Il a publié les livres suivants : Saints et société en Islam, CNRS EDITIONS, Paris, 1999, La ville dans la société bédouine, IEA, Université du Rabat, 2000, Etudes sahariennes (en arabe), Ed. Abou Ragrag, Rabat, 2005 (deuxième édition 2008), Sahara atlantique : Espace et homme (en arabe), (sous direction), Publication Agence du Sud, 2007, et Alkhayma. La tente noire du Sahara, (photos, S. Tazi), Marsam, Rabat, 2007, ainsi que de nombreux articles dans des revues académiques : Cahiers d'études africaines, Journal des africanistes, Islam et société au sud du Sahara, Politique africaine. Il a obtenu le prix Ibn Zohr de la recherche scientifique en 2007.
LE MATIN : L'avènement des Almoravides originaires de la Mauritanie au Sahara a permis l'unification des tribus de ce territoire entre 1042 et 1052, avec pour capitale Marrakech et plus tard la conquête d'une partie de la péninsule ibérique, Al Andalous. Avez-vous la même perception du Sahara ?
RAHAL BOUBRIK : Je ne m'attendais pas à cette question, mais je peux tout de suite vous révéler que le Sahara est pour moi synonyme de fécondité. Le Sahara a, de tout temps, façonné l'histoire politique, religieuse et économique du Maroc. En fait, depuis l'avènement des Almoravide au XIème siècle, et bien avant, le Sahara était au cœur des événements importants du Nord de l'Afrique. Le mouvement Almoravide, par exemple, était non seulement le premier mouvement qui a unifié le Maroc dans un Etat central, qui s'est étendu jusqu'à l'Espagne, mais aussi il a unifié le pays sur le plan religieux en instaurant la doctrine sunnite malikite comme doctrine officielle d'Etat. Le Sahara, dans une épaisseur historique plus large, était le pilier de l'économie de l'Etat marocain à travers le commerce transsaharien. Ce même Sahara, était un trait d'union entre les Etats, les sociétés et les cultures des deux rives : le nord de l'Afrique et les pays subsahariennes à travers les fameuses caravanes. En somme, le Sahara était acteur dynamique dans les événements qui ont jalonné l'histoire du Maroc.
Des dérives idéologiques et politiques ont essayé de minimiser cette dimension ?
Une lecture tronquée qui sépare le Maroc de sa profondeur régionale, qui est le Sahara, va contre le sens de l'histoire. Il est temps de parler du Maroc saharien au lieu d'insister toujours sur le Sahara marocain. Ce n'est pas un simple jeu de mots mais une interprétation fidèle qui reflète le rôle du Sahara et son droit
historique de revendiquer le Maroc comme le Maroc le revendique.
Le Sahara ne peut être donc qu'une région porteuse de sens et moteur de l'histoire comme il l'a toujours été.
Comment peut-on, selon vous, capitaliser ce rôle séculaire dans un processus politique actuel ?
Si j'ai bien démontré que le Sahara était un acteur dynamique de l'histoire du pays, je ne m'inscris pas uniquement dans un passé révolu. L'autonomie, par exemple, peut être un début pour un projet de développement et de démocratie locale non seulement à l'échelle du Maroc mais sur l'ensemble du Maghreb. Ce projet pourrait être la solution pour réaliser les vieux rêves de tous les Maghrébins. Chaque entité régionale, bénéficiera dans le cadre d'une décentralisation d'une préservation de ses spécificités culturelles et identitaires et disposera des ressources et des moyens pour assurer la gestion de son propre développement dans un esprit de complémentarité et de coopération et d'ouverture sans mettre en danger l'unité des structures étatiques existantes.
En effet, le Sahara peut constituer l'avant-garde de cet ambitieux projet parce que c'est la région la plus disposée actuellement avec le projet d'autonomie proposé par le gouvernement et qui bénéficie d'un réel soutien national et international même s'il reste encore des pas à franchir pour sa mise en œuvre.
En 1884, l'Espagne mit le Sahara sous son protectorat ; la prise de contrôle fut confirmée par la conférence de Berlin de 1884-1885. Les livres nous enseignent que ‘elle commença par établir des comptoirs commerciaux et une présence militaire. Les frontières n'étaient pas clairement définies, jusqu'au traité entre la France et l'Espagne datant du début du XXe siècle. Quelle analyse faite-vous de cet épisode colonial qui a contribué à la désintégration de cet ensemble, n'est-ce pas ?
Le pays maure trâb al-bidân) s'étendant de Oued Noun jusqu'au fleuve du Sénégal, qui était tourné vers le nord politiquement, culturellement et socialement, s'est trouvé partagé et divisé par et entre les puissances coloniales au début du vingtième siècle. Les conventions et les traités réglant la question des frontières entre la France et l'Espagne (1900, 1904 et 1912) ont morcelé le Sahara en multiples zones étanches qui devinrent par la suite des territoires isolés et fermés l'un à l'autre. Le Sahara a fini, ainsi, séparé de ses deux espaces vitaux :
le Maroc au Nord et ce qui va devenir la Mauritanie au Sud. Et même au sein de
ce même territoire, des tribus se sont retrouvées partagées entre des frontières qui ne correspondaient pas à leur territoire de parcours de nomadisme traditionnel. Objectivement, pour comprendre les vraies origines du problème du Sahara, il faut encore déchiffrer cette phase cruciale de la colonisation.
