qui avait pourtant très bien marché.
La décadence atteindra son zénith à la fin des années 90, période durant laquelle les employés, ne percevant plus leurs salaires, cesseront toute activité. Le glas venait de sonner pour Bata.
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Quatre années à vivre dans une usine, sans électricité ni eau courante, ça doit laisser des traces. La chose est encore plus compliquée lorsque l'on est père de famille. C'est le cas de Mohamed Akhabir et de ses camarades d'infortune. D'autant plus que ces gens vivent toujours la même situation, en attente d'une délivrance qui tarde à venir, mais dont les prémisses, fort heureusement, commencent à montrer le bout du nez.
Corps chétif, marqué par des années de souffrances physique et morale, de patience, d'expectative et de craintes à toutes les sauces, les yeux hagards, l'oreille attentive et malgré tout un sourire à toute épreuve, toujours au coin des lèvres, comme une sorte de défi lancé au destin dont les foudres se sont abattues sur lui, sept années de cela. Mohamed Akhabir, ex-magasinier dont le salaire était de quelque 4.000 DH, est un cas particulier parmi les quelque 400 ex-employés de la défunte usine "Bata", sise au 228 boulevard Ibnou Tachfine à Casablanca.
Depuis la déconfiture de l'entreprise, il y a près de sept ans, on ne sait plus à quel saint se vouer, notamment quand on n'a aucune ressource et qu'il faut s'acquitter de son loyer, de ses différentes charges et factures. Une poignée d'entre eux a tout simplement décidé de squatter l'usine.
Cette même usine à laquelle ils ont tout donné, et qui a été derrière la précarité qu'ils ont à affronter chaque jour. Avaient-ils d'autres issues ? On en doute fort. A cette époque, la manufacture était en pleine zone de turbulence et, plusieurs mois de labeur sans salaire plus tard, les employés décidèrent de lever le pied et d'arrêter toute activité. De surcroît, un manager nommé à la tête de l'entreprise se serait emparé des allocutions familiales, relatives à une durée de trois mois, de l'ensemble des employés, selon les dires d'Akhabir.
Les protestations n'ayant pas servi à grand-chose, ce dernier, n'ayant plus de quoi subvenir à ses besoins, à ceux de sa femme et de ses trois enfants, décida de passer à l'acte six mois plus tard. «Je n'avais même plus de quoi m'acheter une bougie, alors que l'entreprise me devait de l'argent, j'ai ainsi pris ma femme et mes enfants, quelques affaires et je suis parti m'installer au sein de l'usine. Les délégués syndicaux de l'époque avaient essayé de m'empêcher d'y accéder mais j'ai forcé le passage. C'est une habitation de fortune mais, tout de même, on n'est pas à la rue », raconte Akhabir.
Huit mois plus tard, n'ayant fait l'objet d'aucune des menaces relatives à son expulsion, d'autres employés sont venus s'installer dans les bureaux de la manufacture. Cependant, plusieurs d'entre eux ont dû quitter, lassés de ce mode de vie à la précarité avérée.
Aujourd'hui, ce sont huit anciens "Batatistes" à loger dans les locaux de leur ancienne usine.
Trois d'entre eux sont mariés et ont des enfants (Akhabir en a trois, tout comme Ali, alors que Bouchaïb en a deux, dont une fillette qui a vu le jour au sein de l'usine !), deux autres ex-employés ont été virés par leurs épouses et vivent seuls, tandis que les trois autres sont célibataires.
Mohamed Akhabir dut alors se démerder, tant bien que mal, pour assurer le pain quotidien à sa petite famille. Il procédera donc par vendre des cigarettes au détail, louer ses services de coursier au personnel des entreprises avoisinantes, travailler à la casse, faire dans la ferraille au niveau d'autres usines mises en faillite, etc.
Mais cela était loin de couvrir tous les besoins de sa petite famille. En effet, avec une épouse sans emploi, en plus de deux garçons âgés respectivement de 17 et 14 ans et une fillette de 12 ans, tous scolarisés, Akhabir peine à honorer toutes ses charges. Depuis six mois environ, il travaille comme gardien de voitures devant une agence bancaire du coin.
