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«L'Ecole ou la métaphore de la Maison de verre»

L'évolution des pratiques pédagogiques et du métier d'enseignant, l'aménagement du temps scolaire, l'impact sur le système éducatif
en termes de moyens à mettre en œuvre pour faire face aux changements du temps et des rythmes scolaires… autant de thèmes de fond qu' analyse Larbi Belafkih.

«L'Ecole ou la métaphore de la Maison de verre»
Le Matin : Le ministère de l'Education nationale a organisé un colloque très suivi par les enseignants sur la «Gestion du temps et des rythmes scolaires». Pourquoi donc le choix d'un tel thème?

Larbi Belafkih :
C'est une question fondamentale pour tout être humain et tout organisme vivant. A la naissance, les bébés ont un rythme de 16 heures de sommeil et ne se réveillent que pour téter. Au fur et à mesure qu'ils grandissent, le sommeil diminue et il y a une alternance entre sommeil et éveil. Cela veut dire que toute vie est réglée par des rythmes. On a parlé des rythmes biologiques, des rythmes physiologiques, des rythmes psychologiques. L'intérêt pour le système éducatif marocain, c'est de prendre en charge ces rythmes dans les processus d'apprentissage et de formation des générations pour optimiser les rendements.

Qu'en est-il des présents à cette réunion visiblement très suivie et qui a fait quoi ?

Tous les représentants du système éducatif marocain publics et privés étaient présents. Ce sont des enseignants, des directeurs d'académies, des inspecteurs et même des élèves qui ont apporté des réflexions extrêmement intéressantes. Nous avons eu droit au cours de plénières à des interventions sur le rythme et les horloges biologiques, la chronospychologie, la chronobiologie et l'incidence de ces rythmes sur la qualité du rendement, sur l'apprentissage et le système éducatif dans sa globalité. Il y a eu ensuite différents ateliers portant sur «Le temps d'apprentissage» «Les rythmes scolaires» et «Les ressources humaines et matérielles».

On sait que nous avons au Maroc une moyenne de 1.000 à 1.200 heures de cours par an. Qu'en est-il de la qualité du rendement avec ce volume d'heures ?

Le Maroc a une charte d'enseignement et de formation. Ce document a donné les grandes lignes et les orientations pour rendre le système éducatif performant. Le dernier rapport du Conseil supérieur de l'enseignement a fait état de points positifs et de points négatifs.
Il fallait réagir sur ces derniers points et mettre en place des actions pour y remédier, d'où le choix d'un tel thème sur la gestion des rythmes scolaires qui permet de rentabiliser le temps ‘'d'investissement de l'élève'', de la famille et de l'enseignent.

A travers les ateliers, j'ai entendu parler, à plusieurs reprises, des verbes comme «mobiliser, réagir, soutenir accompagner…». Peut-on espérer dans
un secteur plombé par la crise un début de reprise de confiance?


Oui, je crois que tous les acteurs ont compris que le système éducatif est un processus et qui dit processus dit évolution et mécanismes à développer, des actions à mettre en place et à développer. Il y a des processus qui touchent l'enseignant lui-même, l'élève et le politique. Tout acteur du système est responsabilisé et peut jouer pleinement le rôle qui lui convient.

Prenons les acteurs un à un, il y a d'abord l'enseignant qui a une lourde responsabilité…

Je crois qu'il faut avoir le courage de reconnaître certaines choses et de faire des constats qui nous permettent ensuite d'avancer: sans généraliser, on peut dire que l'enseignant croit que l'élève est là pour obéir à l'adulte. Les programmes, leurs présentations, les emplois du temps sont faits pour l'adulte et non pas pour l'enfant. Deuxième constat: les enseignants se plaignent des programmes chargés mais souvent un mois avant la fin des cursus scolaires; nombre d'entre eux demandent aux élèves de ne plus venir en classe et se plaignent ensuite du mauvais rendement. Il y a bien sûr des conséquences et des incidences sur le rendement des élèves. Nous avons fait des évaluations des acquis et des compétences des élèves. Certains enseignants, car je répète qu'il ne faut pas généraliser, n'ont pas intégré l'idée que les rythmes scolaires sont fondamentaux dans la réussite éducative. Cela pose la question de la prise en charge globale de la question: comment gérer le temps d'apprentissage et le temps scolaire sur les périodes imposées par la loi et la réglementation?

