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«Notre agriculture repose sur deux postulats : l'investissement et l'agrégation»

Interview: Aziz Akhannouch, ministre de l'Agriculture et de la Pêche maritime

«Notre agriculture repose sur deux postulats : l'investissement et l'agrégation»
Le Matin Forum : Actualité oblige, quel bilan faites-vous de la troisième édition du Salon international de l'agriculture de Meknès ?

Aziz Akhannouch :
C'est un bilan positif parce que, d'abord, c'est un succès professionnel dans la mesure où un grand nombre de professionnels ont visité ce salon. Réussite professionnelle parce que les exposants y ont mis non seulement les moyens, mais beaucoup de c?ur. Des stands de très haut niveau et une organisation aux standards européens. L'ensemble des opérateurs a fourni un effort extraordinaire.
C'est également un succès populaire, en atteste le nombre important de visiteurs qui y ont accouru. Plus de 700.000 visiteurs, en fait. Je pense que nous avons atteint nos objectifs. Nous avons facilité le contact entre les opérateurs du secteur. Il y a eu échange, affaires et commerce. Le ministère a déployé, pour sa part, un effort considérable, les services extérieurs des directions régionales ont mobilisé, encadré et facilité le déplacement des agriculteurs et des opérateurs de différentes régions et leur ont permis de profiter de cette grande manifestation. Cela leur a donné l'occasion de connaître les nouvelles techniques et les machines et palper les technologies du transfert dont ils peuvent bénéficier. Et ce, notamment, par le biais des visites qu'ils ont pu effectuer dans certaines fermes et pépinières de la région de Meknès.
Bref, c'est une très belle opération marketing pour l'agriculture. Et, il ne faut pas l'oublier, l'agriculture c'est aussi 30 millions de consommateurs. Le salon est une passerelle très importante pour les agriculteurs et pour nous, au ministère, pour faire valoir les produits agricoles.

Il y a quelque décennies, l'on parlait de souveraineté agricole, puis d'autosuffisance agricole. Aujourd'hui, on parle de sécurité alimentaire. Où est-ce qu'on en est actuellement concernant ces concepts ?

Aujourd'hui, le thème mobilisateur, la priorité de tous les gouvernements, est celui lié à l'agriculture.
Pour le Maroc, le thème n'est pas récent, cela fait des années que les gouvernements se penchent sur ce secteur très important aussi bien pour l'économie nationale que pour une grande partie de la population. Un secteur qui concerne également des millions de consommateurs. Actuellement dans le monde, les deux thèmes reviennent en force notamment dans les pays émergents, sont l'Afrique et l'agriculture. Nous nous retrouvons, donc, au centre de ce débat mondial.
En outre, je pense que le Maroc a toujours été un pays agricole. Le Maroc dispose à la fois d'une agriculture très diversifiée qui marche très bien et qui répond aux standards internationaux et d'un autre côtéqui connaît ses problèmes qui touchent particulièrement les petits agriculteurs et qui sont dus généralement au morcellement. Ce qui veut dire qu'il faut que nous fassions bien ce que nous savons faire, porter une attention particulière à ce que nous pouvons exporter et s'il faut importer des produits de l'agriculture, nous le ferons. Je citerai, en ce sens, le cas du riz. Nous avons été obligés de décréter des droits de douane pour cette denrée alors que nous sommes liés par les accords de libre échange d'Agadir à un des pays exportateur qu'est l'Egypte. Bref, c'est un secteur qui n'a donc pas d'avenir et il faut reconvertir toute cette population qui s'y adonne dans d'autres activités.
Aussi, notre plan prévoit-il à l'horizon 2020, en fonction de la pluviométrie, à augmenter la consommation moyenne des céréales qui est aujourd'hui de 250 kg/habitant pour la porter à une moyenne de 270kg et en tablant sur une population de 36 millions. Nous prévoyons une production qui va couvrir 60% et 80% des besoins de la population.
Ce qui, je pense, est important pour assurer une culture d'échange. Car la satisfaction à 100% des besoins n'est pas une excellente chose, cela ne crée pas non plus les conditions d'une émulation. Nous nous retrouverons alors face à une économie fermée alors que nous la voulons, et nous en avons la possibilité, celle d'échange.

La volonté de réforme ne date pas d'aujourd'hui, il y a eu des réflexions et des études qui ont été initiées par vos prédécesseurs. Qu'est-ce que votre étude apporte de nouveaux et comment garantir sa réussite ?

Certes, nous avons eu, le long de ces dernières années, le temps de faire le diagnostic et de choisir l'angle de la réflexion. De ces différentes études l'on peut retenir une recommandation importante qui veut que l'on fasse sortir le monde rural de la pauvreté. Pour cela, il faut que nous nous intéressions à l'agriculture. Mais les autres résultats et recommandations ne précisent pas comment procéder. Nous ne partons pas du néant, l'étude que nous avons faite tient, en effet, compte de l'ensemble de ces réflexions, études et stratégies qui ont déjà été menées auparavant. Cette étude que nous avons élaborée a, donc, mis à plat tout ce qui a été fait auparavant. Et nous avons choisi d'élaborer une stratégie pragmatique. Je pense que c'est là que réside la différence. C'est une stratégie pragmatique orientée vers le terrain et qui définit les actions à mener, chiffre l'investissement nécessaire pour les conduire à terme, la valeur ajoutée qu'elles vont permettre d'apporter et le nombre d'emplois à créer selon les filières, les bassins et les régions. C'est là la particularité de cette étude.

