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«La Méditerranée : une mer fermée de plus en plus dégradée»

Le directeur du Laboratoire “Environnement, océanologie et ressources naturelles à la FST-Tanger” fait le point.

«La Méditerranée : une mer fermée de plus en plus dégradée»
Bouchta El Moumni
Le Matin : Pouvez-vous vous présenter et nous dire qu'est-ce qui explique votre intérêt pour la Méditerranée ?

Bouchta El Moumni:
Tout d'abord, la Méditerranée se présente comme le berceau des civilisations et il est normal que toute personne qui vit sur son pourtour s'y intéresse. En plus j'ai préparé mes deux thèses (Troisième cycle et doctorat d'Etat) sur la sédimentologie et la géochimie de la marge méditerranéenne marocaine, et de ce fait, cet espace fait désormais partie intégrante de ma vie quotidienne. Une autre raison, parmi d'autres, est que je représente le Royaume du Maroc à la CIESM (Commission internationale pour l'exploration scientifique de la mer Méditerranée: www.ciesm.org)

Nombre d'institutions se penchent sur le sort et l'avenir de la Méditerranée. Qui sont elles et ne pensez-vous pas qu'il y a un éclatement des tâches et de la réflexion ?

Plusieurs institutions gouvernementales et non gouvernementales s'intéressent au sort de la Méditerranée. Parfois, les réflexions convergent et souvent, par conflit d'intérêt et de spécialisation, les orientations et les perspectives divergent. En matière d'environnement, nous citons ci-dessous, entre autres, les instituions qui se penchent sur le sort environnemental de la mer Méditerranée: Commission européenne, Commission internationale pour l'exploration scientifique de la mer Méditerranée (CIESM), Commission générale des pêches pour la Méditerranée (CGPM), FAO / Département des Pêches, Union internationale pour la conservation de la nature (IUCN) / Centre de coopération pour la Méditerranée (Malaga), Commission inter- méditerranéenne de la CRPM, IAEA (Agence internationale pour l'énergie atomique), Centre international de hautes études agronomiques méditerranéennes (CIHEAM), Plan bleu, Plan d'action pour la Méditerranée (PAM) des Nations unies, Programme d'actions prioritaires PAP-RAC du Plan d'action pour la Méditerranée (PAM) des Nations unies, Programme MEDPOL du Plan d'action pour la Méditerranée (PAM) des Nations unies, Programme ART GOLD des Nations unies.

On sait que la Méditerranée est une mer fermée, mais qu'en est-il de ses autres caractéristiques ?

La Méditerranée est une mer fermée mais elle communique avec l'océan Atlantique par le détroit de Gibraltar, avec la mer Noire par le détroit du Bosphore et avec la mer Rouge et l'océan Indien par le canal de Suez. En plus de cette caractéristique, il faudrait rappeler que l'évaporation en Méditerranée dépasse de loin la quantité d'eau apportée par les précipitations et les fleuves.
De ce fait, la Méditerranée doit son existence grâce à l'océan Atlantique qui l'alimente en eau via le détroit de Gibraltar.
En effet, les eaux d'origine atlantique, peu salées et donc moins denses rentrent en Méditerranée en surface, alors que les eaux méditerranéennes, plus salées et par conséquent plus denses, se déversent en profondeur dans l'océan Atlantique. Le temps qu'effectuent les masses d'eau d'origine atlantique pour sillonner la Méditerranée en surface ou en subsurface et revenir en Atlantique en profondeur, est estimé par les spécialistes à 90 ans environ.

Quelles sont les grandes tendances des évolutions de la population en Méditerranée ?

D'une manière générale, l'évolution de la population sur le pourtour méditerranéen tend vers l'augmentation. Cette croissance se confirme tant par l'évolution future (activités touristiques croissantes, projets d'aménagements urbains, ouvrages portuaires….) que par les statistiques mettant en relief cette évolution durant les dernières décennies. En 1950, les agglomérations de plus de 10.000 habitants ne dépassaient pas le nombre de 777. En l'espace d'un demi-siècle environ (45 ans), ce chiffre a pratiquement doublé en passant à 1.449 agglomérations. Selon les Nations unies, à l'Horizon 2025, la population urbaine du littoral méditerranéen verrait une forte concentration résultant d'une migration de la population rurale vers les zones côtières méditerranéennes. Ainsi, tous les pays méditerranéens, aussi bien au Nord qu'au Sud verront augmenter leurs populations urbaines au détriment de la population rurale.

Quel bilan actuel faites-vous en terme de dégradation du littoral ?

Le littoral de toute la Méditerranée connaît une dégradation due à la pollution organo-minérale et l'érosion. Heureusement, elle n'est pas généralisée sur l'ensemble du littoral et, varie, d'une zone à l'autre et d'un pays à l'autre.
Ce constat, si aucune mesure n'est prise pour y remédier, va s'accentuer d'ici l'horizon 2025. Ainsi, les scientifiques craignent une évolution
négative avec les estimations suivantes :
Une augmentation de la population de 20 millions d'urbains sur les zones côtières, plus de 136 millions de touristes par rapport aux 300 millions actuellement, plus de centrales électriques (160), plus d'usines de dessalement (175) , doublement des transports routiers et des stations d'aquaculture.
Cette évolution conduirait malheureusement à :
- un bétonnage des côtes
(+ 4.000 km, 50% artificialisés en 2025) ;
- des risques accrus de pollutions accidentelles avec le quasi- quadruplement des trafics fret maritime (+ 270%);
- une croissance des pollutions telluriques au Sud et à l'Est ;
- des pertes accrues de biodiversité, dégradation des paysages littoraux, congestion …/

Vous travaillez actuellement sur le scénario d'une forte littoralisation dans les prochaines décennies. Concrètement, qu'est-ce que cela veut dire et quels en sont les impacts ?

