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Des élèves vivant un quotidien hors du commun

Drogues et délinquance au Collège Ibn Bassam

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Drogue, hachisch, cigarettes, violence. C'est le quotidien de nombreux élèves du collège Ibn Bassam, situé sur la route de Casablanca à Rabat. Ici, les élèves évoquent leurs "mauvaises habitudes" sans complexe et sans hésitation. "Oui, je me drogue depuis cinq ans et j'ai déjà essayé tous les types de drogue à savoir "karkoubi", "maajoun" et haschisch, en plus de l'alcool et de la cigarette.

D'ailleurs, je ne suis pas le seul, presque la moitié des élèves de cet établissement s'adonnent à la drogue, même les filles, tellement c'est accessible", s'exclame Mohamed, étudiant en troisième année secondaire. Agé à peine de 18 ans, ce jeune, devenu dépendant des psychotropes, connaît très bien leurs lieux de vente. "Les drogues se vendent partout à la porte du collège, dans mon quartier et même devant la maison. Chez nous, c'est presque normal de se droguer", confie Mohamed.

Aîné de deux frères, cet élève réside au douar "El Garâa", l'un des quartiers populaires de Rabat où habitent la plupart des collégiens d'Ibn Bassam. Pour se procurer l'argent nécessaire à l'achat des drogues (en moyenne 100 DH par jour), ce jeune n'hésite pas à travailler comme porteur au marché de gros de Rabat, où il se rend dès les premières heures de l'aube. "Quand on devient dépendant de la drogue, on est prêt à tout faire pour s'en procurer, ne serait-ce qu'un petit morceau", reconnaît Youssef, l'un des camarades de Mohamed. En effet, la drogue n'est plus un sujet tabou dans de cet établissement.

Le directeur du collège, El Houssine Mazouz, reconnaît lui-même qu'il conserve toujours dans l'un des tiroirs de son bureau trois armes blanches confisquées à des jeunes en état de toxicomanie. Lesdits élèves ont même utilisé ces couteaux pour menacer des enseignants. "Nous nous sentons menacés par les élèves, car ils ne répondent plus de leur actes quand ils sont drogués.

Je me rappelle encore d'un élève qui n'a pas hésité à utiliser un grand couteau comme règle lors des examens de fin d'année pour effrayer l'un de mes collègues qui a empêché ce dernier de tricher durant les épreuves", raconte un professeur qui a préféré garder l'anonymat de crainte d'une vengeance de ces élèves. Inconscients des risques d'overdose, les collégiens prennent le risque et augmentent à chaque fois la dose. "Je prenais deux comprimés de Valium mais mon corps s'y est habitué et par conséquent je sentais le besoin d'en prendre encore plus.

Je sais que le Valium est dangereux. Il peut être rejeté par le corps et en cas d'overdose, il peut entraîner la mort", explique Othman, âgé à peine de 16 ans. Ce jeune dit avoir arrêté de se droguer depuis qu'il a été agressé par un collègue sous l'effet de psychotropes. Othman a passé huit jours dans les services des soins intensifs. Aujourd'hui, il se considère comme chanceux, mais il garde toujours une grande cicatrice sur l'abdomen, souvenir de ce malheureux incident.

Si ce jeune s'en est sorti avec relativement peu de dégâts, ce n'est pas le cas pour "Fatima" (pseudonyme, par respect pour la défunte), une élève du même collège qui a trouvé la mort à cause d'un surdosage. "Ce malheureux accident s'est produit au mois de décembre de l'année dernière. D'ailleurs, tous les élèves sont au courant. Fatima est morte parce que son corps n'a pas supporté la grande quantité de drogue qu'elle avait consommée pour la première fois", nous confie une élève du collège Ibn Bassam. Des propos appuyés par l'un des professeurs, qui a refusé également qu'on révèle son identité.