Le Maroc est qualifié comme pays agricole.
Malgré cela, nous importons un grand nombre de produits agricoles, céréales, viande, lait ... Dernièrement, il a été question de reconvertir les surfaces céréalières en arboriculture, alors que la politique d'avant visait plutôt une autosuffisance en céréales. Qu'en pensez-vous ?


Avant de vous répondre, j'aimerais apporter une précision. Nous n'importons pas de viandes, ni de lait. Les céréales, c'est selon les années. Pour cette année par exemple, la récolte a été de 50 millions de quintaux, ce qui représente 70% de nos besoins.
Pour revenir à votre question, je pense que l'avenir de l'agriculture est dans son ouverture. Nous nous sommes inscrits dans l'économie d'échange. Nous ne pouvons pas faire autrement, nous n'avons pas le choix et ce n'est pas un tabou. Et si nous arrivons à mieux « driver » notre agriculture de telle manière à produire et exporter des produits à haute valeur ajoutée, donc un maximum de recettes pour le pays, et importer des produits à faible valeur ajoutée, ce serait une belle équation. Nous pensons qu'il n'y a pas d'exclusion de filières. Elles méritent toutes notre attention. Nous avons besoin de fruits et légumes, de produits maraîchers, d'agrumes, de sucre, de lait de viande, de céréales… Le problème est que nous consacrons une surface démesurée aux céréales pour produire de petites quantités. Retranchons donc un million d'hectares de ces 5 millions consacrés aux céréales et reconvertissons les dans d'autres filières. Et pour ce faire, il n'y a pas uniquement l'arboriculture qui puisse servir d'alternative, il y'a d'autres cultures à forte valeur ajoutée. Pour les quatre millions d'hectares restants, améliorons la productivité et cherchons un meilleur rendement. Ce qui, somme toute, est possible. Donc, pas d'exclusions, toutes les filières se valent et sont à prendre. Il y'en a certainement quelque unes auxquelles il faut accorder davantage d'attention parce qu'elles créent une forte valeur ajoutée et donc des revenus substantiels pour les agriculteurs. Croyez moi, ce qui nous anime dans cette démarche de cette nouvelle stratégie c'est justement ce qui va rentrer dans la poche de l'agriculteur. Toute la stratégie est tissée autour de cette finalité. Nous voulons que cet agriculteur, au lieu d'être une source de pauvreté sur laquelle nous devons agir à coup de programmes à ne plus en finir, qu'il se prenne en charge et qu'il passe à des choses plus sérieuses, qu'il change son mode de gouvernance et qu'il aille vers d'autres cultures. Qu'on lui donne de l'eau et des subventions ciblées qui répondent à nos objectifs et organisons pour lui des marchés, il engrangera certainement de meilleures recettes. Et c'est cela qui va créer des richesses dans le monde rural.

Est-ce que l'on s'achemine, donc, vers une réorganisation et une restructuration du secteur et par conséquent, du monde rural ?

Tel est le cœur même de notre stratégie. La moyenne nationale de la superficie des exploitations agricoles est de moins de deux hectares. Et puisque 75% des surfaces agricoles sont réservées aux céréales, cette moyenne de deux hectares produit entre 2.000 et 4.000 DH de richesse pour les agriculteurs. Ce qui revient à un revenu moyen de 300 DH par mois. Comment vous voulez qu'une famille qui a une exploitation de deux hectares puisse vivre de ses produits? C'est le cœur du problème. Prenons un autre exemple, la tomate pour ne citer que celui-là. Un hectare de tomates produit 320.000 DH de recettes. Cela nécessite certes d'énormes investissements au point que cette activité nécessite des exploitations de plusieurs hectares pour être rentable. En conséquence, faute de ces investissements, nous cultivons des céréales par défaut.
Je ne veux surtout pas que l'on comprenne par cela que nous sommes en train de nous désengager des céréales. C'est tout le contraire. Nous voulons maintenir cette culture mais dans des conditions d'exploitation et avec un rendement meilleurs. Cela en adoptant la mécanisation, utilisant des meilleurs intrants et surtout en encourageant l'émergence de vrais opérateurs. Grâce à cela, nous arriverons aux chiffres des 60% à 80% cités plus haut. Nous ne sommes donc pas contre les céréales. Mais ceux qui pratiquent cette culture par défaut, parce qu'il n'ont pas trouvé mieux ou n'ont pas été bien conseillés, parce qu'ils n'ont pas les moyens ou les banques ne s'intéressent pas à eux, pour cette catégorie d'agriculteurs, nous essayons de trouver des solutions. Or nous avons constaté que pour nous attaquer aux questions de titrisation ou de remembrement, il nous faut beaucoup de temps, une vingtaine d'années, car les procédures sont très longues. Nous avons, donc, pensé à l'agrégation. C'est dire organiser l'agriculture autour d'un vecteur porteur. Les agriculteurs du Souss, ceux actifs dans les agrumes, se sont organisés, par exemple, d'abord autour de stations de conditionnement ensuite autour de la logistique, en affrétant des bateaux pour exporter vers la Russie, notamment, ou autour des avions qu'ils affrètent également. L'exemple du secteur laitier est également édifiant en ce sens, si l'on prend l'exemple de la Copag, dans cette même région du Souss, c'est une coopérative qui regroupe et surtout encadre 14.000 éleveurs. Grâce à cela, tous les agriculteurs de cette région ont vu augmenter leurs revenus. Le cas de la Cosumar est également à prendre en exemple pour les cultures sucrières. Derrière cette société, s'activent 80.000 agriculteurs. Cette concentration du secteur s'est donc révélée une opportunité. Dans ce secteur, notre objectif est de gagner 15 points en matière de production pour réduire le recours à l'importation du sucre non raffiné.
Ce sont des modèles d'agrégation qui ont marché. C'est également le cas des fraises, à Larache. Les opérateurs espagnols ont organisé le marché de l'export aussi bien vers l'UE que vers le marché britannique et ont pu agréger des milliers d'agriculteurs. C'est une activité devenue florissante.
Nous, nous avons besoin de deux choses. De l'agrégation pour contourner la problématique du foncier et de l'investissement. Cela parce que la sortie des céréales vers d'autres cultures a un coût. Il faut investir pour cela. Nous avons établi ces calcules précis, en ce sens, et pour chaque filière. En gros, nous avons besoin de 10 MMDH par an d'investissements du secteur privé qui doit être accompagné par celui public.