Pour cela, quels dispositifs ou quelles mesures mettre en place ?

La formation continue, l'encadrement pour saisir l'importance de la gestion des rythmes de l'élève et du temps. Je dois dire que cette question est relativement récente même dans les pays développés comme l'a souligné dans son intervention François Testu, expert français, qui a initié cette question en France. Nous avons étudié et travaillé dans le même laboratoire de recherche. F. Testu a ouvert notre colloque par une intervention intitulée ‘'Aménager les temps de vie des enfants: pourquoi ? Pour qui ? Comment ? De la nécessité des connaissances chrono-biologiques et chrono-psychologiques dans le débat sur les rythmes».

Il y a un autre segment de la réflexion des plus importants qui est l'élève. Que dites-vous sur ce point précis ?

Pour l'élève, on peut dire en gros qu'il y a le temps scolaire, le temps social et le temps familial. Il faut trouver une adéquation entre les trois temps et nous devons tous nous y mettre, y compris les médias. La télévision par exemple a un rôle important à jouer dans la socialisation de l'enfant, tant dans les horaires des émissions que par la qualité des programmes. L'école de son côté doit gérer les programmes qui doivent être aérés et permettre aux élèves de bien profiter de la journée. Il y a une question d'équilibre à trouver en adéquation avec l'emploi du temps des enseignants qui évite les temps perdus ou le trop-plein qui alourdit l'élève. L'école doit également faire en sorte que lorsque l'élève entre en classe, il n'en sorte que pour aller chez lui. Cela permettrait d'éviter les risques d'exploitation des enfants ou des dérives.

Un mot sur le dernier segment du politique…

Celui-ci est fondamental. Tout éducateur, qui a cœur l'éducation, ne peut occulter la place du politique. Pour cette question de gestion du temps, nous avons des doctorants qui ont travaillé sur la question et qui nous fournissent des connaissances. Le politique doit être à l'écoute de la science. Il y a va de notre ancrage dans la société de la connaissance qui exige rationalité et efficacité. Il y a d'autre part des expériences de terrain dont il faut tenir compte.

Quel regard portez-vous sur la crise de l'enseignement ?

Je vais m'expliquer par une sorte de métaphore. L'école marocaine est une maison en verre. Les gens qui y travaillent à l'intérieur jettent des cailloux comme ceux qui sont à l'extérieur qui jettent aussi des cailloux. Cette maison reçoit des cailloux de l'intérieur et de l'extérieur. Il faut prendre du recul pour réfléchir sur le rôle de l'école, à ce qu'elle a produit et à ce qu'elle doit produire pour répondre notamment au défi de l'emploi. Les résultats du bac ont avoisiné cette année les 38%. Le taux est faible car il y a des élèves studieux qui ont travaillé toute l'année et qui n'ont pas réussi. On ne peut pas dire que l'école a failli, car elle forme relativement bien, avec parfois des enseignants performants comme en témoignent les élèves qui, une fois mis dans des systèmes à l'étranger, réussissent très bien leurs cursus. Il n'y a pas de système éducatif parfait mais une crise de confiance qu'il faut transcender. Dans la recherche de solutions, le privé (écoles et entreprises) doit participer à l'évolution. D'autre part, il ne faut pas oublier que l'enseignant doit donner le maximum pour son métier, ce pour quoi la société le paie. Le syndicat et le politique doivent bien sûr jouer le rôle mais il ne faut pas qu'il y ait un mélange des genres. En tant qu'enseignant, j'ai la responsabilité de remplir mon rôle en défendant l'intérêt de l'élève avant tout.

Comment faire pour reprendre confiance, remobiliser les enseignants ?

Lorsqu'une décision est prise, il faut la mettre en œuvre. Il faut être pragmatique, les discours ne suffisent plus. Il faut concrétiser les décisions. Il faut le cycle de réflexions, la décision et l'action; tout cela doit être pris dans l'intérêt de l'élève et du pays.
Le ministère est en train de travailler sur un plan d'urgence.
Si on cible les problèmes les plus pressants et si on trouve les actions concrètes sur le terrain, cela donne matière à espérance et donc à une mobilisation du corps des enseignants.


Propos Recueillis Par Farida Moha



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