En fait, je contribue modestement aux réflexions permettant aux responsables de prendre la bonne décision en matière d'aménagement du littoral. Je suis pour le développement et la modernisation, mais aussi pour la sauvegarde et la préservation du patrimoine environnemental. Je sais que c'est une équation difficile à résoudre, mais c'est le seul moyen d'assurer un développement durable. Car les ressources naturelles ne sont pas inépuisables et la restauration de l'équilibre côtier rompu plus difficile, parfois impossible.

Sans un équilibre général de la Méditerranée, il faudra s'attendre à plusieurs nuisances (conflits, immigration…). Lesquelles ?

Les déséquilibres (économique, naturel, énergétique, démographique…) entre le Nord et le Sud peuvent être à l'origine de tensions et conflits régionaux se traduisant sur le terrain par des flux d'immigration illégale,
de conflits régionaux et frontaliers...

Concernant la question de la gestion de l'eau, quelles sont les perspectives en terme de pression sur cette ressource ?

L'eau, denrée alimentaire de première nécessité, constitue l'un des problèmes majeurs, difficile à résoudre pour la majorité des pays de la Méditerranée, surtout ceux du Sud. La carte ci-dessous (Plan bleu 2002) met en évidence la demande totale en eau, estimée en km3 au niveau du pourtour méditerranéen. Les études ont montré que les demandes en eau ont doublé dans la deuxième moitié du XXe siècle pour atteindre 290 km3/an pour l'ensemble des pays riverains. L'irrigation (forte au sud de la Méditerranée) représente 63% de la demande totale (42% au Nord et 81% au Sud et à l'Est). Les études (Plan bleu) estiment que 150 millions de méditerranéens sont pauvres en eau, soit 35% de la population totale de la région. Au Maroc, et grâce à l'édification des barrages, la politique en matière de l'eau, malgré les périodes de sécheresse, a donné satisfaction. Elle sert d'exemple pour l'Afrique et pour la Méditerranée orientale. Néanmoins, des progrès restent à faire, surtout pour les zones dont les réserves en eau profondes commencent à se réduire de manière sévère (exemple, le Souss).

Concernant les changements climatiques, quels sont les autres conséquences et impacts socioéconomiques ?

Il y a quelques décennies, lorsque les scientifiques parlaient du changement climatique, ils n'étaient pas appréciés. Actuellement, avec les perturbations des saisons, la fonte partielle de la calotte glaciaire au niveau des pôles, les catastrophes météorologiques, l'élévation du niveau de la mer et l'apparition de régions à fortes précipitations et d'autres à fortes sécheresses, le changement climatique fait partie du dialogue journalier de la population à l'échelle mondiale.

Conséquences quant au réchauffement de l'eau ?

Le réchauffement climatique se fait sentir à plusieurs échelles : Au nord de l'Europe par exemple, les armateurs pensent déjà de faire des mers du Nord une grande route maritime, surtout, que la période annuelle de navigation avec des brise- glaces se réduit davantage. Au niveau des mers tempérées comme la Méditerrané et surtout au niveau des détroits (lieux d'échanges) comme le détroit de Gibraltar, le réchauffement des masses d'eau touche aussi les eaux profondes se déversant en Méditerranée en profondeur

Quelles sont les conséquences relatives à l'élévation du niveau de mer sur le littoral ?

Les conséquences relatives à l'élévation du niveau de la mer sur le littoral sont multiples et variées :
- érosion côtière se traduisant par le déplacement du trait de côte vers le continent ;
- submersion d'ouvrages côtiers ;
- destructions possibles de bâtisses et de constructions proches de la ligne de rivage ;
- disparition de certaines îles à faibles altitudes…/

Quelles orientations préconisez-vous pour limiter les conséquences et les dégradations de l'environnement ?

Comme je l'ai dit au début, nous essayons de contribuer modestement aux réflexions menées avec d'autres scientifiques visant à prendre des décisions limitant ainsi les dégradations de l'environnement.
Dans l'objectif de favoriser le contexte permettant un développement durable, une modernisation, un développement des infrastructures et un investissement permettant la création d'emploi et de richesse, il faudrait à mon avis mettre l'accent sur : l'économie des eaux et la réorientation vers la désalinisation des eaux de mer ainsi que la réutilisation des eaux usées traitées pour l'irrigation ; l'utilisation des énergies renouvelables : hydrique, solaire, éolienne, le contrôle des rejets en mer, des dégazages de bateaux, de la pollution côtière, le contrôle de l'aménagement du territoire et du respect des règles de l'environnement.
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