Est-ce que, comme cela a été fait pour le tourisme, l'on peut envisager, après que les filières aient accompli leur restructuration, que des investisseurs et « capital-risqueurs » puissent s'orienter vers l'agriculture, tout en sachant qu'il y'aura un retour sur investissement ?

Pour pouvoir répondre à votre question, j'aimerais d'abord expliquer cette stratégie des piliers. Car nous avons deux piliers, l'un basé sur la haute valeur ajoutée et la productivité et l'autre solidaire. Le premier est destiné aux agriculteurs en quête de haute valeur ajoutée, des opérateurs qui vont aller vers les fruits et légumes, les maraîchers, les huiles, mais également aussi la haute productivité à l'intérieur de ce même pilier dans le secteur du lait, des viandes rouges et de l'aviculture. Concernant le deuxième pilier, c'est un pilier solidaire imaginé pour traquer la pauvreté. Il concerne l'agriculture de montagne, le bour défavorable,… Sur cette partie d'agriculture, il est très difficile de mobiliser les gros agriculteurs. Le petit fellah, lui, peut se retrouver dans les deux piliers. Quand il est dans une situation favorable, il va être intégré à la dynamique du premier pilier, quand il est sur le deuxième, c'est à dire dans une zone très difficile, où il n'a pas assez de moyens, …, il va falloir lui trouver des solutions. C'est pour cela que nous avons pensé à ce pilier solidaire pour lequel nous pouvons chercher des financements. Pour cela, nous avons calqué le modèle du MCA, qui consiste en, notamment, aider à la reconversion. C'est à dire que tout ceux qui veulent passer des céréales à l'olivier, on leur finance cette reconversion, on leur finance également le manque à gagner sur la période allant de la culture aux premières récoles. Période qui peut durer jusqu'à quatre années. Le MCA leur verse donc un salaire minimum pendant ces quatre années. Ce modèle du MCA, nous pouvons le reproduire, nous somme en train d'essayer de trouver appui auprès du Fonds Hassan II. Rien n'est encore officiel, mais les discussions ont déjà été engagées. D'autres organismes internationaux comme la Fondation Gate et l'UE, peuvent être sollicités pour cet effet. Il y a aujourd'hui un grand nombre de fonds internationaux qui ont un caractère social et que nous pouvons solliciter. Aujourd'hui au ministère de l'Agriculture, nous disposons déjà d'une enveloppe de 350 millions de dollars, qui relèvent du fonds du MCA pour l'agriculture. Si nous arrivons à lever 1,5 MM dollars dans les huit années à venir, je pense que cela va résoudre énormément de problèmes pour les petits agriculteurs. Et nous pensons que c'est possible. Ceci, à partir du moment où il y a un modèle qui marche qui est le MCA, où l'on peut compter sur l'engagement du Fonds Hassan II, à partir du moment où nous avons une visibilité et une stratégie, que nous pouvons disposer des aides pour aller arracher la pauvreté à sa racine.

Votre programme est basé sur l'investissement et l'irrigation. Or, au Maroc, 80% des agriculteurs sont pauvres et ne peuvent pas accéder aux moyens d'irrigation. Qu'allez-vous faire pour cette tranche de la population ?

L'Etat marocain finance à peu près 60% des coûts de l'irrigation localisée. Notre objectif inscrit dans ce programme est d'atteindre 550.000 hectares. C'est un programme ambitieux qui a besoin des ressources, bien sur de l'Etat marocain, parce que c'est une priorité. D'ailleurs ces 550.000 ha que ce programme d'irrigation localisée va toucher, vont nous permettre de faire des économies. Des économies par rapport à tout l'appel qui va se faire pour, justement, subvenir aux besoins de cette agriculture qui va se développer et qui va être axée aussi bien sur le marché de l'exportation que sur le marché national. Nous pensons que cela est possible à partir du moment où l'Etat peut apporter 60% du financement, qu'il s'engage à faciliter les procédures d'octroi de ces prêts et subventions ( il est très difficile de les obtenir, cela prenait une année à deux dans le passé, aujourd'hui un mois), que si l'on intègre le fait que cet agriculteur devient bancable parce qu'il a un projet, c'est-à-dire qu'il va aller vers des cultures à haute valeur ajoutée, va commencer à avoir des recettes et qu'il peut être soutenu par des agrégateurs que l'on va organiser avec la mise en place de tout un système juridique. Les agrégateurs vont commencer à venir avec des banquiers et ces derniers vont jouer leur rôle. Pour sa part, l'Etat va essayer d'injecter chaque année, 70.000 ha pour les investisseurs nouveaux, nous allons clore l'opération SODEA-SOGETA dans ses deux phases. Bien plus, il faudrait qu'on fasse une telle opération une fois tous les ans parce que nous avons l'objectif de tripler la production du lait, de multiplier par 2,5 la production des agrumes, ... Bref nous nous fixons des objectifs à chaque fois pour chaque filière. Et ce, pour atteindre les objectifs globaux que nous avons fixés. Or pour pouvoir s'engager dans l'agriculture, ces investisseurs que nous aurons sensibilisés, ont donc besoin de foncier. Ce sont les détenteurs de ces 70.000 ha qui vont jouer le rôle des agrégateurs. C'est-à-dire que quand un investisseur prend 500 ou 1.000 ha, il va essayer d'agréger autour de lui 2.000 autres ha. Il va proposer plusieurs offres de préfinancement, de commercialisation ou il va ramener les banques dans son panier et proposer aux agriculteurs dont les terres sont restées inexploitées ou sous exploitées, un financement pour installer le goutte à goutte, des intrants et lui fixer une prix de vente des produits, cela avec un contrat d'achat exclusif. Donc, il y'aura des formules et il ne faut plus voir seulement dans l'esprit des subventions, bien que celles-ci soient un élément très important.

