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Quand les chevaux «parlent» aux hommes !

Notre intention n'est pas ici de raconter l'histoire du monde et du cheval. Mais plutôt de tenter de pénétrer dans l'univers du cheval d'élevage, si mal connu des profanes que nous sommes.

Quand les chevaux «parlent» aux hommes !
Un cheval d'Etat, que l'Etat entretient et protège, pour lequel l'Etat a construit un établissement spécifique, à lui exclusivement consacré. Un univers particulier, avec ses codes, ses règles, ses objectifs, où les pensionnaires font l'objet des soins les plus attentifs : Le haras. El Jadida possède le plus ancien des haras du Maroc. Et c'est cette histoire que Michel Amengual, journaliste et ex-directeur de France2 et France3, va tenter de restituer, dans l'intimité de la vie du cheval, avec ses prolongements sur l'actualité.Suivons notre ami Michel Amengual dans les coulisses du haras d'El Jadida.

C'est sûr, l'histoire de notre planète a été écrite à cheval…Peut-on imaginer un seul instant la destinée d'Hannibal, de Jules César, de Gengis Khan, d'Attila, de Massinissa, de Tarik Ibn Ziyad, de Napoléon, de tous les grands conquérants qui ont jalonné l'Histoire universelle, sans leurs chevaux ? Le cheval a été de toutes les guerres, de toutes les conquêtes, de toutes les croisades…C'est à cheval que les Chrétiens sont partis d'Europe pour défendre le tombeau du Christ en Palestine; c'est à cheval que les combattants du Prophète Sidna Mohammed sont allés répandre l'Islam à travers le monde. Et c'est sous la pression des dizaines de milliers de cavaliers maures venus de tout le Maroc à l'appel du sultan Sidi Mohamed Ben Abdallah que le 11 mars 1769, les soldats portugais abandonnèrent l'imprenable forteresse de Mazagão, devenue depuis la belle El Jadida. Et c'est dans tous ces combats, sous les flèches, les boulets ou les balles, que le cheval a acquis ses lettres de noblesse. D'un courage sans limite, il avancera toujours, ne reculera jamais, bravant le feu ou le froid ….

Quel spectacle tragique, lors de la bataille de Leningrad, en 1942, que celui de ces chevaux soviétiques qui, en traversant le lac de Lagoda, ont péri par centaines au milieu des eaux qui se sont mystérieusement gelées, enserrant dans des blocs de glace chevaux et cavaliers ? Ou ceux que Napoléon a entraînés dans son dernier rêve de grandeur et qui ont péri carbonisés à Waterloo sous le feu anglais, en 1815 ? Mais quel triomphe aussi pour le Berbère Tarik Ibn Ziyad, qui, en 712, à la tête de 12.000 cavaliers, traversa le Détroit (qui porte aujourd'hui son nom) de Gibraltar !) et conquit l'Espagne.

De là, les troupes musulmanes, traversant la Péninsule ibérique et les Pyrénées, gagnèrent la France jusqu'à Poitiers et leurs chevaux se mêlèrent aux chevaux locaux…Ils y ont laissé leurs traces génétiques qu'on retrouverait aujourd'hui chez les chevaux de Camargue ou du Limousin…Comme en Amérique où existent encore les descendants des chevaux barbes que les conquistadors espagnols avaient amenés avec eux dans leur conquête du Nouveau monde, au XVe et XVIe siècle. Aujourd'hui, les guerres ont changé d'allure et se sont mécanisées et sophistiquées, le cheval s'est donc vu attribuer d'autres ambitions…Mais toujours au service de l'homme dont il est la plus belle conquête ! Le cheval est aussi le plus bel étendard de la paix…

On offre un cheval comme un bijou sacré! Ainsi, le sultan du Maroc Moulay Ismaïl avait-il offert un cheval au roi de France Louis XIV en signe d'amitié…Tous les souverains européens en recevaient, du Maroc ou d'autres pays d'Afrique du Nord ou du Moyen-Orient ; la grande diplomatie mondiale est émaillée de scènes identiques ! Aujourd'hui, la reine d'Angleterre apparaît en public, lors d'évènements solennels, en carrosse doré tiré par les plus beaux chevaux de son royaume…Elle se passionne de courses hippiques, tout comme le roi d'Espagne.

Quant au souverain du Maroc, à l'occasion de la fête du Trône, il reçoit le serment d'allégeance (la Bayâa) des divers représentants des populations du royaume, sur un cheval revêtu des plus beaux harnais…Et c'est toujours une cérémonie d'une exceptionnelle splendeur.Pourrions-nous imaginer aussi nos campagnes sans le compagnon indispensable du fellah, ce cheval qui aidera aux labours des champs et aux récoltes des moissons ? Pourrions-nous également imaginer un Maroc sans moussem et sans fantasia ...accompagnée généralement de l'aïta, cette musique rythmée au bruit des sabots des chevaux ! Et ces hippodromes où se rassemblent chaque semaine (le mercredi à El Jadida !) les passionnés du Pari Mutuel.