Son revenu quotidien se situe entre 20 et 50 dirhams. « Si ce n'était les voisins bienfaiteurs, ainsi que mon frère, qui m'aident à surmonter le coût de la vie, je ne sais pas ce que nous serions devenus », souligne-t-il.
«Aujourd'hui, les choses vont beaucoup mieux, car auparavant, il nous arrivait de ne pas avoir de quoi manger, c'était du thé "nu" pour les trois repas de la journée, et il m'arrivait d'aller à la pâtisserie du coin demander un pain qu'on se partageait tous ensemble… Maintenant je peux me permettre de ramener 250g de poulet, de temps à autre, pour faire un bon repas. Pour ce qui en est de la viande rouge, on en mange une fois par an, à l'occasion de l'Aïd Al-Adha, lorsque les voisins se cotisent pour nous offrir un mouton… », poursuit amèrement Mohamed Akhabir.
Mais dans toute cette histoire, il y a pire. Depuis près de quatre années, toute cette communauté vit dans les locaux de l'usine sans électricité, ni eau courante. Tous les jours, ils frappent aux portes des habitants du quartier pour s'approvisionner en eau, remplir un ou deux bidons qui serviront à se laver, à faire la vaisselle, le linge et pour la toilette matinale.
Aujourd'hui, on n'espère qu'une seule chose : que la liquidation judiciaire de l'entreprise arrive à terme et que ces anciens salariés touchent leurs indemnités pour, enfin, aspirer à une vie décente, à travers l'acquisition d'un logement digne de ce nom, première priorité dans la liste des espérances de Mohamed Akhabir.
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Plusieurs propositions, dont certaines fort intéressantes, auraient été faites.
Le Tribunal de commerce, qui œuvre d'arrache-pied pour résoudre ce litige qui n'a que trop duré, serait en phase de classer cette affaire une bonne fois pour toutes. Une expertise réalisée auparavant a fixé le prix de vente du terrain (19.858 m2) à 99,290 MDH, celui des machines à 4 MDH, le magasin des matières premières a, quant à lui, été estimé à 1,2 MDH, tandis que le magasin de chaussures a été évalué à 1 million de dirhams, soit un total de près de 11 milliards de centimes.
Dans un premier temps, la mise à prix n'aurait même pas été honorée, à travers des propositions atteignant à peine les 55 millions de dirhams. Chose qui avait suscité beaucoup d'inquiétude au sein des ex-employés de Bata, car la société est redevable, avant tout autre chose, aux impôts et aux banques. Craintes qui se sont vite évaporées, au gré d'une proposition beaucoup plus alléchante.
Pourvu que ça aboutisse, afin de mettre un terme au calvaire des 380 anciens employés de l'ex-chausseur n°1 du pays.
Depuis son introduction au Maroc à la fin des années 20, Bata représentait la seule fabrique de chaussures structurée du marché.
Elle le restera jusqu'à son extinction à la veille du troisième millénaire. Durant plus de quarante ans, l'entreprise installera petit à petit ses bases jusqu'à dominer sans partage le marché national de la chaussure.
Les ingrédients d'une pareille réussite étaient simples, à commencer par le concept de « chaussure du peuple », à un prix à la portée de toutes les bourses, de bonne qualité et dans le vent sur le plan design. Dans les années 70, alors que la marque cartonnait, Bata sera au centre d'une série de grèves en cascade, paralysant la chaîne de production qui commençait à fonctionner de manière discontinue. De nouvelles marques feront leur introduction, au gré de ces dysfonctionnements, dans la chaîne de magasins Bata.
Le chausseur, jusque-là numéro Un du pays, commençait alors à procéder par importation. Cependant, quand le calme revenait, il arrivait à l'entreprise de doubler ses effectifs. En effet, Bata tournait par moment avec plus de 1.200 employés. Mais ces regains d'activités étaient, hélas, éphémères. Bata commencera à se frotter à deux nouveaux phénomènes : la concurrence et l'imitation.