Or, au Maroc les subventions sont de l'ordre de 5% du PIB agricole. Ailleurs, dans l'UE elles sont de 33%, en Egypte, elles sont à 18%. Au Maroc, le taux est très faible. Il va donc falloir améliorer les encouragements de l'agriculture en termes de subventions. Mais ce n'est pas tout. Et si l'on arrive, justement, à mettre ces idées en œuvre, l'agriculture va rayonner sur le Maroc. La pratique est aujourd'hui, telle qu'il faut donner au fellah des subventions pour couvrir son déficit et honorer ses dettes. Nous, nous voulons lui donner des ressources, c'est-à-dire des subventions pour avoir plus de revenus dans l'avenir et donc sortir de cet aspect politique vers un aspect pragmatique où l'agriculteur est un homme d'affaires qui gagne sa vie.

Nous avons jusqu'à maintenant parlé de production, est-ce que vous comptez entamer une réflexion sur le volet «transformation et commercialisation» ? Il est actuellement de plus en plus question d'agropoles régionaux, est-ce que cette initiative peut s'avérer porteuse ?

C'est un volet très important de l'agriculture, qui touche à la fois la distribution et la transformation. Aujourd'hui en Espagne, pour un euro de valeur ajoutée agricole l'on tire trois euros de valeur ajoutée de produits transformés. Chez nous, pour trois DH de valeur ajoutée agricole pure, nous ne tirons qu'un DH de valeur ajoutée de produit transformé. Nous sommes presque à un ratio de 1 à 3 par rapport à l'Espagne. Nous ne transformons donc pas assez. Cela, parce que nous n'avons jamais abordé l'agriculture de bout en bout. C'est un ensemble, parce que pour pouvoir transformer, il faut avoir de la matière première en amont et organiser le marché. L'agriculture est également une question d'offre qu'il faudrait améliorer. Le problème de l'agriculture aujourd'hui n'est pas celui de la demande, mais une question d'offre. Les marchés existent et nous pouvons exporter les quantités que nous voulons. Si l'on arrive à produire, dès maintenant, trois ou quatre fois ce que nous produisons en fruits et légumes, nous pourrons facilement les exporter. C'est donc un problème d'offre auquel il faut s'attaquer dès à présent. C'est pour cela que nous nous donnons ces moyens pour augmenter la production et améliorer la valeur ajoutée de l'agriculture. Cela, pour pouvoir, notamment, satisfaire un marché marocain de 30 millions de consommateurs dans de très bonnes conditions, ce qui n'est pas le cas aujourd'hui. La distribution souffre encore, alors qu'elle pourrait être également une locomotive de modernisation du secteur agricole parce qu'elle peut conditionner le transfert et tout le process de valeur ajoutée de l'agriculture. On peut donc écouler sur le marché national, exporter une partie de la production et en réserver une autre pour la transformation. Aujourd'hui, ce que nous réservons à la transformation est très minime. Cette activité représente à peine 5 MMDH de chiffre d'affaires et emploie près de 90.000 personnes. Ce n'est pas assez et je pense que nous pouvons multiplier ces chiffres par trois ou quatre. C'est bien d'avoir des zones comme l'agropole de Meknès, mais il faut aussi produire en quantités suffisantes. Donc c'est un ensemble. Nous allons continuer à développer les agropoles à travers le Maroc, nous avons des projets en le domaine dans la région de l'Oriental, du Souss, à Beni Mellal et dans le Gharb à Kénitra. Nous avons également besoin de matières premières, des produits bien calibrés, bien dimensionnés avec une corrélation entre l'amont et l'aval pour que nous puissions avoir des usines dont le rendement est élevé. Cela est d'une importance capitale. La distribution si elle est mieux structurée, si elle est mieux organisée, elle pourra révolutionner, également, l'amont. Et je prends le cas des abattoirs dont le mode de gestion est régi par la charte communale. Une situation dans laquelle la décision relève d'abord de la municipalité et de la commune. Ce qui a eu pour conséquence qu'aujourd'hui nous avons des tueries à coté de ces abattoirs et la part de ces derniers dans le marché des viandes est minime comparée au secteur informel. Il va donc falloir laisser la liberté aux agriculteurs pour qu'on puisse capter le maximum de valeur ajoutée dans la campagne. Et nous allons le faire progressivement et avec douceur. Pour ce qui est de ce secteur des viandes rouges, nous avons une stratégie, que nous allons mettre en ?uvre en partenariat avec le ministère de l'Intérieur de manière à ce que les recettes des communes ne baissent pas mais, au contraire, qu'elles puissent évoluer et en même temps nous libèrerons les énergies notamment celles des agriculteurs afin qu'ils arrivent à produire et à augmenter leur valeur ajoutée dans la chaîne des valeurs.

