Menu
Search
Jeudi 25 Décembre 2025
S'abonner
close
Jeudi 25 Décembre 2025
Menu
Search

Interview : Tarik Sijilmassi, président du directoire du Crédit Agricole du Maroc

L'affaire des deux traders débauchés du CAM par la filiale du Crédit agricole France n'a provoqué, selon Tarik Sijilmassi, «aucun préjudice».

Interview : Tarik Sijilmassi, président du directoire du Crédit Agricole du Maroc
Tarik Sijilmassi, président du directoire du Crédit Agricole du Maroc
Le Matin : L'affaire du trader C.A est-elle une autre affaire Jérôme Kerviel de la Société générale ?

Tarik Sijilmassi :
Non pas du tout et pour de multiples raisons : il n'y a pas de risque pour notre établissement et c'est moi, personnellement, qui ai demandé un audit après avoir envoyé nos équipes d'inspection à la salle des marchés suite à la démission de deux de nos cadres.
Quand vous avez toute l'équipe dorsale d'un centre de fonctionnement d'une banque qui part en bloc à la concurrence, vous êtes en droit de vous poser des questions.

Quelle est précisément la genèse de cette affaire ?

Après l'affaire du logo qui avait fait couler beaucoup d'encre, nous avions trouvé avec le groupe Crédit Agricole SA un gentleman's-agreement par lequel on renforçait nos liens qui n'étaient pas organiques mais philosophiques. Les deux banques, si elles sont différentes de taille, ont la même philosophie : le Crédit agricole français était une banque du rural qui a grandi et qui est devenue universelle et une des principales au monde.

De son côté, le Crédit agricole du Maroc est une banque du rural qui grandit dans l'espace marocain au point de devenir l'une des principales au Maroc. Toutes proportions gardées, nous avons eu le même cheminement. Nous avons en plus rencontré d'excellentes dispositions auprès des dirigeants du Crédit agricole français qui ont déployé leur logo, là où ils sont représentés, y compris au Maroc où existe déjà un Crédit agricole. De notre côté, nous défendons notre marque parce que nous ne sommes pas ailleurs qu'au Maroc.

Nous sommes tombés d'accord en disant qu'ils pouvaient déployer leur logo mais sans jamais utiliser la dénomination Crédit agricole du Maroc. Nous avons considéré que ce logo est suffisamment loin du nôtre, et nous avons gardé notre dénomination Crédit agricole du Maroc. Nous avons pu alors développer une collaboration en matière de développement rural et un courant d'affaires de qualité pour dépasser ces tensions.

Nous avons mis en place un certain nombre de produits pour le rural notamment dans le microcrédit et nous avons pu bénéficier de l'expertise de leurs services spécialisés. Nous avons étendu cette collaboration à l'activité de banque traditionnelle dans les domaines du correspondant banking et ce sont eux qui confirment, la plupart du temps, nos accréditifs et, tout naturellement, nous avons travaillé au niveau de la salle des marchés. Nos cadres ont commencé à faire des stages chez eux.

C'est le cas des deux traders ?

Oui, ces cadres du Crédit agricole du Maroc ont fait des stages dans leur banque à Paris, à Calyon Londres, à Calyon Bahreïn… avant d'être embauchés dans une de leur filiale au Maroc.

C'est un manquement d'éthique qui n'explique pas encore l'affaire. Pouvez- vous nous expliquer avec précision ce qui s'est passé et quelle en est l'antériorité et pourquoi le back office ou le gendarme de la banque n'a pas fonctionné ?

Avant de partir, ces traders avaient initié des opérations non validées. Il s'agit de produits structurés réglementés et pratiqués au Maroc depuis le mois d'août 2007. Mais il n'était pas dans l'intention du Crédit agricole du Maroc et dans les plans de notre comité d'investissement de nous lancer dans ces produits relativement complexes. Notre audit détecte une opération et nous demandons à Calyon s'il n'y en avait pas d'autres car ce qu'il faut comprendre, c'est qu'elles étaient traitées uniquement par téléphone, qu'elles n'avaient aucun support écrit et qu'il n'y avait pas de SWIFT.

C'est un non-respect de la réglementation internationale qui exige la traçabilité de toute opération ?

La réglementation au niveau international prévoit, en cas de collaboration entre deux établissements, la validation d'un document questionnaire KYC, d'un document convention ISDA qui doit valider les transactions téléphoniques. Nous n'avons signé aucun de ces documents. En leur absence, il faut une confirmation écrite. Ceci pour vous expliquer qu'il n'y a pas de back office au monde qui puisse détecter une opération téléphonique qui n'a laissé de trace que dans la partie opposée. Il n'y a pas eu de décaissement d'argent, pas de contrat signé mais des opérations téléphoniques qui n'ont pas été réalisées en conformité avec les règles bancaires.

Vous dites qu'il n'y avait aucune trace de ces opérations ? Comment votre audit a-t-il détecté l'opération que vous avez évoquée ?

