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L'amoureux de la terre s'en est allé

L'amoureux de la terre s'en est allé
Combien de fois on t'avait dit des « au revoir ». Après chaque récital, qu'il ouvrait avec sa voix envoûtante en demandant à « entendre la voix du silence » de l'audience, son public s'inscrivait dans la perspective de la rencontre à venir. Et à chaque fois, pas aussi souvent qu'on l'aurait aimé, Mahmoud Darwich revenait. En selle sur le Pégase d'une langue qu'il savait modeler. Une langue dont il détenait le secret de la magie. Une langue qu'il arrivait à faire parler autrement. Pour dire un rapport aux choses et aux êtres autre que la platitude ambiante. Darwich, l'enfant éternel de la poésie donnait toujours cette impression qu'on vient juste de découvrir le sens des choses. Plusieurs, et même après son départ précipité, se plaisaient à ne retenir que la cause palestinienne.

Certes, ils n'ont pas tort, tellement le poète et ses terres s'identifiaient dans une perspective telle qu'on ne pouvait les dissocier. Mais, il est vrai, aussi, que l'homme était avant et après tout un poète. Un grand, un immense poète. Pas de ces versificateurs qui se plaisent à donner dans la succession des rimes. D'une liberté hors ordinaire, il remodelait le monde à sa guise. Un monde de rêve, parce qu'il était foncièrement rêveur. Pas uniquement de l'impératif de revenir. Car, il était un revenant dans la permanence. Son pays, comme il savait si bien le dire, était dans ses valises. Et ses valises, elles étaient en permanence prêtes à être rangées sans qu'elles ne puissent être rongées. Et cela a commencé très tôt dans sa vie qui na duré que 67 bougies. A l'âge de sept ans, son village est envahi par les forces de l'occupation.

La longue marche de l'exil commence. L'appel de la terre fera revenir, clandestinement, la famille. Suivra de longs périples qui le conduiront dans plusieurs coins du monde (Liban, Egypte, France, ex-Union Soviétique, etc.). Avec, en toile de fond, cette hantise du retour. Ce qui ne fut possible qu'en 1995, quand il s'établira dans la Bande de Gaza dans les territoires sous autorité palestinienne. Et depuis mercredi, de sa tombe perchée, il peut contempler, pour toujours, la ville d'Al Qods de Gaza. Le dernier voyage n'a pas dérogé à la règle de la pérégrination. Décédé aux Etats-Unis, la dépouille de Mahmoud Darwich a traversé l'Atlantique pour arriver à Amman, avant de prendre le virage vers Ramallah où il reposera à jamais. Son legs, lui, reste immense. Des centaines et des centaines de poèmes où l'on retrouve son autre rapport au monde.

Des chants à la gloire de la terre. Des hymnes à l'amour. Des dialogues avec la mort. Des prières à la vie. Un regard à part de derrière ses lunettes et au travers de son articulation qui emplissait de sens, de signification et de signifiance l'ardeur de sa langue.
Une poétique d'une rare pureté, parce que Darwich ne cherchait jamais à faire semblant. De cela, on pourrait le rapprocher, dans l'histoire de la poésie arabe, en tant qu'expérience de l'écrit, à un Al-Moutanabbi qu'à un Abou Tammam. Ce dernier étant le synonyme qui sacrifiait le sens sur l'autel de la manière, alors que le premier arrivait à n'aliéner ni l'un ni l'autre. Le mix a toujours réussi. Darwich relève du «simple très compliqué». En lisant ses poèmes, on se dit qu'on a tout compris, en termes de lexèmes.

Mais, une fois la lecture faite on se retrouve dans une dimension toute autre où le sens, sans s'évanouir, se multiplie. Et la relecture n'est jamais de trop. D'une modernité (dans le sens épistémologique du mot) extraordinaire, ses poèmes ne s'usent pas. Ceux qui sont tentés de le classifier, qui nourrissent la prétention de le cerner ou encore qui osent le «caser» n'en ont que pour leur grade. Car, il dépasse, de loin, toute possibilité d'être « emprisonné» dans une quelconque forme de classification. Mais, s'il devait y avoir un fil d'Ariane dans le paradigme de son expérience poético-existentielle, il pourrait se résumer dans deux thématiques balises : le temps et l'espace. Un double prisme qui, lui aussi, résiste à la modélisation et au prêt-à-penser.

Certainement, le lecteur d'Identité sera tout heureux de réciter les vers et d'expliquer les tenants et les aboutissants de la cause palestinienne à travers ce poème. Mais il oubliera, au passage, qu'une revisite, ici et maintenant, lui révèlera bien des secrets cachés dans l'édifice même du poème de manière autonome. Or, au fil de ces créations, le sentiment qui envahit le lecteur est de penser, par moments, que son Darwich lui échappe. Tellement l'expérience s'est enrichie pour que la langue suive cette évolution. Une évolution de l'être dans l'essence de son dire.

Biographie

Mahmoud Darwich, second d'une famille de huit enfants, est né en 1941 à Birwa, un village de Galilée proche de Saint Jean d'Acre et du mont Carmel. Il y a passé son enfance jusqu'en 1948, année durant laquelle la première guerre menée par les forces armées de l'Etat d'Israël force à l'exode de nombreux Palestiniens. Son village est détruit. De cette fin brutale de l'enfance, nous retiendrons que depuis lors, comme la majorité des Palestiniens, Mahmoud Darwich devient un errant, un exilé presque éternel qui a toujours habité ses écrits, mais physiquement : le Liban, le retour vers une Galilée où il est devenu un sans papier, les séjours réguliers en prison, puis Beyrouth, Paris, Tunis, Londres, Le Caire, Amman, Ramallah, où Côté oeuvre, on retiendra que “Feuilles d'olivier” sortira en 1964, deux ns après c'est au tour de “Un amoureux de Palestine” suivi, en 1967, par “Fin de la nuit”. “Les oiseaux meurent en Galilée” et “Ma bien-aimée se réveille” seront édités en 1970, “T'aimer ou ne pas t'aimer “ suivra deux ans après. “Essai n° 7”suivra. “Voici son image, voilà le suicide de l'amant “sera sur les rayons en 1975 et “Noces” en 1977. Les années passeront, jusqu'à 1983 lorsque le poète sortira, en 1983, son “ Éloge de l'ombre haute” et“ Le siège des éloges de la mer. A noter que le tirage des oeuvres de Mahmoud Darwich a dépassé en 1978 un million d'exemplaires. De surcroît, il a été traduit dans plus de quarante langues.

Extrait du poème «Identité»

Inscris !
Je suis Arabe
Le numéro de ma carte : cinquante mille
Nombre d'enfants : huit
Et le neuvième... arrivera après l'été !
Et te voilà furieux !
Inscris !
Je suis Arabe
Je travaille à la carrière avec mes compagnons de peine Et j'ai huit bambins
Leur galette de pain
Les vêtements, leur cahier d'écolier
Je les tire des rochers... Oh ! je n'irai pas quémander l'aumône à ta porte
Je ne me fais pas tout petit au porche de ton palais
Et te voilà furieux !
Inscris !
Je suis Arabe
Sans nom de famille - je suis mon prénom «Patient infiniment» dans un pays où tous
Vivent sur les braises de la Colère
Mes racines...
Avant la naissance du temps elles prirent pied
Avant l'effusion de la durée Avant le cyprès et l'olivier...avant l'éclosion de l'herbe
Mon père... est d'une famille de laboureurs
N'a rien avec messieurs
les notables
Mon grand-père était
paysan - être
Sans valeur - ni ascendance.
Ma maison, une hutte de
gardien
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