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Les «Joconde» de Ali Chraïbi

Authentiques, voilà comment on peut qualifier, le plus spontanément du monde, les œuvres de Ali Chraïbi, photographe de talent.

Les «Joconde» de Ali Chraïbi
Son talent, il le doit à sa fibre artistique qui lui fait fuir l'habituel, l'usuel et le déjà-vu. Car s'il est une chose qu'il abhorre avec force, c'est bien les clichés ainsi qu'une certaine vision réductrice de l'art de la photographie, celle qui veut que seules les belles choses sont dignes d'être immortalisées.

Or Ali Chraïbi parvient à être artistiquement et esthétiquement correct sans procéder à une sélection des personnages dignes de figurer sur ses œuvres. Tout le monde et tous les endroits ont droit d'asile sur sa pellicule. Avec sa touche d'artiste, les personnages les plus ordinaires et les lieux les plus banals requièrent une beauté que seul Ali Chraïbi arrive à détecter et à transmettre au spectateur. Allez dire à cet artiste qu'une poubelle ou une décharge publique n'ont rien d'intéressants, il vous prouvera le contraire en les figeant sur ses clichés qui en diront plus long que n'importe quelle thèse ou autre exposé. "Des opportunités", c'est ce qui guide sa démarche dans sa quête aux clichés. "Je découvre et par la suite j'approfondis mon travail", explique-t-il. Depuis que ce chasseur d'images a chopé le virus de la photographie en 1995, il érige son appareil en témoin de la beauté qu'il capte et fige à jamais.

Il voyage, parcours les contrées, multiplie les paysages, croise des visages sans jamais se départir de son arme. Mais c'est au Maroc que sa muse se manifeste le plus. Il faut dire qu'elle ne ménage pas notre artiste. Elle peut l'attendre au tournant d'une ruelle, sur le pallier d'une vieille maison, à l'entrée d'une simple demeure où se tient fièrement une Fatima, Hadda, Milouda ou autre Chaâïbia. Résultat, les photos qu'il immortalise sont d'une réelle beauté. Elles fuient tout folklorisme vulgaire et rejettent tout exotisme simplificateur. Ali Chraïbi n'hésite pas à aller là où d'autres n'oseront pas sous prétexte que le domaine de la photographie est autre.

Quand notre artiste décide de photographier des femmes, c'est toujours dans une perspective novatrice qu'il le fait. Aller en profondeur, encore et toujours. Ce qui a commencé par une commande pour le festival d'Azemmour où la femme était à l'honneur, est devenu un objectif en soi. Les dames qui peuplent ses photos fendent dans des décors qui les entourent. "Je peux prendre en photo une femme dans son intérieur pour transposer l'atmosphère dans laquelle elle baigne. Ces femmes ne posent pas forcément pour la photo. Je leur demande de faire comme si je n'étais pas là", affirme-t-il. En fait, ce que cherche l'artiste, ce n'est pas de les montrer dans leur meilleur jour mais tout simplement comme elles sont en réalité. Leur beauté est à chercher ailleurs que dans la perfection des traits et des lignes.
La noblesse qu'elles dégagent est libre de toute fioriture.

Sa collection intitulée "La Joconda" le prouve amplement. Du 1er avril au samedi 3 mai, la galerie 127 à Marrakech propose à ses visiteurs de découvrir ces joyaux de la photographie. Rehaussés par la luminosité du noir et blanc, les portraits qu'elle donne à voir sont étonnamment expressifs et pleins de vie. "Je me suis rendu compte que la couleur perturbait les sujets. Le noir est blanc, lui, enlève toute fioriture et fait ressortir l'émotion et retient la lumière", justifie Ali Chraïbi. Résultat, entre le spectateur et le personnage s'effectue un dialogue intense. La communication est à son comble. L'espace de la photo, délimité par le cadre, est tout un monde où se meuvent des personnages qui raconte chacun son histoire. Elles n'ont rien d'exceptionnel ni de particulier sauf une grâce et une beauté cachée que révèle l'objectif de l'artiste.
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Parole de critique

Natacha Wolinski, critique d'art, a rencontré Ali Chraïbi. Elle dit à propos de lui : "Rares sont les femmes marocaines qui se laissent photographier dans leurs intérieurs, surtout lorsque le photographe est un homme. Par quelle magie Ali Chraïbi les a convaincues de poser, on ne le saura pas. Lorsqu'on interroge le photographe… on apprend que ces femmes sont mères, grand-mères, femmes recluses ou bien boulangères, nounous, mendiantes, prostituées. Mais est-il besoin d'en savoir tant puisque pour Ali Chraïbi, comme pour nous, regardeurs, ces femmes sont toutes des Joconde : elles appartiennent à notre mémoire universelle, elles incarnent cet "absolu du mystère de la beauté féminine" que Léonard de Vinci, mais aussi Goya, Vermeer ou encore Zurbaran ont poursuivi avec un doux acharnement.

Ali Chraïbi est leur élève. Pas seulement parce qu'il maîtrise l'ombre et la lumière, dispersant des rayons sur ces femmes comme on peint des auréoles. Mais parce qu'au-delà du premier choc que suscitent ces visages souvent tragiques, traversés de rides et de cernes, marqués par les cicatrices de la vie, il a su traduire l'intensité de leur présence au monde, il a su capter cette façon qu'ont ces femmes d'habiter l'image, de remplir le cadre, de forcer les portes de l'émotion.
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