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Les Croates et l'Islam

SE. M. Darko Bekic : Ambassadeur de la République de Croatie au Maroc

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Généralement, les relations entre l'Occident et le monde musulman se sont tellement détériorées qu'aujourd'hui on peut parler - largement justifié - des tendances d'une islamophobie à l'Occident et, d'autre côté, d'un anti-occidentalisme virulent dans certains pays et couches de la population du monde musulman.

Ce n'est certainement pas le cas dans les relations croato-musulmanes ! Car ni l'histoire ni la réalité actuelle de nos rapports n'ont presque rien avec celles entre l'Europe occidentale et le monde musulman. Formant une petite nation européenne, les Croates n'ont jamais eu leur Lord Kitchener, général Lyautey ou le Caudillo, dont les exploits coloniaux nous auraient pu donner un sens de supériorité ou d'une mission civilisatrice.

Egalement, dans les villes croates il n'y a pas de grandes communautés immigrantes qui gonflent les bidonvilles occidentaux. Grâce à cela, les Croates ne souffrent non plus d'un syndrome de culpabilité envers le tiers monde (typique pour la psyché chrétienne !) qui hante l'Occident mais, ironiquement, surtout l'intelligentsia gauchisante et athéiste.
Au contraire, les Croates ont été, eux-mêmes, victimes de l'invasion d'un empire islamique - celle des Ottomans - qui a duré presque quatre siècles. Dans la lutte pour la survie nationale, on a perdu une moitié du territoire et la population a été décimée par l'extermination, la conversion à l'Islam ou par l'émigration.

La diaspora croate - du Canada à la Nouvelle Zélande-est actuellement plus nombreuse que la population entière de la Croatie (4,5 millions) ! Mais, quand on vit à côté d'autrui pour une période assez longue, des différences commencent à se mêler et les relations graduellement surpassent le dualisme simple et pur de la haine et l'amour. Dans ces conditions spécifiques, une «mentalité frontalière» s'est développée : les Croates-fiers Catholiques et Européens – ont contracté certains traités de la civilisation et de la culture islamiques et,
vice-versa, les musulmans bosniaques se sont bien «occidentalisés», malgré le dogmatisme strict du Coran.

Prenons quelques exemples : dans les «reliquiae reliquiarum» («les restes des restes») de la Croatie, aux 16e et 17e siècles (alors appartenant a l'empire autrichien), la misère des paysans était si profonde que les nombreux Croates se sont réfugiés vers la côte ottomane. La vie des couches populaires sous l'Islam était moins dure que sous les Habsbourgs - particulièrement si on se convertit à la foi musulmane ! Au 17e siècle, le Saint Siège a chargé un jésuite croate, nommé Bartol Kasic, d'une mission aux pays occupés par les Ottomans, dans la Bosnie.

Son témoignage a choqué le Pape, parce que le degré des libertés, la tolérance sociale et religieuse au-delà de la frontière étaient inimaginables dans l'Europe féodale. D'un autre côté, après le recul de l'empire ottoman des Balkans, à la fin du l9e siècle, les musulmans de Bosnie ont majoritairement opté de rester dans une Europe devenue libérale, que de se réfugier vers la Turquie. Certes, le fait que, ethniquement et linguistiquement, ils ont été de même souche slave que leurs confrères croates et que beaucoup de familles étaient, en effet, mixtes, a facilité les choses… Le nationalisme bourgeois croate du 19e et au début du 20e siècle était très favorable envers les musulmans parce qu'il les a considérés comme les «alliés naturels» face aux desseins de l'hégémonie régionale de la Serbie. Ainsi, en 1916, le Parlement croate a adopté la loi qui a égalisé le statut de la foi musulmane avec celle de l'Eglise catholique et pendant la Seconde guerre mondiale, les Oustachi - quislings pro-Nazi - ont même proclamé les musulmans-«Les fleurs de la nation Croate»!

Ce n'était certainement pas le cas d'un autre Croate, Maréchal Tito, le commandant héroïque de la résistance communiste contre les hitlériens et - plus après -fondateur du mouvement des Non-alignés. En mai 1945, dès qu'il est entré à Zagreb, il a passé par les armes l'Imam Ismet ef. Muftic et ordonné la démolition des trois grands minarets de la mosquée de la capitale croate. Le bâtiment, lui-même, a été transformé en un «Musée de la Révolution». C'était seulement après la mort de Tito, en 1987 (1407.H), que la petite communauté musulmane de Croatie (environ 20-25.000 croyants) a réussi à édifier une nouvelle mosquée. A part de cette grande mosquée qui ne sert pas seulement comme un lieu de prière mais qui est aussi bien considéré comme un des bijoux de l'architecture moderne de la ville de Zagreb, il existe en Croatie une vingtaine d'autres mosquées et «masjids» qui servent les besoins spirituels de musulmans.

Par ailleurs, il faut admettre que-grâce à Tito et sa politique de «fraternité et unité»-la Bosnie-Herzégovine-majoritairement musulmane-a été constituée au sein de la fédération yougoslave et qui est aujourd'hui un pays indépendant et voisin de la Croatie. Tout cela, évidemment, contribue à l'harmonisation entre le peuple majoritaire et la minorité bosniaque en Croatie. Prenons un exemple ici au Maroc.

L'ambassade de Croatie voulait aménager son rez-de-chaussée en un «Espace pour la promotion culturelle et économique» mais il n'avait pas des ressources suffisantes. Il nous a suffit seulement d'un coup de téléphone pour que la petite communauté bosniaque, constituée de quelques réfugiés des guerres de Balkans, nous assure la donation pour aménager l'«Espace» ! Le 18 septembre prochain, à l'occasion de «La Nuit des Galeries» à Rabat, dans cet «Espace», il y aura le vernissage d'exposition de Nourredine Trtovac, un des meilleurs artistes plasticiens croates, appartenant à la minorité musulmane. Le mot d'introduction sera donné par l'Imam de Zagreb, qui - déjà pour une deuxième fois - participe aux causeries religieuses de Ramadan, à l'invitation de Sa Majaesté le Roi Mohammed VI.
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