La stratégie que vous avez présentée n'intéressera que l'agriculteur-homme d'affaires alors que le petit agriculteur ne pourra pas se retrouver dans ce programme. Dans certaines régions, le fellah attend toujours la farine subventionnée, ce qui est un paradoxe. Alors, qu'est-ce que ce programme apporte à ce petit agriculteur ?

Ce que vous dites conforte les résultats de l'audit et le diagnostic que nous avons réalisés. Quand j'ai dit plus haut qu'une exploitation de 2 hectares de céréales produits entre 2.000 et 4.000 DH par an, c'est la pauvreté même. Résultat : le petit agriculteur connaît aujourd'hui des difficultés, il est endetté. Il va falloir l'aider et c'est pour cela qu'il est au coeur de notre stratégie. Il va sans dire que nous ne pouvons pas continuer notre chemin et prétendre à une réforme de l'agriculture en le laissant sur les bords. Nous avons besoin de lui parce que ce qui est souvent le plus difficile c'est de ne pas trouver des opérateurs et le levier avec qui travailler pour monter une stratégie. S'il fait des cultures qui ne sont pas très intéressantes, nous allons l'aider à en faire d'autres, l'amande, l'huile d'olive entre autres, bref des activités qui rapportent. Ce programme vise, en second lieu, d'augmenter la productivité. S'il est par exemple dans les céréales, nous allons l'aider pour qu'il double sa productivité. En troisième lieu, quand il ne peut faire ni l'un ni l'autre, et quand il a la possibilité de s'orienter, par exemple, vers des produits de terroir qui ont, soit dit en passant, une valeur ajoutée extraordinaire, il faut que nous l'aidions. Quand il est à Taliouine, une région où il n'y a que le safran, pourquoi se limiter à la quantité actuelle ? Pourquoi ne pas organiser cette activité ? Pourquoi ne pas leur permettre de mieux valoriser leur récolte quand nous savons qu'un kilogramme de safran se vend à Taliouine à 25.000 DH et à 250.000 DH à l'étranger, alors que toute la valeur ajoutée est captée de l'autre côté ? Tel est notre rôle, celui d'aider cet agriculteur à mieux gagner sa vie.
Les autres agriculteurs, quand ils sont dans le Gharb et qu'ils sont sur un terrain favorable, mais ne savent pas quelle culture pratiquer, nous pouvons les mettre en contact avec des opérateurs capables de les aider à transformer leur agriculture et quadrupler leurs revenus. Je pense que l'agriculteur est un homme doté de bon sens, il ne cherche qu'à gagner sa vie, aller de l'avant et rembourser ses dettes.

Quels sont les outils et les ressources humaines d'accompagnement de cette stratégie ? Et puis pour lui donner plus de cohérence, vous avez évoqué des plans régionaux et des contrats programmes. Quels sont ces plans et quelles régions seront concernées?

Notre objectif est d'abord de faire en sorte que l'agriculture soit au centre de notre économie. Parce que les erreurs nous les avons déjà faites dans le passé. Nous nous sommes dit que le PIB agricole pèse trop lourd sur l'économie et l'on s'est dit qu'il fallait écraser l'agriculture. Comment écraser une agriculture qui occupe 50% de la population ? Comment faire évoluer et faire avancer un pays dont la moitié de sa population ne produit pas ? Dans 15 ou 20 ans, avec une population de 20% ou 30% qui vit de l'agriculture, cela deviendrait peut-être possible. Nous, nous pensons, au contraire, que l'agriculture doit être au centre de l'économie et que ces 15 à 20% de PIB doivent être renforcés. Elle doit générer de la valeur ajoutée et pourquoi pas passer à des chiffres plus importants. Et c'est une chance pour le Maroc, car c'est un levier très important. Cela, parce que si l'on décide d'agir demain, nous pourrons avoir des résultats dans les trois ans à venir. Il y a des réformes à engager, nous avons également besoin d'outils. Et pour ce qui est de ces outils, nous allons demander à ce qu'il se crée une commission interministérielle pour suivre le déroulement de cette stratégie de manière à impliquer l'ensemble du gouvernement dans un secteur aussi capital que celui de l'agriculture. D'un autre coté, la création d'une agence de développement agricole est des plus urgents. C'est une agence qui aura d'abord un rôle d'intermédiation. Tout investisseur porteur d'un projet et ayant besoin de tant d'hectares pour produire et exporter et si cette superficie se révèle insuffisante et qu'il veut agréger autour de lui autant d'hectares ou plus, cette agence doit être en mesure de satisfaire ses besoins. Son rôle sera de trouver ce foncier, de trouver ces agriculteurs candidats à l'agrégation et de mettre les deux parties en contact. Et c'est l'agence qui va préparer les contrats nécessaires, parce qu'il est, justement, question de contrats juridiques assez ficelés. Ce sera un vaste champ juridique auquel il va falloir s'attaquer et qui pourrait aller jusqu'à la création des tribunaux agricoles, similaires aux tribunaux prud'homme. Cela, parce que cet agrégateur peut avoir un jour, des différends avec l'agriculteur et donc il va falloir trouver des solutions rapides sans avoir a recourir aux juridictions ordinaires. De même, l'agence va apporter des solutions, elle va conseiller aussi bien le petit agriculteur que l'agrégateur, elle va être le «programme office» pour le suivi de la mise en œuvre de cette stratégie et elle sera, en partie, la banque d'affaires de l'agriculteur.

