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La ville dispose-t-elle d'une assiette foncière ?

La ville dispose-t-elle d'une assiette foncière ?
Le secteur du bâtiment à El Jadida obéit-il à la loi de la jungle ? Les prix pratiqués aujourd'hui sont-ils justifiés ? Les citoyens sont-ils devenus les otages de spéculateurs sans scrupule ? Jusqu'à quand ledit secteur restera-t-il une vache laitière pour les soi-disant «promoteurs  immobiliers» ? Afin de répondre à l'ensemble de ces questions, nous avons mené une enquête pour essayer de comprendre les raisons de cette flambée des prix et de mettre à nu les dessous des pratiques illégales dans le secteur de l'immobilier à l'échelle de la ville d'El Jadida. D'après des études du ministère de tutelle, différentes causes sont derrière cette flambée des prix et qui sont, entre autres: l'augmentation des prix des matériaux de construction, du coût de la main-d'œuvre et des prix des terrains constructibles, la diminution de l'assiette foncière dans les zones urbaines, la facilité des crédits accordés par les banques, la spéculation, l'offre et la demande et enfin la pratique des dessous de table connue sous le nom «la pratique du noir». Certains évoquent l'éternel problème de l'exode rural.

Prix des matériaux de construction et coût de la main-d'œuvre
Parmi les matières premières qui ont vu leur prix augmenter, on note essentiellement le ciment dont le prix, au détail du sachet de 50 kg est passé de 45 à 58 DH. Ce matériau entre dans toutes les phases de construction et aussi dans l'élaboration de certains types de briques. Les briques rouges ont également vu leur prix augmenter de quelques centimes l'unité. Il en est de même pour les barres de fer. Le coût du cuivre, qui entre dans les installations électriques, a aussi vu son prix doubler. Enfin, le mètre cube du sable est passé de 200 à 280 DH. Les autres matières premières sont restées inchangées. Quant à la main-d'œuvre, le salaire journalier des ouvriers est passé de 55 à 70 DH alors que celui des Maâlems - maçons est passé de 120 à 150 DH. À première vue, et pour les néophytes, ce changement des prix semble être assez conséquent, mais pour l'ensemble des techniciens du bâtiment qui évaluent les coûts de construction, des architectes et des promoteurs honnêtes que nous avons pu contacter, ces changements de prix ont engendré une augmentation d'environ 200 DH, et dans le pire des cas 250 DH, par mètre carré au niveau des gros œuvres.

Il en est de même pour les travaux de finition «people» et non du haut standing, d'ailleurs absent à El Jadida. Ainsi et selon les professionnels du secteur, le mètre carré construit sans comptabiliser le coût du terrain varie de 1800 à 2200 DH maximum, réparti comme suit :
- Gros œuvres : le coût est passé de 700DH/m2 à 900-1000DH/m2
- Finition : le coût est passé de 900DH/ m2 à 1100 – 1200DH/ m2.

Prix des terrains constructibles
Pour bien comprendre les tendances des prix des terrains, il serait judicieux de bien déterminer les différentes étapes par lesquelles passe un lot de terrain avant sa construction. Il y a un peu plus d'un an, les terrains vagues non viabilisés coûtaient, en fonction de l'emplacement, entre 150 et 250 DH le mètre carré. La viabilisation coûte entre 400 et 500 DH. Donc le prix de revient du mètre carré se situait entre 550 et 750 DH. Pour finir, il faut y ajouter la commission perçue par la RADEEJ pour les différentes connexions (eaux, électricité et égouts) qui est de l'ordre de 100 à 150DH/m2.
Actuellement et avec le dérèglement total que connaît ce secteur, le prix du mètre carré des terrains vagues se situe entre 400 et 1000 DH,  voire plus, auquel il faut ajouter les coûts de la viabilisation (500 à 600 DH) et de la RADEEJ (environ 150 DH). Donc en majorant au maximum, le mètre carré d'un terrain viabilisé ne dépasse pas les 2000 DH (1200-1800DH). Alors pourquoi est-il vendu au détail jusqu'à 15.000DH /m2, avec un bénéfice par mètre carré de l'ordre de 13.000 DH?
La zone urbaine d'El Jadida qui s'étale sur une superficie de 2500 ha compte encore plus de 900 ha de terrains vagues, sans compter les terrains de la zone balnéaire située le long de la route de Casablanca. Une superficie capable d'assimiler encore plus de 60.000 habitants. Pour avoir un ordre de grandeur, il faut savoir que :
- Koudiat ben Driss, Al Qods et Cohen sont bâtis sur 45 ha,
- Hay Al Jouhara et les immeubles le long du Boulevard Bir Anzarane s'étendent sur 17 ha
- Hay Es-Salam et Ennajd occupent 52 ha
- Tous les quartiers d'Essâada (situés entre l'usine Pfeizer – route côtière et route de Sidi Bouzid jusqu'à la limite de la zone urbaine du côté de Sidi Bouzid) sont construits sur environ 120 ha.
La ville d'El Jadida dispose encore d'une grande assiette foncière de l'ordre de 38% des 2500 ha. Avec un tel constat, des questions se posent: Qui détient ces terrains vagues ? Qui bloque leur viabilisation ? Que font les autorités municipales, provinciales et l'agence urbaine  pour remédier à ce problème ? Qui est derrière les rumeurs infondées sur l'absence de terrains constructibles à El Jadida ?