Nous avons commencé à gagner de l'argent avec une opération et à en encaisser sans en connaître la provenance. C'est là où le système d'alerte a commencé à fonctionner.

Est-ce que cela suppose que vous gardez ces contrats ? Que dit la loi ? qu'en pense Bank Al-Maghrib ?

Bank Al-Maghrib a joué son rôle de régulateur, mais je voudrais rappeler que c'est moi qui ai appelé son gouverneur pour l'en informer. Nous sommes victimes d'un manque de déontologie et de manque de respect de procédures et nous sommes juridiquement couverts. En tant que président, je dois gérer le respect des procédures, mais également l'image de la banque dans le concert international bancaire.

Pour cela, il faudra trouver une solution avec Calyon ?

Certainement, mais pour moi, la solution la plus raisonnable c'est l'annulation pure et simple de ces opérations.

De combien d'opérations s'agit-il ?

D'une dizaine.

Les déposants et les contribuables peuvent toujours se poser la question des systèmes d'alerte et du contrôle interne qui ont fait l'objet de plusieurs séminaires de votre banque comme récemment à Rabat ?

Nous avons également tenu un séminaire chez Bank Al-Maghrib sur cette question de contrôle interne.
De 2006 à 2007, le nombre de nos contrôleurs est passé de 40 à 100 personnes à l'inspection et à l'audit.
Nous avons élargi la gamme des domaines d'intervention de l'inspection qui, auparavant, ne concernait que les agences et l'activité de banque commerciale immédiate.
Nous avons créé quatre directions : une pour l'inspection des fonctions métiers et supports, tout ce qui est logistique et DRH, une pour l'inspection de l'activité services publics, celle, traditionnelle, qui inspecte les agences et la dernière s'occupe de l'audit et de la veille métiers où il y a des spécialistes les plus pointus de la place pour tout ce qui est respect de la réglementation et des nouvelles normes bancaires.

Au niveau du risque clientèle directe, et d'après nos toutes récentes statistiques, le taux des contentieux se situe entre 0,5 et 0,8% des crédits octroyés durant l'année. Le taux de créances en souffrance est descendu de 50 à 17% et notre plan de progression va abaisser ce taux à 10% ! Nous sommes inspectés régulièrement par Bank Al-Maghrib, audités par un comité extrêmement sévère et nous sommes suivis dans le cadre d'un contrat programme avec le ministère des Finances, par la DEPP et par la Cour des comptes.
Nous avons un Conseil de surveillance qui se réunit quatre fois par an. Par conséquent, nous sommes un des établissements le plus suivi et le plus contrôlé …

Un établissement qui s'est transformé en société SA. Quels sont les avantages de cette opération ?

Un nouvel essor. Notre plan d'action Cap 2008 a été exécuté avec un an d'avance. Nous sommes passés de 17 milliards de dépôts clientèle à 41 milliards de DH aujourd'hui et d'un niveau de 40% de taux créance en souffrance à 17%. Notre PNB s'établit à 1,820 milliard. Les commissaires aux comptes ont certifié sans réserves nos comptes pour la première fois en 2007 et nous avons été au rendez-vous de la fin de la dérogation sur les règles prudentielles.

Un mot sur la réorganisation interne de votre établissement transformé en banque universelle. Quelle est la part accordée à la mission de service public qui était le cœur du métier de Crédit agricole et qui semble réduite en peau de chagrin ?

Je vous arrête de suite. Le CAM a un rôle et une mission de service public qui sont primordiaux pour nous et pour la stabilité du monde rural et qui justifie notre existence même en tant que banque. Toute la réorganisation de notre établissement s'est construite sur ce fondement. En d'autres termes, si vous enlevez la mission de service public, il n'y aura plus besoin de CAM. Si nous existons,
je le répète, c'est pour cette mission.


Qu'est-ce qui fait que nous avons une autre perception ?

La mission de service public était confondue avec le fonctionnement normal de la banque. On pouvait affecter des fonds, développer des efforts mais avec de l'argent que nous n'avions pas encore gagné. Cela ne pouvait plus continuer à fonctionner parce que l'environnement réglementaire a changé et nous avons essayé de séparer les deux.

C'est-à-dire mettre en place une banque avec un compte d'exploitation qui lui soit propre et qui se lit du PNB en passant par les frais généraux, par le résultat brut d'exploitation au résultat net et tout cela de la manière la plus lisible qui soit et dans laquelle nous sommes aux normes de la place. A côté de cette banque qui fonctionne avec la même rigueur et la même exigence de respect de toutes les normes, nous avons créé tout un pôle relatif à la mission de service public qui repose sur deux idées fortes : une segmentation des besoins en milieu rural et la micro exploitation qui représente entre 40 jusqu'à 50% de la clientèle servie par notre fondation ARDI qui a connu un taux de croissance extraordinaire. ARDI est partie de 6 antennes à fin 2003, 30 à fin 2006 pour atteindre aujourd'hui 170 ! Nous avons actuellement 80.000 clients ruraux.