Dans les années 80, l'entreprise fera l'objet d'un premier détournement de fonds, quelque 5 millions de dirhams qui se volatiliseront, entamant par là même le déclin de Bata. D'autres agissements verront le jour, à travers des fuites de tout genres (modèles, matière première, etc.).
Les années 90 seront les années «import » pour Bata, à travers l'introduction de nouvelles marques, histoire de se mettre au diapason de la concurrence.
On commençait alors à voir des prix inhabituels dans les vitrines de la marque. Or, ce revirement éloignait le chausseur de son concept qui avait pourtant très bien marché.
La décadence atteindra son zénith à la fin des années 90, période durant laquelle les employés, ne percevant plus leurs salaires, cesseront toute activité. Le glas venait de sonner pour Bata.
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Mohamed Akhabir, un de ceux qui font de la résistance...
Quatre années à vivre dans une usine, sans électricité ni eau courante, ça doit laisser des traces. La chose est encore plus compliquée lorsque l'on est père de famille. C'est le cas de Mohamed Akhabir et de ses camarades d'infortune. D'autant plus que ces gens vivent toujours la même situation, en attente d'une délivrance qui tarde à venir, mais dont les prémisses, fort heureusement, commencent à montrer le bout du nez.
Corps chétif, marqué par des années de souffrances physique et morale, de patience, d'expectative et de craintes à toutes les sauces, les yeux hagards, l'oreille attentive et malgré tout un sourire à toute épreuve, toujours au coin des lèvres, comme une sorte de défi lancé au destin dont les foudres se sont abattues sur lui, sept années de cela. Mohamed Akhabir, ex-magasinier dont le salaire était de quelque 4.000 DH, est un cas particulier parmi les quelque 400 ex-employés de la défunte usine "Bata", sise au 228 boulevard Ibnou Tachfine à Casablanca.
Depuis la déconfiture de l'entreprise, il y a près de sept ans, on ne sait plus à quel saint se vouer, notamment quand on n'a aucune ressource et qu'il faut s'acquitter de son loyer, de ses différentes charges et factures. Une poignée d'entre eux a tout simplement décidé de squatter l'usine.
Cette même usine à laquelle ils ont tout donné, et qui a été derrière la précarité qu'ils ont à affronter chaque jour. Avaient-ils d'autres issues ? On en doute fort. A cette époque, la manufacture était en pleine zone de turbulence et, plusieurs mois de labeur sans salaire plus tard, les employés décidèrent de lever le pied et d'arrêter toute activité. De surcroît, un manager nommé à la tête de l'entreprise se serait emparé des allocutions familiales, relatives à une durée de trois mois, de l'ensemble des employés, selon les dires d'Akhabir.
Les protestations n'ayant pas servi à grand-chose, ce dernier, n'ayant plus de quoi subvenir à ses besoins, à ceux de sa femme et de ses trois enfants, décida de passer à l'acte six mois plus tard. «Je n'avais même plus de quoi m'acheter une bougie, alors que l'entreprise me devait de l'argent, j'ai ainsi pris ma femme et mes enfants, quelques affaires et je suis parti m'installer au sein de l'usine. Les délégués syndicaux de l'époque avaient essayé de m'empêcher d'y accéder mais j'ai forcé le passage. C'est une habitation de fortune mais, tout de même, on n'est pas à la rue », raconte Akhabir.
Huit mois plus tard, n'ayant fait l'objet d'aucune des menaces relatives à son expulsion, d'autres employés sont venus s'installer dans les bureaux de la manufacture. Cependant, plusieurs d'entre eux ont dû quitter, lassés de ce mode de vie à la précarité avérée.
Aujourd'hui, ce sont huit anciens "Batatistes" à loger dans les locaux de leur ancienne usine.
Trois d'entre eux sont mariés et ont des enfants (Akhabir en a trois, tout comme Ali, alors que Bouchaïb en a deux, dont une fillette qui a vu le jour au sein de l'usine !), deux autres ex-employés ont été virés par leurs épouses et vivent seuls, tandis que les trois autres sont célibataires.
