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«Imposer un nom est une atteinte à la vie privée»

En janvier dernier, un juge du tribunal de première instance de Larache prive une petite fille de porter le prénom «Illy». Un fait qui ressuscite le débat sur la liste des prénoms. Détails

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Le Matin : Quelle est la version officielle de l'affaire Illy ?

Abderrahim Jamaî :
Les parents d'Illy par la Kafala ont entamé la procédure légale qui permet à chaque citoyen marocain de demander le changement de son prénom par décision judiciaire. C'est un droit qui est exercé sans aucune restriction. Et même le tribunal n'a pas le droit de rejeter une telle demande sauf si le nom n'est pas conforme aux conditions fixées dans la loi 37- 99 relative à l'état civil. Le fait est que le Juge du tribunal de première instance a rejeté la demande de la famille.
Cette décision a été motivée par le fait que ce prénom signifie ma fille alors qu'il s'agit d'un enfant adopté et non de leur véritable enfant.
Aussi, j'estime que c'est une honte de voir la justice s'abaisser à un niveau d'ignorance, et aller chercher des arguments futiles pour punir Illy et ses parents. Actuellement, le dossier se trouve à la Cour d'appel de Tanger qui va statuer sur l'appel interjeté contre le jugement de première instance.

Est-ce que le juge a le droit de statuer sur le nom dans cette affaire ? Et comment cela fait-il que le nom ait été refusé alors que dans d'autres villes il a été accepté ?

En principe, chacun a le droit de choisir le prénom qu'il souhaite. C'est un droit lié à la vie privée et nul dans le monde ne peut imposer à un autre, un prénom qui convient à son goût. Au Maroc, les choses sont souvent compliquées par la nature de ceux qui font les textes.
C'est la raison qui a laissé la loi sur l'état civil ouverte à plusieurs interprétations selon le petit fonctionnaire ou le juge qui décide sur la demande.
Dans son article 21, la loi précitée insiste que le prénom doit présenter un caractère marocain et ne doit être ni un nom de famille ni une dénomination composée de plus de deux prénoms ni un nom de ville ou de tribu comme
il ne doit pas être de nature à porter atteinte aux bonnes mœurs ou à l'ordre public ni comporter aucun sobriquet ou titre tel que Moulay, Sidi,
ou Lalla.

La condition relative aux bonnes mœurs est acceptable. En dehors de ça, vous constatez que la formulation de cet article démontre que les conditions sont vagues et ouvrent donc le chemin aux abus de la part des autorités pour accepter ou rejeter l'un ou l'autre prénom selon la tête du client et de l'enveloppe qui se glisse sous la table pour lui laisser son prénom choisi.
Les sobriquets s'ils sont interdits par cette loi, il n'y a pas de raison de ne pas appliquer à tout le monde sans distinctions ni discriminations la même loi.
Or, on sait qu'il y a des Lalla et des Sidi et des Moulay, qui est-ce qui va les contrôler et les radier des états civils ? Personne et ce ne sera certainement pas le juge de Larache.

Comment cela se fait-il que chaque arrondissement ait une liste propre ?

Si des listes existent, elles sont illégales. Les citoyens doivent refuser de se soumettre aux choix de l'administration.
Ils ne doivent pas avoir peur de maintenir le prénom choisi. La loi oblige l‘officier de l'état civil, au cas où il constaterait que le prénom n'est pas conforme à l'article 21, de soumettre le dossier à une commission qui s'appelle la Haute Commission qui statue dans le litige.
Autrement dit, ces listes qui existent depuis Driss Basri, ancien ministre de l'Intérieur, n'ont pas de valeur.

Est-ce que cette liste ne constitue pas, d'une certaine manière, une atteinte à la liberté de la personne ?

Tout à fait. La loi elle-même et non pas uniquement les listes. De nombreuses dispositions de cette loi portent atteinte aux libertés individuelles et au respect des droits humains. Aussi, je me demande que font nos parlementaires ? Pourquoi ils ont voté un texte pareil ? Pourquoi ils ne présentent pas des amendements qui protègent les Marocains des dérives et des abus ?
Où sont les constitutionalistes pour demander au conseil constitutionnel de contrôler la loi si elle est conforme à la constitution ou pas ?
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Histoire de la liste

C'est en 1996 que la fameuse liste des prénoms autorisés au Maroc voit le jour, suite à une circulaire transmise par l'ancien ministre de l'Intérieur Driss Basri à toutes les wilayas et préfectures du Maroc. Réalisée par l'historiographe et membre de l'Académie du royaume Abdelouhab Benmansour, la liste avait pour but d'éviter «l'occidentalisation» des prénoms marocains, sauf que dans la foulée, ont été inclus dans cette liste pratiquement tous les prénoms berbères. En 2002, un dahir l'annule, or dans la pratique, elle est encore largement utilisée dans plusieurs arrondissements. A titre d'exemple : en 2006 deux cas ont été enregistrés. Les prénoms «Amazigh» et «Sifaw» ont été refusés.

Aussi face à cela, et suite aujourd'hui à l'affaire «Illy», le Bureau exécutif du réseau amazigh pour la Citoyenneté qui considère que ce jugement injuste est basé sur une référence contradictoire au contenu de l'article 5 de la Convention de la lutte contre toutes les formes de discrimination raciale.

Par conséquent, il compte adresser un appel au Conseil des droits humains qui se réunira durant le mois d'avril pour la discussion du rapport global de la situation des droits humains au Maroc pour demander la levée de toute interdiction à l'égard des noms amazighs et réitèrent son appel à l'élimination et à la levée de toutes les formes de discrimination décidées contre Tamazight par le Haut Comité de l'Etat Civil.

Selon ce collectif, le fait de refuser un prénom berbère est en contradiction avec les déclarations faites par le Maroc devant les comités de l'ONU pour les droits humains, dont celles prononcées devant la réunion du comité pour les droits économiques, sociaux et culturels qui s'est tenue en mai 2006, devant laquelle le gouvernement a considéré que le sujet des noms amazighs a été traité de manière définitive.
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