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«Le patrimoine judéo-marocain ne peut qu'être préservé»

Devant un parterre d'amateurs de bonne musique, le grand Maxim s'est éclaté lors d'une soirée mémorable. Un moment fort des Andalousies atlantiques à Essaouira.

«Le patrimoine judéo-marocain ne peut qu'être préservé»
LE MATIN : Toute votre vie vous avez baigné dans la musique judéo marocaine. Que représente-t-elle pour vous aujourd'hui ?

Maxim Karoutchi :
La musique représente beaucoup de choses pour moi, notamment de l'émotion. Aujourd'hui, avec mes frères, on essaie de maintenir la flamme du patrimoine judéo marocain que nous est transmise depuis 6 générations. Il y a quelques années, on m'a surnommé dans un article de presse « le dernier des Mohicans ». Quand j'ai vu ce titre, passée la fierté, j'ai senti le poids de cette responsabilité et le devoir de défendre ce patrimoine.

Vous dites souvent qu'il y a une façon « juive » de chanter. Qu'est-ce qu'elle a de spécial ?

Effectivement, cette manière de chanter est beaucoup plus profonde. C'est celle de quelqu'un qui veut toujours défendre son identité. Un citoyen musulman marocain, se sent déjà marocain. C'est un acquis. Alors qu'un juif marocain doit doubler d'effort, que ce soit sur le plan artistique ou patriotique en affirmant à chaque fois qu'il est d'abord Marocain avant d'être de telle ou telle confession. Mais le plus important, c'est de transmettre ce patrimoine. La musique, c'est un seul langage même si elle est chantée dans différentes langues.

Le patrimoine judéo marocain est tellement riche qu'on se demande s'il faut le moderniser pour qu'il puisse survivre encore ou le moderniser. Vous êtes pour quelle thèse ?

Il est clair qu'il faut le préserver. Toutes les musiques évoluent et chaque chanson peut être interprétée d'une manière différente. L'essentiel c'est de ne pas tomber dans l'imitation. La chanson judéo marocaine est chantée par tout le monde. Quand on écoute « Al Attar », « Kaftanek mahloul », « Ayli wa'di lalla »… on n'est pas censé connaitre leur origine. Ce qui est important c'est qu'elles continuent d'être interprétées par différents chanteurs. Et ça c'est extraordinaire.

Quel regard jetez-vous aujourd'hui sur ce grand patrimoine ?

Je pense que si on en parle aujourd'hui c'est que le message est passé. Ce qui est arrivé, c'est qu'il y a eu plusieurs périodes exodes. Mais il est une théorie que j'aime beaucoup à répéter. Prenez un arganier et essayez de le cultiver en France ou ailleurs, il ne donnera jamais l'argan d'origine. Il en est de même pour les juifs marocains qui ont quitté leur pays. Ils restent attachés à leur patrimoine marocain. Notre histoire est tellement riche qu'on ne peut pas l'effacer du jour au lendemain à causes de tel ou tel conflit. En s'exilant, les gens restent en deuil. Je le constate quand je me produis aux Etats-Unis ou ailleurs. Je les sens assoiffés de patrimoine. Ils me demandent parfois des chansons que je connais parce que j'ai baigné dans une famille d'artistes, autrement, je n'aurais pas connu tout ce répertoire. Mon père chantait et nous-mêmes faisons tout pour le préserver. Malheureusement, toute une génération le méconnait et ne fait rien pour y remédier. Ils ignorent les œuvres de Brahim Alami, Fouiteh… et tous ceux qui ont fait la gloire de la chanson marocaine.

Que vous appris votre père à propos de cette musique et qu'est ce qu'elle vous a appris elle-même ?

Maman, comme toutes les mères de l'époque, avait une petite radio dans la cuisine. Elle était « Moulou'a », une mordue de musique. Elle adorait les chansons classiques «d'Oum Keltoum, Abdelwahab ainsi que celles marocaines. Mon père, lui, avait une technique assez spéciale. C'est quelqu'un qui a toujours baigné dans la musique avec son père et son grand père. Mais il ne nous jamais rien imposé. Il était toujours là à nous demander si on connaissait telle ou telle chanson et si on voulait l'apprendre. Il a un registre extraordinaire, sachant qu'il ne sait ni lire ni écrire. Tout est préservé dans sa mémoire. Aujourd'hui encore, chaque fois que j'ai besoin de quelque chose je lui demande conseil, bien que je vole de mes propres ailes depuis 17 ou 18 ans. Il est toujours là pour me conseiller et me suggérer telle chanson pour tel concert. Avec les nouvelles technologies, on peut enregistrer sur Internet. C'est de cette manière que je préserve le patrimoine. Cela dit, je ne refuse pas que mon fils suive mes traces, j'en serais même fier. Mais à chacun son chemin.