Et dans ce process, que deviennent les Chambres d'agriculture ?

Pour les Chambres de l'agriculture, nous avons un projet que nous sommes en train de discuter au niveau du gouvernement avec le ministère de l'Intérieur notamment. Il consiste en la refonte de l'organisation des chambres. Nous en avons 37 actuellement, elles n'ont pas de moyens, elle n'ont pas de rôle et donc pas de résultat. Notre objectif est d'essayer de les regrouper pour n'être plus que 16 autour des régions. Nous voulons les intégrer au programme régional et nous allons doter le président de la Chambre de leadership. Ce sera une personnalité de la ville qui aura son poids et sera choisie. Elle va mettre au point sa politique régionale, va faire office de relais pour la stratégie au niveau national. A l'instar des régions auxquelles le ministère de l'Intérieur apporte le soutien administratif, nous, au ministère de l'Agriculture, nous voulons faire de même et donner en appui à ces chambres les Centres de travaux, CT qui disposent de compétences matérielles et humaines intéressantes. Parmi les autres outils d'action, nous voulons engager des investissements pour la mise à niveau et la résorption du décalage entre l'amont et l'aval des barrages. Quelque 100.000 hectares sont concernés par ces problèmes des barrages qui ont été conçus pour des projets d'irrigation qui n'ont pas été réalisés. Nous allons encourager, à chaque fois que cela est possible, la participation public-privé, dans ce genre d'opérations au niveau notamment des ORMVA. Et même dans le conseil. Si l'on peut rendre possible la participation public-privé dans le conseil et la vulgarisation agricole, nous le ferons. Ce sont des chantiers importants.

Quand nous parlons agriculture, nous parlons d'une main-d'œuvre importante. Y a-t-il, en vue, une loi ou des mesures pour organiser le travail dans le secteur agricole ?

Pour la problématique de l'emploi, le gouvernement dans le cadre des négociations du dialogue social, a proposé une augmentation du SMAG. C'est une bonne chose, d'autant plus qu'il va introduire également la notion des allocations familiales. Ce sont des ressources complémentaires pour les agriculteurs et un gain important. Par ailleurs, je pense franchement que c'est un chantier très important qu'il va falloir entamer incessamment. Il faut, à un moment donné, rééquilibrer cette équation entre les agriculteurs, les propriétaires et les employés parce que, d'un côté, la loi telle qu'elle est aujourd'hui, n'est pas applicable pour l'agriculture qui a besoin de souplesse. Un entrepreneur agricole ne doit pas être obligé d'engager 700 personnes en permanence quand il n'aura besoin de ce nombre que pendant un mois.
D'un autre côté, il est vrai qu'il n'y a pas assez de garde-fous pour protéger des employés. Il va falloir, donc, revoir cette équation pour que les employeurs puissent donner un peu plus de garanties, un peu plus de souplesse, un peu plus de soutien dans le transport et le logement. Nous ne pouvons pas, non plus, exiger qu'il y ait application pure et simple de la loi telle qu'elle est aujourd'hui. Parce que l'agriculture a une spécificité et il y a des équilibres à retrouver entre les parties concernées, syndicats et employeurs.

Dans cet élan réformateur, est-ce que vous envisagez un nouveau programme de réformes des terres agricoles.

Non, il n'y a pas de projet, en ce sens, actuellement. Les projets que nous avons, sont ceux que nous avons mis sur table et qui rentrent dans le cadre du Plan Maroc Vert.

Certaines des terres de la Sodea et Sogeta ont été cédées par leurs concessionnaires, pour être urbanisées ; cette tendance si elle s'accentuait ne freinerait-elle pas votre plan ?

C'est un point important. Ce sera un grand défi dans les années à venir. Notre ennemi aujourd'hui, dans l'agriculture, c'est l'extension de l'urbanisme. Or, les meilleures terres sont, souvent, celles limitrophes des centres urbains. Nous sommes devant un paradoxe. D'un côté, nous voulons 70.000 ha supplémentaires par an pour l'extension des superficies agricoles. Et de l'autre côté, on nous demande, à chaque fois, des terrains supplémentaires pour les besoins de l'urbanisme. Il va falloir donc trouver des équilibres. Nous ne sommes pas contre le développement de l'urbanisme, parce qu'il y a des besoins pressants de la population qu'il faut satisfaire en la matière, mais cela doit s'inscrire dans un cadre harmonieux de développement durable. Nous devons, donc, procéder aux arbitrages qu'il faut. Dans tous les cas, moi je serai dans mon rôle lors du mandat que j'exercerai à la tête de ce ministère qui consiste à protéger les terrains agricoles.

Vous dites que notre ennemi, c'est l'extension de l'urbanisation et nombreux sont ceux qui pensent que c'est la libéralisation à outrance. Est-ce que vous avez fait des simulations pour connaître l'impact de cette libéralisation et des ALE sur les filières, notamment céréalières ?