En effet, la plupart des élèves, adeptes de psychotropes, expliquent ce comportement par des problèmes familiaux et le manque de moyens matériels pour s'épanouir, mais aussi à cause de l'absence d'activités culturelles au sein du collège.

"Il faut le reconnaître, le collège n'arrive pas à mettre en place des clubs parascolaires, par insuffisance de budget. Cela fait deux ans que je me bats pour créer une petite bibliothèque et je n'arrive toujours pas à concrétiser ce projet, vu la rareté des fonds. Le ministère refuse de financer ce genre d'activités. Il nous suggère de solliciter l'aide des partenariats privés. Mais aucun organisme n'accepte de construire un bâtiment pour abriter les activités parascolaires. Les partenaires privés ne sont pas prêts à financer que les activités et non la construction", s'exclame le directeur.

Ce responsable nous informe même que l'administration était sans local jusqu'à ce que l'association des parents d'élèves ait accepté de financer la construction de deux pièces servant actuellement de local à la direction du collège.

En l'absence donc d'espaces culturels au sein de l'établissement, certains élèves passent leur temps libre devant la porte du collège.
C'est là qu'ils apprennent le plus souvent à consommer de la drogue. D'autres sèchent les cours pour se droguer au sein même de l'établissement, selon les déclarations des élèves eux-mêmes.

Ils pofitent ainsi de la grande étendue de l'établissement (17 hectares) et de l'existence de bosquets sauvages où ils se cachent. "Nous essayons d'encadrer les élèves, mais nous sommes souvent dépassés. Comment peut-on demander à 35 cadres de surveiller 800 élèves sur une superficie de 17 hectares ? C'est pratiquement impossible", renchérit le directeur.

Les filles, quant à elles, profitent de leur temps libre pour aller à la plage avec leurs copains.
"D'ailleurs plusieurs d'entre elles ont été violées là-bas et l'une d'entre elles s'est suicidée après avoir découvert qu'elle était enceinte", nous confie Mohamed.

REPÈRES
Les types de drogues consommées
par les élèves

> Le karkoubi : se compose de quatre types:
> Le Rosina : un comprimé blanc qui coûte de15 à 20 DH.
> Le Valium, surnommé "traitement", "2012", "El Hamra" ou encore "Rivo". Un comprimé rouge, qui coûte de 10 à 15 DH. Il est considéré comme le plus puissant psychotrope de ce groupe
> La Goada, surnommée "Zerga", un comprimé bleu dont le prix varie entre 8 et 10 DH.
> Tamista, qui coûte 8 DH l'unité.
> Le maâjoune : pâte de couleur marron composée de mauvais haschisch surnommé "Hartouka" fondu et mêlé ensuite à la farine et à du kif, vendu au prix de 5 DH la portion.
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Qui est responsable ?

"Le ministère de l'Education nationale n'est pas responsable des élèves en état de dépendance aux drogues. La seule solution qu'il peut offrir à ces derniers est de les orienter vers des structures sanitaires pour être pris en charge". C'est avec ces propos que Wafaa Ben Zawiya, la chef de service au département de la santé scolaire, a expliqué l'absence d'une intervention directe du ministère pour lutter contre la drogue au sein des établissements scolaires.

Selon la même responsable, ce n'est pas au ministère qu'incombe la responsabilité de lutter contre les mauvaises pratiques au sein des établissements, mais aux académies devenues autonomes. "Le ministère adopte une politique de prévention contre la drogue à travers des campagnes de sensibilisation et d'information organisées au sein des établissements, mais c'est aux académies qu'il incombe de créer des clubs pédagogiques et des activités parascolaires selon les besoins" explique-t-elle. "Quant à la lutte contre la drogue, cette dernière reste l'affaire de tout le monde.

Elle ne doit pas se faire seulement par le ministère, mais également par l'Entraide nationale et le secrétariat d'Etat chargé de la jeunesse à travers la création de maisons de jeunes", ajoute-t-elle.
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