Notre objectif est d'avoir 300 antennes et 250.000 clients. Nous avons validé avec le Conseil de surveillance, présidé par le Premier ministre, la création d'une société de financement agricole spécialisée, destinée à une deuxième catégorie d'agriculteurs intermédiaires qui ne sont pas concernés par le microcrédit, ni suffisamment grands pour être bancables dans la banque universelle. Il fallait donc créer un outil spécifique : le SFAR qui est un nom de code sans doute destiné à être changé. La convention a fait l'objet d'un échange de courrier entre les ministères des Finances, de l'Agriculture, nous-mêmes et Bank Al-Maghrib pour trouver les modalités de fonctionnement, d'approvisionnement en argent et la création d'un fonds de stabilisation. Nous sommes à quelques semaines de la finalisation et nous espérons signer cette convention à l'occasion du Salon de Meknès qui est une fête du monde de l'agriculture.

Concrètement, qui sera financé par le SFAR ?

Des projets structurants comme des oliveraies, des palmiers dattiers, le cadre de programmes gouvernementaux sous forme de packages où vous aurez le crédit, des aides diverses, des subventions FDA et Millénium Challenge account et enfin une troisième dimension des plus importantes, l'expertise et l'accompagnement. Cette structure sera donc sécurisée.

Là où avant, nous faisions des crédits à fonds perdus sur des opérations de blé en bour défavorables et risquées, nous ferons du financement de projets structurants tripartites, Etat-organismes internationaux -crédit agricole avec de l'accompagnement et du financement.

Vous avez évoqué le Salon de l'agriculture
de Meknès, évènement important pour le monde agricole. Qu'y feriez-vous ?


Je suis président du Salon international de l‘agriculture de Meknès qui se tiendra du 23 au 28 avril.
Nous avons resserré l'organisation dans le sens d'une professionnalisation avec des restaurants, des salles de réceptions, des salles de conférences, un business center….C'est un évènement qui permettra des rencontres pour échanger des idées, des réflexions à la manière d'un forum.
Des annonces seront faites au salon.

On parle également de vous comme président de la Fédération de microcrédit, à quel titre vous présentez-vous ?

Il ne faut pas anticiper. Les élections pour la présidence de la Fédération de microcrédit sont pour bientôt.
Dans la vie démocratique de cette fédération c'est ainsi que l'on procède et j'en profite pour rendre hommage à mon ami Réda Lemrini qui a accompagné le travail de cette fédération pendant deux mandats et qui y a réalisé un travail remarquable et difficile. Je suis un acteur de microcrédit puisque je suis président d'ARDI une des 13 associations de microcrédit et, à ce titre là, je suis éligible.

La particularité d'ARDI c'est qu'elle est à cheval entre les grandes et les petites associations de microcrédit, et pourrait ainsi être un trait d'union. Elle est à la fois proche d'une clientèle traditionnelle mais elle est aussi adossée à une banque.
Nous sommes une petite association par notre culture et notre mentalité mais nous sommes grands par nos moyens. Avec Réda Lemrini, qui a beaucoup apporté à la Fédération, nous pourrons continuer le travail.

Pour revenir à «l'affaire» des traders, comment avez-vous réagi ?

Au moment où j'ai été appelé pour cette affaire, j'avais l'impression d'être sur quelque chose d'infiniment plus important. J'étais à Aghbalou qui est à deux heures et demie de route après Meknès, quand vous dépassez Khenifra, Mrirt et que vous arrivez dans une province qui est d'une beauté à couper le souffle aux pieds de l'Atlas mais où les gens vivent dans un grand dénuement.

Le sujet des débats reposait sur leur surendettement au Crédit agricole et j'ai tenu à y aller personnellement pour leur apporter mon soutien. Dans la réalité, leur problème n'était pas le surendettement qui n'était qu'un symptôme, mais le fait que leurs moyens de subsistance ne pouvaient pas générer des revenus suffisants pour un niveau de vie décent. Le Crédit agricole va les aider et c'est pour cela que la SFAR a été créée, mais il faut mettre en place un véritable plan d'action pour les régions du Moyen Atlas et qui sont en difficulté. Nous nous sommes mis d'accord pour initier des projets porteurs pour la région et pour développer l'arboriculture notamment l'olivier.

Nous les soutiendrons fortement.
Le plan pour la région doit être exécuté par des professionnels. Le Crédit agricole contribuera au financement de ce plan régional de développement dans la mesure de ses moyens. J'ai donc relativisé cette affaire des traders même si elle survient dans un contexte international difficile. Ce genre d'affaire est courant dans les banques, le plus important c'est qu'il n'y ait pas de préjudice et que le contrôle général fasse son métier.
Lisez nos e-Papers