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«Un festival a constamment besoin de mouvements pour ne pas s'engraisser»

«Mawazine», cette année, c'est 103 concerts, 9 scènes, 9 jours, 40 pays, un colloque international et des expositions. Le directeur artistique de “Mawazine” revient sur les spécificités de cette édition.

«Un festival a constamment besoin de mouvements pour ne pas s'engraisser»
Le Matin : En occupant le poste de directeur artistique de ce festival, y avait-il des changements impératifs à opérer vis-à-vis du concept «Mawazine» ?

Aziz Daki :
Le concept fondateur du festival «Mawazine» repose sur les rythmes des musiques africaines et sud-américaines.
Ce concept donne son identité au festival et brise l'idée communément admise sur Rabat comme étant une ville administrative qui dort tôt. Il n'y avait donc aucun impératif à modifier dans le concept du festival qui est cohérent, ambitieux et permet à Rabat de montrer sa vocation de ville ouverte sur le monde, capable d'accueillir les sons les plus lointains et les plus audacieux.

Un festival est d'abord un ‘'esprit''. «Mawazine» aussi avait le sien créé par son premier directeur artistique Chérif Khaznadar. Mais cet “esprit'' a «disparu» après les quatre premières années du festival, ce qui a affecté en quelque sorte son éclat bien particulier et sa démarcation par rapport aux autres manifestations artistiques au Maroc. Y a-t-il donc un moyen pour y remédier ?

Chérif Khaznadar a fait un bon travail durant les premières éditions de «Mawazine». Mais je pense qu'il sera le premier à reconnaître que pour qu'un festival vive longtemps, il faut opérer régulièrement un changement à la tête de la direction artistique.

Un festival ressemble à un organisme avec un fort penchant à l'embonpoint. Il a constamment besoin de mouvements pour ne pas s'engraisser. Il est difficile pour un directeur artistique de tenir plus de cinq éditions à la tête d'un festival. Il apporte au début sa vision par rapport à la programmation et élabore une stratégie sur trois ou quatre années. Mais ce qui fait la force d'un directeur artistique, à savoir sa connaissance de certaines musiques et sa vocation à les faire découvrir, devient au fil des ans un handicap parce qu'il finit par faire le tour des artistes qu'il «aime» et se ferme à tout ce qui ne cadre pas avec ses penchants esthétiques. Il y a bien entendu des exceptions, mais c'est rare.
La programmation de cette année répond aux orientations du président du festival «Mawazine», Mounir El Majidi. Il a voulu un festival cohérent, ambitieux et qui obéit à l'impératif de conjuguer qualité et popularité.

Ne pensez-vous pas qu'avec plusieurs chargés de programmation, "Mawazine" ne possède plus cette unicité et cette harmonie qu'il avait pendant les premières années, alors que c'est le seul festival du Maroc qui a commencé très fort ?

«Mawazine», cette année, c'est 103 concerts, 9 scènes, 9 jours, 40 pays, un colloque international et des expositions. Pensez-vous qu'un seul homme puisse orchestrer toutes les programmations du festival ? Là où vous pointez un défaut, je vois la preuve d'un professionnalisme et d'une force. Nous sommes une équipe soudée autour d'un projet dont les lignes ont été définies par le président du festival, Mounir El Majidi et par son conseiller Rachid Slimi. L'équipe comprend plusieurs soldats de l'ombre et quatre personnes chargées de la programmation. Mahmoud Lamseffer s'occupe de la programmation orientale, Hassan Nafali de celle marocaine, Nasser El Houari des «takassims» et moi de ce qui est international. Je doute qu'un seul homme soit capable d'agir avec efficacité au niveau de ces quatre sphères.

En parcourant la programmation de la 7e édition, nous remarquons très vite que certains pays sont représentés plusieurs fois que d'autres. Pourquoi cette disproportion quantitative ?

C'est d'abord la qualité qui dicte la sélection des artistes et non pas la répartition entre le nombre de pays. Durant cette édition, nous avons veillé à inviter des artistes qui ont une actualité artistique. La plupart d'entre eux viennent de sortir un album ou sont en train de le faire. Si nous avons plus d'Américains ou d'Espagnols, c'est parce qu'ils ont tous une actualité artistique qui justifie leur présence à «Mawazine».

Pour la répartition des artistes sur les scènes, nous pouvons déceler, par exemple, que celle de Bouregreg est réservée aux artistes internationaux de renom, celle de Hay Nahda aux artistes en majorité arabes, celle de Moulay Hassan à ceux marocains. Avec ce départage, nous avons l'impression d'avoir de petits festivals dans un grand festival. Cela ne risque-t-il pas de porter atteinte à l'homogénéité de tout cet ensemble ?

Bien au contraire, chaque scène présente une cohérence au niveau de la programmation des artistes qui s'y produisent. Avec neuf scènes, on ne pouvait pas mélanger les genres. El la tâche d'un directeur artistique consiste aussi à veiller sur le respect des grands équilibres dans une programmation, y compris du point de vue des prestations par scène. Cette édition est réfléchie de façon à ce que chaque scène présente une homogénéité par rapport aux artistes qui s'y produisent. Il faut noter que les artistes marocains ne se produisent pas seulement sur la scène Moulay Hassan. Nombre d'entre eux, dont quatre formations de musique urbaine, donnent des concerts à la scène Al Qamra. Mieux encore: le festival produit cette année un spectacle intitulé «Les voix des années 70» qui rassemble pour la première fois Nass El Ghiwane, Jil Jilila, Lamchaheb et Tagada.

Pourquoi n'avez-vous pas prévu une star marocaine pour représenter le Maroc auprès des étoiles internationales sur la scène Bouregreg ?

Comme je vous ai dit, les scènes n'obéissent pas à une hiérarchisation, mais à des impératifs liés à la cohérence de l'ensemble des prestations et parfois même à la technique. Il est difficile de faire jouer un artiste marocain sur une même scène que Juanes par exemple. Les instruments de musique ne sont pas les mêmes, les réglages extrêmement lents. Ce qui aurait nécessité un temps mort énorme entre le passage d'un artiste et un autre. Le public ne manquerait pas dans ce cas de figure de marquer son impatience en protestant.

Concernant toujours la programmation, ne croyez-vous pas qu'elle soit trop riche et laisse, sans aucun doute, le spectateur dans l'embarras du choix ?

Je préfère qu'on nous reproche la richesse de la programmation plutôt que son indigence.
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Daki, l'éclectique

Docteur en littérature et en histoire de l'art, Aziz Daki entame sa carrière professionnelle en tant que journaliste au quotidien «Aujourd'hui Le Maroc», avant de rejoindre l'Université d'El Jadida où il enseigne dans le département «langue et littérature françaises». Ce jeune ambitieux est, aussi, l'auteur de deux livres et de plusieurs textes sur les arts plastiques au Maroc. Dans son journal saharien, il a su conjuguer son talent de reporter et sa sensibilité de critique d'art pour tenir un carnet de route qui est en quelque sorte une véritable invitation au voyage adressée au lecteur.

A. Daki a représenté le Maroc dans plusieurs manifestations culturelles de grande envergure dont le troisième colloque international «Chantier Sud-Nord», comme il a pris part à la création du Festival «Printemps d'Azemmour».
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