Les prix de vente des bâtisses
Lors de notre enquête, nous avons été surpris par les prix pratiqués par ces promoteurs. Pour les appartements, les prix oscillent entre 7500 DH et 12000 DH le mètre carré pour des immeubles R+4. Pour définir le prix de revient réel du mètre carré, nous avons un technicien qui nous a, tout de suite, fait les calculs. En considérant que le terrain a été acheté à 10.000 /m2, le coût de chaque niveau serait de 2000DH/m2 en plus des 2000DH/m2 pour la construction, le mètre carré reviendrait alors à 4000 DH maximum. En considérant la marge bénéficiaire de l'ordre 30% (soit 1200DH/ m2), le prix de vente doit se situer aux alentours de 5200DH/m2. Pour plus de précision, avec cette marge, un promoteur gagnerait 12 millions de centimes dans un appartement de 100m2. Or les prix pratiqués de nos jours situeraient la marge bénéficiaire entre 90% et 200%.
Il n'existe aucun autre produit au Maroc où l'Etat autorise une marge bénéficiaire de cet ordre. Alors pourquoi ferme-t-on l'œil sur le secteur du bâtiment ? Selon Hassan, entrepreneur et promoteur immobilier, pour la quasi-totalité des bâtiments en construction actuellement à El Jadida, les terrains ont été acquis à moins de 5000DH/m2.

Quant au coût de revient de la construction, il serait de l'ordre de 1600 DH au lieu de 2000 DH car les promoteurs achètent les matériaux en grande quantité et en vrac, ce qui permet de réduire encore plus le prix de revient. Pour bien maîtriser le taux de vente à l'échelle d'El Jadida, nous nous sommes rendus chez les «samsaras». Hadj Mohammed, qui a plus de 40 ans d'expérience, nous explique : "Le secteur est mort pour plusieurs raisons. D'une part, tout le monde est devenu «samsar» : épiciers, garagistes, ouvriers, fonctionnaires, étudiants, chômeurs et même des cadres, etc.… Bref, c'est l'anarchie totale. Certains de ces «samsaras new look» exigent parfois des pourcentages supérieurs à ceux perçus par les notaires sans payer un seul centime à l'Etat". Un autre «samsar», une jeune femme, nous confie : "On dirait qu'on est des extraterrestres, pour qui se prennent ces promoteurs immobiliers ? Où sont nos responsables ? Que font les contrôleurs de finance ? Où sont nos élus qui nous martelaient avec tant de promesses lors de la campagne électorale? À ces prix de 5000 à 8000DH/m2, il faut que le sous-sol renferme du pétrole. Les prix pratiqués seraient plutôt valables dans des pays où le revenu annuel serait de l'ordre de 20.000 à 30.000 dollars et non dans un pays où le revenu par tête d'habitant ne dépasse guère 2.000$... il y a un problème.

Conséquences de la flambée des prix
Il est clair, cette flambée des prix de l'immobilier peut avoir des conséquences désastreuses sur l'économie nationale. Les acheteurs sont de plus en plus rares donc il y a risque de récession et d'inflation. Avec la chute des ventes, les investissements vont ipso facto régresser, ce qui aura une répercussion directe sur l'emploi et la croissance. Dans les conditions actuelles, même les familles les plus chevronnées qui souhaitent à tout prix acheter une maison et vu les conditions exigées, se trouveraient dans l'obligation de contracter plusieurs crédits, d'où le risque de difficultés financières qui peuvent s'en découler et par conséquent l'accentuation de l'appauvrissement de ces familles. Un autre point important et qui n'est pas sans risque est le rabattement des familles sur les périphéries de la ville où les terrains, certes non viabilisés, restent encore accessibles (50 à 100 DH/m2). Les constructions se comptent par milliers et poussent comme des champignons.