Feu S.M. Hassan II a bien résumé cette relation entre le cheval et le Marocain, dans son livre « Le Défi » : « Le cheval fait partie de notre civilisation, de notre culture et de notre famille… » C'est ce même intérêt que porte au cheval son successeur, S.M. le Roi Mohammed VI, en accordant son Haut patronage au premier salon international du cheval à El Jadida du 22 au 26 octobre 2008. Un tel choix s'explique, non seulement parce que la région des Doukkala-Abda possède d'importantes richesses naturelles, mais aussi parce qu'elle a toujours été le fief du cheval.

Le haras d'El Jadida est facile à trouver, même si son apparence extérieure est discrète. Sur la route de Casa, à quelques 3 kms du centre-ville d'El Jadida, tout près de l'hippodrome, une bâtisse cernée d'un mur blanc fait l'angle avec le grand boulevard qui contourne la ville, la nouvelle avenue Jabrane Khalil Jabrane...Passé le porche d'entrée, de style arabo-mauresque, je pénètre dans la cour d'honneur, circulaire, avec en son milieu, une fontaine revêtue de faïence ; de part et d'autre, des allées et des boxes. Les chevaux montrent leur tête, curieux du visiteur que je suis. Mais je sais déjà leur nom, celui de leurs parents, leur date de naissance…Tout cela figure sur un écriteau accolé à chaque box…

Des noms beaux et mystérieux ! Le plus beau de tous, un arabe-barbe blanc immaculé, Kadem, appelé sans doute à une prestigieuse destinée ! À voir la propreté de leur litière, je sais qu'on est aux petits soins pour eux. Là, dans une auge, de la nourriture : Des céréales de premier choix…Le haras s'étend sur une superficie de six hectares environ. Outre la centaine de boxes et la cinquantaine de stalles, il y a des dépendances et des ateliers : une forge, une sellerie, une menuiserie et naturellement une infirmerie. D'ailleurs, les directeurs de l'établissement sont aussi vétérinaires. Je suis donc reçu par le Dr El Arabi Agountaf, médecin vétérinaire. Dès nos premières phrases, je sens que les chevaux sont sa famille. Il en parle avec affection, avec tendresse. Et son savoir est immense. Il me dit tout sur les chevaux.

Les différentes races : le cheval barbe, le plus marocain de tous, qui doit son nom au fait qu'il était la monture préférée des Berbères, jadis. Puis le cheval arabe, venu d'Orient à la faveur des avancées de l'Islam ; et des croisements qui ont donné l'arabe-barbe, le pur-sang arabe et le pur-sang anglais….et l'Andalou…qui est barbe, qu'il le veuille ou non….Il y a d'ailleurs une organisation internationale du Cheval Barbe, qui veille à la pureté de la race ! Chaque cheval a ses caractéristiques, son pédigrée, sa carte de visite, son passeport si je puis dire. Et les contrôles sont extrêmement rigoureux, explique Dr El Arabi « Le cheval est un des animaux sur lesquels on ne peut pas se tromper.

Car chaque cheval a un signalement spécifique…». Derrière son bureau, fixé au mur, un immense poster avec toutes les races de chevaux du monde. «Quel bel animal, lui dis-je. Une véritable sculpture, un travail d'orfèvre.». «Mais, pour arriver à cette classe-là, dit-il, il a fallu des siècles de travail. Les meilleures espèces mélangées aux meilleurs spécimens, on obtient forcément les meilleurs étalons, et c'est là le rôle essentiel du haras.

Préserver la race et l'améliorer. Et mettre ainsi à la disposition des éleveurs et des agriculteurs les meilleurs chevaux possibles, pour le meilleur rendement possible.». Alors, il m'explique pourquoi le Maréchal Lyautey a créé, en 1913, à El Jadida le premier haras en terre marocaine : « Le haras avait à l'origine, une vocation purement militaire. Autrefois, pour faire les guerres, on se déplaçait à cheval, parce que les régions étaient montagneuses et qu'il fallait déplacer le packtage des soldats et leurs matériels. Certes, il y avait une jumenterie à Temara, mais elle s'avéra vite insuffisante pour les nécessités de l'armée française. Alors, il fut décidé de promouvoir l'élevage équin et d'assurer et contrôler la reproduction pour les besoins du Maroc mais aussi de la France. En chevaux mais également en mulets….

Autrefois, le haras était un établissement militaire, commandé par des militaires… Et il le resta plusieurs années, jusqu'en 1946, où il passa au civil, sous la tutelle du ministère de l'Agriculture et des services vétérinaires, mais avec une organisation de type paramilitaire; puis, avec la mécanisation de l'armée, le haras s'est réorienté vers les sports équestres…»
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Vente aux enchères

Avant de quitter le haras d'El Jadida, le Dr El Arabi me dit:« Encore un souhait. Ah ! Si jamais on pouvait organiser à El Jadida une journée de vente aux enchères de chevaux barbes ! Actuellement, des étrangers viennent de partout acheter à nos paysans, dans nos campagnes, des chevaux barbes pour les amener en Europe, ou ailleurs. Pourquoi ne pas organiser cela ici, officiellement. Vous imaginez l'impact sur l'image d'El Jadida et des Doukkala ?...
Une vente aux enchères de barbes à El Jadida ! Mais tous les Marocains vont à Deauville voir, acheter ou vendre ! El Jadida n'est-elle pas la Deauville du Maroc?».
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