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Citoyens insoumis et inciviques, dites-vous !

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Nous sommes à Casablanca, dans l'une des avenues huppées, mais la scène eût pu se dérouler à Rabat, Marrakech ou Tanger. Dans un fracas à nul autre pareil, une orgie de gesticulations et de mots vulgaires, un déluge incessant de coups de klaxons, deux automobilistes s'opposent. La circulation est bloquée et l'agent de police qui la gère totalement dépassé. Le tohu-bohu qui s'est installé pendant ces laps de temps, devenus longs et éternels, a fait litière de l'apparente et fragile discipline collective. Celle-ci est désormais livrée au rapport de forces, à cette incurable vanité des hommes qui passent outre, la piétinent avec allégresse. Sorties des vitres de leurs voitures, les têtes des conducteurs sont au même diapason de colère, froide pour les uns et calamiteuse pour les autres. Dans les derniers jours du mois de Ramadan, à trois heures de la rupture du jeun, les esprits bouillonnent apparemment de trivialité. Les injures sifflent tandis que personne ne pense arriver à raisonner les deux conducteurs qui se sont accrochés et n'en démordent pas de se culpabiliser, verbe haut et menaces agitées.

Non, personne ne songe à calmer ces deux héros du jour auxquels se sont mêlés des badauds désœuvrés quand bien même une triple file de voitures, longue de trois cents mètres, continuerait à grossir et à s'allonger encore plus. C'est une leçon de choses ! Si tant est que l'on puisse croire qu'il eût jamais existé, notre civisme aurait-il foutu le camp si vite ? Orgueil des hommes, avatars de complexes ou absence d'éducation ? On ne sait quoi dire de cette intolérance qui, chaque jour maintenant, dissipe dans l'air ambiant ses effluves comme un parfum de mauvais sort. Tous y passent, personne n'est épargné. Pour un peu, l'on dirait que notre société est atteinte d'une névrose collective, un pathos qui ne dit pas son nom et que le qualificatif d'incivisme ne recouvre pas.

La société de consommation, traduisez l'accès aux produits du marché qui la véhicule comme la voiture, inventerait-elle ses propres individus ? Transformerait-elle, une alacrité aidant, les braves citoyens, autrefois assagis dans le besoin, en terribles égoïstes au prétexte qu'ils sont en possession d'un véhicule ?
Après tout, l'adage dit que cela n'arrive qu'aux autres. Ne pas respecter les feux rouges, acculer les passants à prendre, à vite détaler pour ne pas se laisser écraser par le chauffard du vieil autobus qui ratisse tout ce qui est sur son passage. Et puis, entre conducteurs eux-mêmes, cette indécrottable attitude de méfiance, ces gesticulations qui n'annoncent jamais rien de bon, et ce comble de vouloir passer outre les règles et avant tout le monde !
Cette incurie sur l'autoroute quand un accident bloque la machine et qui, dans un délire incandescent, là où il n'y a que gravats et cailloux, là où il est strictement interdit de rouler, voit surgir sur les bas côtés une file de voitures.

Tout cela au grand dam des sages, considérés comme des imbéciles, à la barbe des policiers dissimulés entre les camions… Dans les gares de l'ONCF, ils sont nombreux et impunis tous ceux qui, défiant délibérément panneaux de signalisation, coups de sifflets des agents de sécurité, franchissent carrément les rails pour traverser et rejoindre le train…Ce n'est pas une ou deux fois qu'une telle scène se répète ! Ce n'est pas non plus seulement l'incivisme devenu le trait dominant, c'est tout simplement le commun des scènes à répétition, le trait cocasse d'une nouvelle culture qui s'instaure subrepticement. Elle épouse le visage de l'arrogance, cette politesse des ignares, cette incroyable assurance qui fait de vous un suspect.

Elle épouse le visage inquiétant de cette irascible intolérance envers l'Autre, parce qu'il n'a pas votre profil ou tout simplement parce qu'il a le malheur d'être né différent. Alors, il est le bouc émissaire, la victime désignée de glapissements et d'injures. Si tu ne partages pas mon point de vue, alors tu ne peux être de mon côté. L'argument est simple et tranche vite. C'est l'avant-porte, l'antichambre du mépris et de la haine. Et les scènes de la rue, celles où s'entrechoquent, à la faveur de mauvaises conduites, véhicules et conducteurs, avant la haine des origines et des statuts de chacun, ne sont que la triste façade d'une comédie bien plus tragique : la violence des rapports sociaux qui est en train de codifier la vie des agglomérations et des cités.
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