Les événements qui ont succédé, dans la région depuis la pénétration coloniale n'ont fait que renforcer cette optique de division. La situation s'est accentuée après la fin du Protectorat français en 1956 au moment où le Sahara est resté sous la domination espagnole. L'Armée de Libération fut écrasée dans l'une des plus grandes opérations militaires franco- espagnoles : l'opération Ecouvillon. Les conséquences de cette opération furent catastrophiques sur tous les plans.
A vrai dire, nous payons depuis des décennies le prix de la politique coloniale dans la région. Ceci dit, il ne faut pas tout mettre sur le dos de la colonisation, les Etats, les partis, les élites politiques portent une part de la responsabilité de ce qui s'est passé et ce qui se passe aujourd'hui.
En vous écoutant, j'ai la conviction que le Maroc Saharien a de multiples facettes qu'on ignore ?
Effectivement. Or, malheureusement, le Sahara n'est présent dans le paysage médiatique qu'à travers le prisme réducteur des événements politiques et faits divers. Il est temps de voir dans le Sahara autre chose que l'événementiel politique. Le Sahara avec ses splendides paysages désertiques, sa population, sa culture et son mode de vie nomade, a inspiré des poètes, des romanciers, a fait le lit de l'exotisme occidental, je cite à ce propos Michel Vieuchange, Saint-Exupéry, Ernest Psichari, Diego Brosset, Théodore Monod, Odette du Puigaudeau et sûrement d'autres dont l'œuvre est encore mal connue.
Savez-vous que Le Clézio, auteur qui a eu le prix Nobel de littérature cette année et qui est un grand homme de la littérature mondiale fut connu par son célèbre roman « Désert », dont la trame s'inspire poétiquement des paysages, des hommes et des événements historiques du Maroc Saharien. L'intérêt de Le Clézio pour le Sahara ne s'est pas arrêté à ce magnifique roman, au milieu des années 90, il parcourut le Sahara avec sa femme, Jemeia, une sahraouie de la tribu des Laarousiyin, jusqu'à la Saqya al-Hamra, foyer mythique de sainteté et effluve de l'imaginaire. De ce voyage initiatique naquit un beau livre au titre révélateur « Les gens des nuages ». Il est regrettable que ce volet patrimonial, esthétique et
romanesque du Sahara soit souvent occulté et absent du champ de la création
au Maroc et encore pire, sous médiatisé.
LE MATIN : L'avènement des Almoravides originaires de la Mauritanie au Sahara a permis l'unification des tribus de ce territoire entre 1042 et 1052, avec pour capitale Marrakech et plus tard la conquête d'une partie de la péninsule ibérique, Al Andalous. Avez-vous la même perception du Sahara ?
RAHAL BOUBRIK : Je ne m'attendais pas à cette question, mais je peux tout de suite vous révéler que le Sahara est pour moi synonyme de fécondité. Le Sahara a, de tout temps, façonné l'histoire politique, religieuse et économique du Maroc. En fait, depuis l'avènement des Almoravide au XIème siècle, et bien avant, le Sahara était au cœur des événements importants du Nord de l'Afrique. Le mouvement Almoravide, par exemple, était non seulement le premier mouvement qui a unifié le Maroc dans un Etat central, qui s'est étendu jusqu'à l'Espagne, mais aussi il a unifié le pays sur le plan religieux en instaurant la doctrine sunnite malikite comme doctrine officielle d'Etat. Le Sahara, dans une épaisseur historique plus large, était le pilier de l'économie de l'Etat marocain à travers le commerce transsaharien. Ce même Sahara, était un trait d'union entre les Etats, les sociétés et les cultures des deux rives : le nord de l'Afrique et les pays subsahariennes à travers les fameuses caravanes. En somme, le Sahara était acteur dynamique dans les événements qui ont jalonné l'histoire du Maroc.
Des dérives idéologiques et politiques ont essayé de minimiser cette dimension ?
Une lecture tronquée qui sépare le Maroc de sa profondeur régionale, qui est le Sahara, va contre le sens de l'histoire. Il est temps de parler du Maroc saharien au lieu d'insister toujours sur le Sahara marocain. Ce n'est pas un simple jeu de mots mais une interprétation fidèle qui reflète le rôle du Sahara et son droit
historique de revendiquer le Maroc comme le Maroc le revendique.
Le Sahara ne peut être donc qu'une région porteuse de sens et moteur de l'histoire comme il l'a toujours été.