La filière céréalière est protégée et nous gardons un contrôle sur elle. Dans les accords que nous avons avec l'Union européenne, elle se trouve sur la liste négative. Nous n'avons pas de problème de ce côté. Pour ce qui est des Américains, la filière s'inscrit dans le long et même dans le très long terme. Il n'y a pas de contrainte majeure par rapport à ce sujet. Il y'a par contre un point important que je voudrais aborder. C'est celui concernant les négociations en cours avec l'UE et pour lesquelles nous avons fixé des deadlines. Dans les relations que nous avons avec l'UE, nous sommes un peu déçus parce que les produits phares sur lesquels le Maroc a des chances de réussir et qu'il peut développer et exporter, comme la tomate, les fruits et légumes, les fraises ont été mis sur la liste négative. C'est-à-dire interdiction d'importation sauf dans le cadre des quotas. Et cela, ce n'est pas tolérable. Une telle pratique est inacceptable pour une Union européenne qui doit booster le Maroc, qui doit le tirer vers le haut. Les Européens doivent nous donner notre chance pour que nous puissions écouler nos produits dans les meilleures conditions. Aujourd'hui, même sur le plan responsabilité éthique, ce n'est pas non plus acceptable. Et c'est un point sur lequel nous allons nous pencher et travailler à l'avenir parce que la négociation avec l'Union européenne doit correspondre et être en phase avec la stratégie du Maroc Vert. Nous avons des priorités sur certains produits. Pour les agrumes, nous avons signé, il y a peu, un accord selon lequel les opérateurs s'engagent à multiplier par 2,5 leur production. Où est-ce que nous allons écouler cette production si l'Union européenne nous met sur la liste négative et se contente de nous promettre de relever le niveau des quotas ?

Il y a d'autres marchés, notamment la Russie, pourquoi est-ce que nous restons toujours la chasse gardée de l'Union européenne ?

Je vais vous étonner. Vous savez qu'en produits agricoles, le Maroc ne remplit globalement que 60% des quotas fixés par l'Union européenne ? Certes, il y a certains produits sur lesquels nous avons atteint les 100%, mais en moyenne, nous ne sommes qu'à 60%. Ce qui veut dire que nous avons encore une marge. En produits transformés, nous ne sommes qu'à 28%. Et ce n'est pas suffisant. Je pense qu'il y a d'abord un problème d'étique. C'est-à-dire comment on permet de freiner un pays qui a une volonté d'aller de l'avant et on lui met tout ce qu'il a de mieux comme produits sur la liste négative ? Nous ne jouons pas sur le même ring. Ils ont leurs règles et nous, les nôtres.
C'est vrai qu'il y a d'autres marchés, c'est vrai que les gens ont innové, c'est vrai que les agriculteurs ont conquis des marchés comme celui du Canada ou de la Russie et ils sont en train de regarder vers d'autres beaucoup plus intéressants et sur certaines filières. Ils travaillent au niveau mondial. Ils arrivent, par exemple, à nouer des alliances avec des opérateurs de l'Afrique du Sud pour combler les besoins d'un client européen en fonction de la saisonnalité. Nous sommes vraiment dans une économie mondiale et les Marocains y sont de plain-pied. Mais il faut que nous ayons la possibilité d'avoir le maximum d'opportunités d'accès au marché européen. Car, il ne faut pas oublier que d'autres pays sont en train de se réveiller. L'Egypte nous concurrence avec un programme sérieux, une disponibilité de l'eau et de gros opérateurs dans l'agriculture. Il va sans dire qu'il est normal que ce pays qui a un grand marché en face, veuille le conquérir. Pour nous, l'Europe est un marché historique pour l'accès duquel nous avons des conditions logistiques extraordinaires. En effet, il faut seulement 7h de trajet pour aller d'Agadir en Espagne. Les fraises qui partent du Loukkous sont à deux heures de l'Espagne. C'est à peine imaginable. Nous sommes pratiquement dedans. Ce serait dommage que nous tournions le dos à un marché qui nous concerne aussi fortement.

Le marché des céréales étant ce qu'il est au niveau mondial, est-ce que nous allons vers une autosuffisance ? Et, c'est une question plutôt politique, vers un élargissement vers le Maghreb ? L'agriculture peut-elle être un facteur d'intégration de cette sous-région ?

Toutes les grandes ouvertures et les grands rassemblements des régions ne peuvent être que favorables pour une économie et encore plus à une agriculture. Mais avant, je voudrais souligner que l'ouverture et la libéralisation est une excellente perspective pour l'export. Toutefois, il faudrait que l'on regarde également vers le marché national. Le laisser fermé pour une longue durée et sans aucune visibilité n'est pas indiqué parce qu'il s'agit de 30 millions de consommateurs.
Si l'on prend l'exemple de la viande rouge, au même rapport qualité/prix, nous la payons deux fois plus cher que si nous l'importions. Et cela, parce que le marché est fermé. Et l'on ne peut pas l'ouvrir parce qu'il y a des intérêts en jeu, parce qu'il assure un nombre important d'emplois, il faut qu'il y'ait, à un moment donné, une certaine visibilité et il faut que les professionnels de l'agriculture s'organisent. D'ailleurs, ils ont commencé à le faire. Ils sont arrivés à signer des accords. Donc pour revenir à la libéralisation, oui, pour les exportateurs, elle est fondamentale. Aujourd'hui, nous devons nous inscrire dans une économie d'échange claire et nous ne devons pas nous priver des atouts que nous avons pour pouvoir attaquer un marché donné. Pour les importations, cela est très sensible, mais il ne faut pas que notre marché intérieur soit complètement fermé. Il faut que les agriculteurs se préparent à cette ouverture même dans un horizon lointain. Et il faut que le consommateur puisse en bénéficier.

Est-ce que la crise actuelle, au niveau mondial, ne risque-t-elle pas de s'accentuer et nous toucher sérieusement ?

