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«Le Sujet et le mamlouk»

Quelles sont les chances du monde arabe pour accéder à la modernité? Autrement dit pourquoi le monde arabe est-il jusqu'à présent, dans l'incapacité de faire siennes les valeurs qui fondent les sociétés modernes, à savoir la liberté, individuelle et collective, la démocratie, le respect des droits fondamentaux de l'être humain, la tolérance religieuse etc.. ?

«Le Sujet et le mamlouk»
C'est la grande question que se pose Mohamed Ennaji dans son nouveau livre dont le titre est à lui seul une épreuve du degré de tolérance dans cette région du monde : «Le sujet et le mamelouk –Esclavage, pouvoir et religion dans le monde arabe». Quel rapport avec la problématique de la modernité dans le monde arabe dont il est question ? Pour Mohamed Ennaji, en sa qualité d'historien qui n'exclut nullement ses préoccupations liées à son époque, le rapport est évident, la construction d'un système politique étant un processus qui s'est fait à travers des siècles, il est impossible de comprendre la nature du pouvoir au présent, sans connaître sa genèse à travers les péripéties de l'histoire passée.

Cela vaut pour n'importe quel régime politique et a fortiori pour le régime arabe qui n'a pratiquement pas connu de «rupture radicale avec les formes sociales et politiques antérieures » qui lui ont servi de fondements, à savoir les premiers royaumes arabes antéislamiques. «Il ne se produisit réellement aucune révolution quant aux structures économiques et sociales» ; «l'Etat musulman a poussé sur les décombres des anciens royaumes d'Arabie. Leur héritage a été mis à contribution, les rituels du protocole royal sont mis en place très rapidement».

C'est le premier terreau, d'après l'historien, du pouvoir et de la culture politique dans le monde arabe qui n'a cessé de se consolider au cours des siècles notamment depuis l'avènement de l'Islam jusqu'au Califat Abbassid. Tout au long des pages de ce volumineux ouvrage, l'auteur s'atèle à faire la démonstration de cette thèse à travers l'examen de cette période, «non seulement parce que ce pouvoir y puise sa légitimité, mais aussi et surtout parce qu'on y lit plus limpidement sa genèse.». Pour ce faire, il interroge l'historiographie bien sûr, quoique peu prolixe sur les rapports de pouvoir, mais surtout les recueils linguistiques littéraires et théologiques : « solliciter la langue à travers les grands dictionnaires arabes nous a permis de faire la lumière sur de nombreux aspects opaques des relations sociales de pouvoir».

Le vocabulaire, les mots conservent en effet la mémoire de la perception initiale du monde et des rapports sociaux qui leur ont donné naissance. Il suffit de les soumettre à l'interrogation, de les tourner et de les retourner dans tous les sens pour qu'ils racontent leur histoire. Quel est donc le facteur déterminant dans les rapports sociaux au sein des sociétés arabes ? La réponse de l'historien est claire : L'Etat dans cette région du monde, qui s'est établie sur les décombres des anciens royaumes d'Arabie en a repris non seulement les rituels et les lois civiles, mais leur institution fondamentale, l'esclavage.

D'après Ennaji : «Contrairement à l'opinion répandue, nous sommes persuadés que l'esclavage fut un aspect déterminant des relations sociales dans le monde arabo-musulman». Le verdict serait sans appel si ce n'est ce bémol dans la phrase suivante : «A condition de ne pas l'approcher dans la même perspective que pour la société occidentale, antique ou moderne –notamment à travers son rôle productif essentiel dans celle-ci-, l'esclavage se révèle d'une étonnante pertinence dans l'approche des rapports sociaux et particulièrement dans l'analyse du pouvoir».

Pour comprendre la réserve d'Ennaji, il faudrait se référer à son premier travail sur l'esclave au Maroc sous le titre : «Soldats, domestiques et concubines». Dans ce livre en effet, il soutient que l'esclavage en pays musulmans, phénomène réel, était d'usage plutôt domestique contrairement à l'occident où il était pour les besoins de la production. C'est ce rapport de domination pour asservir qui aurait déterminé, et qui continuerait encore aujourd'hui, à jouer dans les autres rapports sociaux et politiques. Le rapport maître -esclave détermine, les rapports autorité-sujet, et croyant-Dieu.

Le livre est une longue démonstration de cette thèse à travers l'histoire de l'Etat islamique. Il faut se méfier cependant ; « L'histoire est une projection dans le passé, de l'avenir que s'est choisi l'homme » dit le philosophe martin Heidegger. Mohamed Ennaji, pour historien qu'il soit, est d'abord un intellectuel humaniste qui aspire à vivre librement en tant que citoyen dans un pays libre. «Le changement social dans le monde arabe écrit Ennaji, appelle l'intelligence (de l'autorité arabe), sans laquelle aucun projet de société cohérent et solide ne peut y voir le jour.» écrit-il dès l'introduction. C'est ce qu'il veut nous dire en fait à travers ce livre : Si nous voulons aller de l'avant, il faudrait d'abord mettre une distance critique par rapport à notre histoire passée.
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Quel monde arabe ?

Le livre appelle deux séries d'interrogations : Que signifie la notion «monde arabe» dont il est fait abondamment usage dans ce livre ? Une entité homogène s'inscrivant dans le réel ou simple construction idéologique, legs du mouvement panarabe, dont la part de l'illusion est beaucoup plus forte que la réalité ? Dans quelle mesure peut-on faire la comparaison entre des pays aussi hétérogènes que ceux du Maghreb, du Moyen Orient sous le prétexte arbitraire et fallacieux qu'ils ont en commun la même histoire et la même culture religieuse et politique ? Selon la théorie marxiste qui semble inspirer l'auteur, c'est le mode de production qui détermine les structures politiques, sociales et culturelles.

Or, Ennaji soutient que l'esclavage dans le monde arabe était plus un phénomène domestique qu'un mode de production.
Comment serait-il donc déterminant des rapports sociaux et politiques en n'étant lui même qu'un élément de ces rapports sociaux ?
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