Est-ce que vous aimeriez que votre fils prenne le relais pour que la chaîne ne s'interrompe pas au bout de la 6e génération ?

Je ne pense pas qu'il y aura interruption, parce que c'est une musique qui est très riche. C'est un patrimoine qui ne peut qu'être préservé d'une manière ou d'une autre, si ce n'est en l'écrivant, ce sera en le chantant. Mais il sera toujours là.

De quelle manière est-ce que vous essayez d'enrichir votre répertoire ?

Je suis un grand collectionneur. J'ai, chez moi, une bibliothèque qui contient des archives de toutes sortes. Je suis désolé de voir que de nos jours, quand on parle de la chanson marocaine on évoque toujours le « melhoun », « andaloussi », mais on ne fait rien pour les enseigner. La dernière édition du « Haïk » (notre patrimoine andalou) remonte à 1976. Je demande aujourd'hui à ce qu'on l'impose au conservatoire et dans les écoles. Quand j'étais à l'école « maïmonide », mon professeur d'arabe qui était un accordéoniste de Samy El Maghribi, nous apprenait une fois tous les vendredis la poésie et la musique andalouses pendant une heure. C'est lui qui m'a appris Chamsou l'achi» et beaucoup d'autres chansons que j'ai trouvées extraordinaires. Alors pourquoi ne pas l'imposer aujourd'hui pour qu'elle devienne quelque chose de naturel et de spontané et inciter la nouvelle génération à faire des recherches. Je ne comprends pas pourquoi on enseigne un Victor Hugo et pas les poètes du «melhoun » et dans les conservatoires on n'entend que Oum keltoum et Abdelwahab. J'en suis fou de rage. Il faut imposer la musique marocaine et défendre notre pays. Il est vrai que nous sommes ouverts à toutes sortes de cultures mais il faut que nous soyons un peu plus chauvins.

Vous êtes un grand artiste avec un potentiel énorme et pourtant on ne vous voit pas beaucoup à la télévision. Pourquoi ?

Pour la simple raison que j'aimerais, qu'avant moi, d'autres artistes soient mis en valeur. Je gagne ma vie grâce aux mariages que j'aime beaucoup parce qu'ils me permettent d'être près de mon public. J'adore le faire danser. Il y a d'autres artistes qui ont fait la gloire de la chanson marocaine. Ceux là même dont je reprends les chansons. C'est donc grâce à eux que je vis et c'est à eux que je voudrais rendre hommage. Que les gens m'écoutent dans les mariages et qu'ils apprécient mes chansons, c'est tout ce que je cherche. Ces derniers temps on a fait appel à moi à la télévision pour animer des émissions mais j'ai refusé parce qu'on m'a imposé un quota de chansons du golf plus élevé que celui des chansons marocaines. J'ai refusé. Je suis là pour défendre mon pays.
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Maxim, le nostalgique

Natif de Casablanca, ce fils de l'ancienne Médina est fier de ses origines et d son quartier où la cohabitation était exemplaire. « Elle représente la vraie vie marocaine », répète-il à qui veut l'entendre. Pour quelqu'un qui a vécu dans un milieu où tout le monde se connaît comme dans une famille, il a du mal à accepter l'individualisme régnant. « Je me rappelle que dans l'immeuble où j'habitais les portes étaient ouvertes. Cela me manque aujourd'hui », affirme-t-il. Pour anecdote, il raconte : « Le jour où j'ai quitté l'ancienne Médina pour habiter ailleurs, le premier geste que j'ai fait c'était inviter, spontanément, mes voisins, mais aucun d'eux n'a répondu à mon invitation. Il a fallu attendre que je sois responsable du syndic pour que je les réunisse et chante pour les décoincer. Je leur ai expliqué qu'on est une famille. C'est de cette manière que j'ai grandi. J'ai besoin de voisins sur qui je peux compter en cas de problème. Le Marocain est connu pour son hospitalité. C'est quelque chose qu'il faut préserver ».
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