Il est certain que les changements climatiques font planer beaucoup d'incertitudes sur l'agriculture au niveau mondial. Il ne faut pas, non plus, oublier qu'il y a énormément de spéculation. Tous ces prix qui augmentent, c'est en gros à cause de la spéculation au niveau international. Nous sommes étonnés, nous sommes partis avec des prix très élevés des céréales, le blé tendre notamment et, depuis un mois nous constatons une baisse incroyable des prix. Et la baisse continue, aujourd'hui si nous importons de France nous payons le blé à 240 DH/ql alors que nous avions décidé, parce que les prix étaient alors très élevés, de le payer à l'agriculteur à 300 DH. Nous avons donc donné une surprime par rapport à l'agriculteur français de 60 DH parce que l'agriculteur sort d'une année de sécheresse. Nous avons fait le nécessaire, maintenant tout ce que nous pouvons dire c'est qu'il faut que nous ayons un minimum de sécurité alimentaire. Ce sont les 60 à 80% des besoins en céréales que nous visons à l'horizon 2020. Nous voulons également tripler la production du lait au Maroc à l'horizon 2020. Nous avons des ambitions pour l'agriculture, pour l'export et la transformation. Certes nous ne pouvons pas nous lancer dans toutes les cultures et à chaque fois que nous constaterons que l'une n'est pas viable, nous ferons recours à l'importation. Ce n'est pas un problème. Nous sommes dans une culture d'échange dans laquelle nous allons vendre ce que nous avons de mieux et ce que nous n'avons pas, nous allons l'importer. J'insiste sur le fait que s'il n'y avait pas cet accord avec l'Union européenne, s'il n'y avait pas de visibilité dans 10 ans ou 15 ans, s'il n'y avait pas cette perspective d'ouverture des frontières les industriels, les producteurs ne se mettraient jamais à niveau. Il n'y aurait pas, non plus, d'émulation et c'est le consommateur qui paie parce qu'il n'y aura pas de qualité en définitive.

L'eau d'irrigation pose un problème aujourd'hui, les nappes dans la région de Souss commencent à s'épuiser. Est-ce que vous pensez à des solutions de rechange à une agriculture irriguée ou au dessalement de l'eau de mer ?

Souss est une région d'agriculture par excellence. Malheureusement, la région qui est leader dans l'exportation, 60% à 70% des exportations dans certaines filières, connaît une surexploitation de l'eau. Et la problématique s'installe. Toutefois, nous avons fait des efforts au niveau de la région. Nous nous sommes d'abord dit que si l'on augmente la tarification de l'eau, cela va dissuader les agriculteurs de la gaspiller et en consommer moins en installant des systèmes de goutte à goutte. Souss est une région où il y a le plus d'efforts pour ancrer cette technique de goutte à goutte dans les mœurs. C'est une région où il y a également un contrat de nappe. C'est-à-dire que les utilisateurs de l'eau et l'autorité se réunissent pour prendre la décision concernant l'ensemble de la nappe. Nous avons décidé à un moment donné de ne plus ouvrir de terrain pour l'agriculture sans une concertation au préalable entre tous les intervenants. Nous sommes, donc, dans cette perspective de valoriser l'eau et nous avons même mis en place une police d'eau. Dans le Souss, est mise aujourd'hui en pratique une politique sévère pour le contrôle de l'eau. Mais, ce n'est pas suffisant. Je pense qu'Agadir et sa région a besoin du dessalement de l'eau de mer dans le futur et il faudrait que l'Etat marocain accélère les procédures dans ce sens. Bien plus, même avec le dessalement, il y a certaines cultures qui ne pourraient plus s'en sortir.

Pour aborder la question de la restructuration de votre ministère, notamment la promotion des ressources humaines, la nouvelle organisation administrative, …, comment vous envisagez ce volet de votre action ?

Il est vrai que tout ce programme qu'est le Plan vert a besoin d'être soutenu pas un socle qui est d'abord l'administration qui devrait envisager sa mission différemment à l'avenir. Je pense, j'en ai parlé plus haut, que nous avons besoin d'une agence de développement agricole pour soutenir ce projet et avoir plus de souplesse dans sa gestion.

Est-ce qu'il y a un projet dans les tiroirs ?

Nous allons le préparer, nous allons d'abord mettre au point les idées et le concept et, ensuite, nous allons nous attaquer au projet au sein du gouvernement.
Je pense que l'Etat et le ministère doivent revenir un peu à leurs fonctions régaliennes qui sont celles de la réglementation. Et à chaque fois que cela est possible nous allons essayer de nouer des partenariats avec le secteur privé pour aller plus vite. C'est une possibilité à envisager à chaque fois que cela sera utile. Toutefois, nous allons garder notre prérogative de mission publique. Aujourd'hui, nous avons déjà entamé des missions d'outsoursing avec des vétérinaires, par exemple. Nous traitons avec des vétérinaires agréés par le ministère pour des missions ponctuelles. Nous faisons de même pour la vulgarisation, l'information et l'échange.

Un dernier mot…

Ce forum est un espace de débat intéressant pour échanger les points de vue, je vous en félicite. Je pense que cette stratégie, si elle a eu l'impact qui a été le sien cette semaine, c'est surtout parce qu'elle a été portée par Sa Majesté le Roi. La décision de tenir des assises émane également de Sa Majesté parce qu'il veut que l'on s'engage dans un processus de débat et de discussion, mais également de rendez-vous annuel pour « challenger » les résultats. S.M. nous inspire également pour beaucoup de projets et l'agriculture est, d'abord, un domaine qui intéresse la moitié de la population et au sujet duquel nous ne pouvons pas rester passifs. Et j'espère que dans les discussions que nous allons avoir au sein du gouvernement, nous aurons, en tous les cas sur le plan financier, les moyens pour pouvoir mener à bien cette mission.
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