Mohamed Akhabir dut alors se démerder, tant bien que mal, pour assurer le pain quotidien à sa petite famille. Il procédera donc par vendre des cigarettes au détail, louer ses services de coursier au personnel des entreprises avoisinantes, travailler à la casse, faire dans la ferraille au niveau d'autres usines mises en faillite, etc.
Mais cela était loin de couvrir tous les besoins de sa petite famille. En effet, avec une épouse sans emploi, en plus de deux garçons âgés respectivement de 17 et 14 ans et une fillette de 12 ans, tous scolarisés, Akhabir peine à honorer toutes ses charges. Depuis six mois environ, il travaille comme gardien de voitures devant une agence bancaire du coin.
Son revenu quotidien se situe entre 20 et 50 dirhams. « Si ce n'était les voisins bienfaiteurs, ainsi que mon frère, qui m'aident à surmonter le coût de la vie, je ne sais pas ce que nous serions devenus », souligne-t-il.
«Aujourd'hui, les choses vont beaucoup mieux, car auparavant, il nous arrivait de ne pas avoir de quoi manger, c'était du thé "nu" pour les trois repas de la journée, et il m'arrivait d'aller à la pâtisserie du coin demander un pain qu'on se partageait tous ensemble… Maintenant je peux me permettre de ramener 250g de poulet, de temps à autre, pour faire un bon repas. Pour ce qui en est de la viande rouge, on en mange une fois par an, à l'occasion de l'Aïd Al-Adha, lorsque les voisins se cotisent pour nous offrir un mouton… », poursuit amèrement Mohamed Akhabir.
Mais dans toute cette histoire, il y a pire. Depuis près de quatre années, toute cette communauté vit dans les locaux de l'usine sans électricité, ni eau courante. Tous les jours, ils frappent aux portes des habitants du quartier pour s'approvisionner en eau, remplir un ou deux bidons qui serviront à se laver, à faire la vaisselle, le linge et pour la toilette matinale.
Aujourd'hui, on n'espère qu'une seule chose : que la liquidation judiciaire de l'entreprise arrive à terme et que ces anciens salariés touchent leurs indemnités pour, enfin, aspirer à une vie décente, à travers l'acquisition d'un logement digne de ce nom, première priorité dans la liste des espérances de Mohamed Akhabir.
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Le calme après la tempête ?
Mohamed, Ali, Bouchaïb, Lahcen et les autres font preuve d'un optimisme sans précédant depuis mercredi dernier (16 janvier). Et pour cause. Le bout du tunnel se profile, semble-t-il, à l'horizon. Leur point commun : tous des ex-employés de l'usine de confection de chaussures "Bata". Ce mercredi là, la liquidation judiciaire de la manufacture en question a amorcé un nouveau tournant, à travers une première vente aux enchères.Plusieurs propositions, dont certaines fort intéressantes, auraient été faites.
Le Tribunal de commerce, qui œuvre d'arrache-pied pour résoudre ce litige qui n'a que trop duré, serait en phase de classer cette affaire une bonne fois pour toutes. Une expertise réalisée auparavant a fixé le prix de vente du terrain (19.858 m2) à 99,290 MDH, celui des machines à 4 MDH, le magasin des matières premières a, quant à lui, été estimé à 1,2 MDH, tandis que le magasin de chaussures a été évalué à 1 million de dirhams, soit un total de près de 11 milliards de centimes.
Dans un premier temps, la mise à prix n'aurait même pas été honorée, à travers des propositions atteignant à peine les 55 millions de dirhams. Chose qui avait suscité beaucoup d'inquiétude au sein des ex-employés de Bata, car la société est redevable, avant tout autre chose, aux impôts et aux banques. Craintes qui se sont vite évaporées, au gré d'une proposition beaucoup plus alléchante.
Pourvu que ça aboutisse, afin de mettre un terme au calvaire des 380 anciens employés de l'ex-chausseur n°1 du pays.
