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La femme d'Ijoukak de Christine Daure-Serfaty

«Cette histoire, qui est la mienne, est celle d'un retour. D'un double retour, en vérité : l'un dans un endroit perdu, oublié, magique et retrouvé, sous le col du Tizi n'Test, près de l'oued N'fis en amont d'Amizmiz, dans le Haut-Atlas. Si cela avait la moindre importance, je dirais bien que, faute d'y avoir passé ma vie entière, j'aimerais y être enterrée.

La femme d'Ijoukak de Christine Daure-Serfaty
L'autre dans le passé, celui de mon enfance, et aussi dans celui où avant, moi et en dehors de moi, ma vie a pris racine. Retour dans l'espace, retour dans le temps. Tout a commencé un soir, étrangement. Le hasard - il me prit tout à fait au dépourvu.»

Tout est dit dans ce petit extrait du roman de Christine Daure-Serfaty. «Le préféré de ses écrits», selon ses propres mots, édité chez Stock en France en 1997 et que les Editions Tarik viennent de sortir pour le public marocain.
Venue au Maroc en 1962 comme enseignante d'histoire-géographie, Christine Daure ne tarde pas à s'engager comme militante des droits de l'Homme. Durant des années, elle s'acharne à proclamer la libération des détenus politiques d'extrême gauche dont Abraham Serfaty dont elle devient l'épouse en 1986.
Elle a le mérite surtout d'avoir dénoncé les conditions de détention dans le bagne de Tazmamart. Elle vit actuellement à Marrakech avec son mari. Elle a publié plusieurs ouvrages dont Rencontre avec le Maroc (1986); Lettre du Maroc (2000) ; La mémoire de l'autre (1993) en collaboration avec Serfaty et Tazmamart (1992)
La femme d'Ijoukak est son premier roman.

Un double retour et une rencontre fortuite à Paris, celle d'un homme, celui par qui tout a commencé, et par qui tout va finir. Dans le tragique. Nous sommes à Ijoukak, une localité d'Amizmiz perdue dans les escarpements abrupts du Haut-Atlas. Mathilde, la fille d'un ancien contrôleur civil du protectorat dans la région, vingt neuf ans après que sa famille ait quitté le Maroc au lendemain de l'indépendance, vient de Marrakech où elle réside, à la recherche de bout de souvenir de son enfance dans la localité. «J'ai décidé de retourner dans la vallée simplement parce que j'en avais parlé avec lui». Lui, c'est l'homme rencontré à Paris et qui lui dit, sans plus d'explication, avoir vécu là bas et qu'il a l'intention d'y retourner pour construire une maison et y vivre.
Etait-ce la voix de son coeur qui lui dictait de s'y rendre ? La curiosité de dévoiler le mystère de cet homme qui parlait d'un coin perdu du Maroc comme d'un paradis à conquérir, une terre promise ?

Aurait-elle dû ne pas céder à la raison insondable du cœur ? Aurait-elle dû fermer les oreilles au chant des sirènes du passé, du sien comme de ses parents ? L'aurait-elle pu au regard des promesses de l'inconnu ?
Non, on est toujours sans défense face aux effluves enivrants de notre enfance, la nostalgie des lieux qui respirent encore notre passage.
Ijoukak est l'un des lieux de mémoire de Mathilde, dans ce vaste pays où elle est née, a grandi et tissé des souvenirs indélébiles. A Ijoukak, elle retrouve l'auberge où, encore enfant, elle avait l'habitude de descendre avec sa famille. Si le patron français est mort, sa femme est toujours là. Le vieux serveur, Lahcen dont le nom était associé au claquettement de la cigogne qu'il élevait.

Et puis c'est l'occasion ou jamais pour Mathilde d'en savoir un plus sur des gens de la région : l'ingénieur français Gelinek, sa femme mystérieusement devenue folle et qui errait seule dans la maison ; la servante berbère et bien sûr, l'homme de Paris qui désirait tant retourner à Ijoukak pour y passer sa vie.
Ne vous méprenez pas néanmoins. Il ne s'agit aucunement d'un récit à l'eau de rose, où l'évocation nostalgique des souvenirs du passé se dénoue dans la promesse d'un avenir de tendresse. Attendez vous plutôt à des surprises moins agréables. Il y a bien des cadavres dans les placards, que Mathilde, soudain s'improvisant comme détective, s'acharne à en sortir. Au risque d'ouvrir la boite de Pandore Le suspense est assuré.

On prend plaisir à lire ce roman, pour la beauté du texte d'abord ; et puis on aura du mal, une fois la lecture commencée, à s'empêcher d'y aller jusqu'au bout.
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Extrait

« Moi qui voulais tant savoir, je sais. Ce que ma mère voulait dire à Géraud, le secret caché au fond de ce trou noir vers lequel j'étais irrésistiblement attirée, je le sais. Et ce que je sais me donne envie de mourir.
Pourtant, si douloureux que ce soit, cela aussi je veux l'écrire pour Anne avant de décider.
De décider de quoi ?
J'essaie de reprendre mon calme, de réfléchir, mais je n'y parviens pas. »
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