Comment peut-on, selon vous, capitaliser ce rôle séculaire dans un processus politique actuel ?
Si j'ai bien démontré que le Sahara était un acteur dynamique de l'histoire du pays, je ne m'inscris pas uniquement dans un passé révolu. L'autonomie, par exemple, peut être un début pour un projet de développement et de démocratie locale non seulement à l'échelle du Maroc mais sur l'ensemble du Maghreb. Ce projet pourrait être la solution pour réaliser les vieux rêves de tous les Maghrébins. Chaque entité régionale, bénéficiera dans le cadre d'une décentralisation d'une préservation de ses spécificités culturelles et identitaires et disposera des ressources et des moyens pour assurer la gestion de son propre développement dans un esprit de complémentarité et de coopération et d'ouverture sans mettre en danger l'unité des structures étatiques existantes.
En effet, le Sahara peut constituer l'avant-garde de cet ambitieux projet parce que c'est la région la plus disposée actuellement avec le projet d'autonomie proposé par le gouvernement et qui bénéficie d'un réel soutien national et international même s'il reste encore des pas à franchir pour sa mise en œuvre.
En 1884, l'Espagne mit le Sahara sous son protectorat ; la prise de contrôle fut confirmée par la conférence de Berlin de 1884-1885. Les livres nous enseignent que ‘elle commença par établir des comptoirs commerciaux et une présence militaire. Les frontières n'étaient pas clairement définies, jusqu'au traité entre la France et l'Espagne datant du début du XXe siècle. Quelle analyse faite-vous de cet épisode colonial qui a contribué à la désintégration de cet ensemble, n'est-ce pas ?
Le pays maure trâb al-bidân) s'étendant de Oued Noun jusqu'au fleuve du Sénégal, qui était tourné vers le nord politiquement, culturellement et socialement, s'est trouvé partagé et divisé par et entre les puissances coloniales au début du vingtième siècle. Les conventions et les traités réglant la question des frontières entre la France et l'Espagne (1900, 1904 et 1912) ont morcelé le Sahara en multiples zones étanches qui devinrent par la suite des territoires isolés et fermés l'un à l'autre. Le Sahara a fini, ainsi, séparé de ses deux espaces vitaux :
le Maroc au Nord et ce qui va devenir la Mauritanie au Sud. Et même au sein de
ce même territoire, des tribus se sont retrouvées partagées entre des frontières qui ne correspondaient pas à leur territoire de parcours de nomadisme traditionnel. Objectivement, pour comprendre les vraies origines du problème du Sahara, il faut encore déchiffrer cette phase cruciale de la colonisation.
Les événements qui ont succédé, dans la région depuis la pénétration coloniale n'ont fait que renforcer cette optique de division. La situation s'est accentuée après la fin du Protectorat français en 1956 au moment où le Sahara est resté sous la domination espagnole. L'Armée de Libération fut écrasée dans l'une des plus grandes opérations militaires franco- espagnoles : l'opération Ecouvillon. Les conséquences de cette opération furent catastrophiques sur tous les plans.
A vrai dire, nous payons depuis des décennies le prix de la politique coloniale dans la région. Ceci dit, il ne faut pas tout mettre sur le dos de la colonisation, les Etats, les partis, les élites politiques portent une part de la responsabilité de ce qui s'est passé et ce qui se passe aujourd'hui.
En vous écoutant, j'ai la conviction que le Maroc Saharien a de multiples facettes qu'on ignore ?
Effectivement. Or, malheureusement, le Sahara n'est présent dans le paysage médiatique qu'à travers le prisme réducteur des événements politiques et faits divers. Il est temps de voir dans le Sahara autre chose que l'événementiel politique. Le Sahara avec ses splendides paysages désertiques, sa population, sa culture et son mode de vie nomade, a inspiré des poètes, des romanciers, a fait le lit de l'exotisme occidental, je cite à ce propos Michel Vieuchange, Saint-Exupéry, Ernest Psichari, Diego Brosset, Théodore Monod, Odette du Puigaudeau et sûrement d'autres dont l'œuvre est encore mal connue.
Savez-vous que Le Clézio, auteur qui a eu le prix Nobel de littérature cette année et qui est un grand homme de la littérature mondiale fut connu par son célèbre roman « Désert », dont la trame s'inspire poétiquement des paysages, des hommes et des événements historiques du Maroc Saharien. L'intérêt de Le Clézio pour le Sahara ne s'est pas arrêté à ce magnifique roman, au milieu des années 90, il parcourut le Sahara avec sa femme, Jemeia, une sahraouie de la tribu des Laarousiyin, jusqu'à la Saqya al-Hamra, foyer mythique de sainteté et effluve de l'imaginaire. De ce voyage initiatique naquit un beau livre au titre révélateur « Les gens des nuages ». Il est regrettable que ce volet patrimonial, esthétique et
romanesque du Sahara soit souvent occulté et absent du champ de la création
au Maroc et encore pire, sous médiatisé.