Certes, ces maisons sont construites en dur mais restent quand même des bidonvilles en raison de l'absence d'eau potable et de l'assainissement liquide. Parmi ces quartiers, il faut signaler ceux près de la zone industrielle, le long de la route de Sidi Maâchou ou encore près de l'hippodrome. Pour finir, beaucoup de promoteurs refusent de vendre, croyant que les prix vont encore continuer à augmenter. Certains même sont allés plus loin. Ils ont tout simplement remboursé des clients qui leur ont donné des avances sur des appartements en construction. La raison évoquée est que ces promoteurs ont voulu revoir les prix à la hausse, mais les clients ont refusé d'adhérer à cette pratique ignoble. Actuellement à El Jadida, plusieurs centaines d'appartements flambant neuf sont fermés.

Pratique du noir
La pratique du «noir» ou dessous de table est connue depuis toujours, mais la nouveauté est qu'elle est devenue un acquis pratiqué à vive voix sans la moindre crainte. Il y a encore quelques années, c'était les intermédiaires et les «samsaras» qui exigeaient au nom du propriétaire qu'une partie du prix soit réglée en noir, mais de nos jours ce sont les «bureaux de vente» des immeubles qui le demandent sans aucun gène. Lors de notre enquête, nous nous sommes rendus dans une «boîte» qui vend des appartements. A notre arrivée, un monsieur du bureau de vente nous a déterminé les conditions de vente d'un appartement de 55m2. Le prix est de 35 millions dont 20 millions en noir. Seuls 15 millions seront déclarés pour le fisc. Ce qui nous a surpris, en plus du pourcentage (133% par rapport aux 15 millions déclarés ou encore 57% par rapport au prix total) du noir, c'est l'aisance et la spontanéité du vendeur. Sa proposition a été faite naturellement sans se soucier si nous sommes du fisc ou des contrôleurs de l'Etat. Le deuxième point à retenir est que la pratique du noir se fait à toutes les échelles (terrain, matériaux de construction et prix de vente du produit fini). D'après un «samsar», il arrive que des lots de terrains soient vendus trois à quatre fois de suite sans enregistrement. Le prix passe du simple au triple, voire plus, sans que l'Etat ne perçoive un seul centime. Bien sûr, cette différence de prix est réglée en noir sous table.
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Solutions et remèdes

La solution est aussi simple. Primo, l'Etat doit définir les prix maximum à ne pas dépasser. Secondo, il faut considérer un bâtiment comme n'importe quel produit. Or on sait que chaque produit a un prix de revient et pour le mettre sur le marché l'Etat définit la marge bénéficière. Donc, avant de le vendre, un promoteur immobilier doit présenter à un service spécialisé, créé pour l'occasion, les factures et les documents nécessaires attestant son coût de revient. Ainsi, on éviterait de voir des appartements, ou autres constructions, dont le coût de revient est 40 millions mais mis en vente pour 150 millions. Le gouvernement doit définir des zones dans chaque ville. Il serait aberrant de mettre à la même enseigne une zone commerciale et une autre. Le même principe doit être appliqué également sur les particuliers et les spéculateurs qui veulent vendre leur maison. Cette méthode va mettre fin automatiquement aux dessous de table ou au noir. L'Etat est tenu également de créer un fichier central dans chaque ville pour contrôler toutes les transactions immobilières, d'autant plus que les solutions et les moyens informatiques sont devenus accessibles pour une poignée de dirhams.

À signaler aussi que dans le cas des extensions des zones urbaines et la réalisation des plans d'aménagement, plusieurs problèmes sont à déplorer, l'Etat doit leur trouver une solution. Deux problèmes sont connus par tous les Marocains. Le premier, dès que des rumeurs sur l'extension de la zone urbaine d'une ville commencent à circuler dans les hautes sphères, les spéculateurs qui ont des tuyaux dans ces services, achètent des dizaines d'hectares pour imposer leur loi par la suite. Le deuxième problème est celui du chantage qu'appliquent les personnes chargées de la réalisation du plan d'aménagement. En effet, tout propriétaire qui refuse de payer des pourboires à ces gens, se trouve surpris de voir sa propriété, en partie ou totalement, affectée pour un bien commun (jardins, écoles, dispensaires, mosquée, etc.). Pour remédier au chantage précité, l'Etat doit prélever automatiquement un pourcentage des terres à tous les propriétaires de la zone urbaine. Les terrains prélevés seraient destinés à la construction des biens communs. Dans ce cas, les propriétaires ne seraient pas obligés de verser des commissions aux différents membres des équipes chargées de la réalisation des plans d'aménagement des villes.
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