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L'opinion des jeunes : les médias américains, ou le petit bout de la lorgnette

Eman Bukhari et Nirja Parekh : Respectivement étudiants à l'Université américaine de Sharjah et à l'Université Brandeis.

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Aux Etats-Unis, on part automatiquement de l'hypothèse que tout ce qui est arabe et islamique est intrinsèquement anti-américain. Les médias participent à cette distorsion de l'opinion et l'exacerbent. La présentation des relations entre le monde musulman et l'Occident par les médias américains doit être considérée sous deux angles: d'une part, la diffusion d'une image tendancieuse des Arabes et des musulmans; d'autre part, une présentation simpliste de la politique étrangère des Etats-Unis. Les médias ont le pouvoir de créer des stéréotypes et d'influencer l'opinion et la réflexion publiques.

En publiant systématiquement des articles présentant des groupes musulmans extrémistes et décrivant des Arabes violents ou anti-américains, les médias propagent une image faussée de la société arabe et de l'islam, sans jamais évoquer les raisons du mécontentement arabe. Il faudrait plutôt rechercher les causes de leur furie, à savoir la politique étrangère américaine au Moyen-Orient, et non pas ressasser les actes de violence commis par une petite minorité. Mark Fishman, théoricien des communications de masse, analyse le processus de production des nouvelles.

Selon lui, "En agissant en fonction de notre conception de la réalité des choses, nous contribuons activement à créer une telle réalité". En fait, l'islam intrinsèque tel que le présentent les moyens de grande diffusion américains n'est pas forcément authentique, mais cette image participe à la perpétuation de certains clichés. Ainsi, dans les articles sur la guerre d'Irak, les nombreux récits d'attentats kamikazes insistent souvent sur l'implication d'un islam fondamentalement aveugle et fanatique. Les médias ont la responsabilité de présenter une image juste et équilibrée de l'identité musulmane. Ils doivent aider à faire comprendre les enjeux de politique étrangère au Moyen-Orient, dont les conséquences sont en partie responsables de la montée d'une identité musulmane radicalisée.

En 2006, John Esposito, professeur bien connu de l'Université de Georgetown, a fait paraître les résultats d'une enquête de l'institut Gallup dans laquelle on demandait à des musulmans modérés et extrémistes ce qui leur plaisait aux Etats-Unis. Ils ont tous cité en priorité la technologie, le système politique, la démocratie, les droits de l'homme, la liberté de parole et l'égalité hommes-femmes. Interrogés sur ce qu'ils n'aimaient pas, beaucoup ont répondu: la politique étrangère américaine au Moyen-Orient. Pour eux, les Etats-Unis exploitent la démocratie pour servir leurs propres intérêts et ceux de leurs alliés au Moyen-Orient, mais pas les intérêts des populations.

Ainsi, les Etats-Unis apportent un soutien politique et militaire à Israël, bien que la politique de ce pays aille à l'encontre de leurs propres valeurs. Après l'effondrement de l'impérialisme au début du 20e siècle, les comportements du monde musulman ont changé. Les gens se sont tournés vers la religion, voyant là le moyen de rejeter et de défier une politique de l'Occident que leurs gouvernements avaient été forcés de suivre pendant de si longues années. Les gouvernements qui continuaient de soutenir cette politique pro-occidentale étaient considérés comme des alliés de l'impérialisme et tenus pour responsables de faire passer les intérêts de puissances étrangères avant ceux de leurs peuples. A force, les victimes de cette oppression politique ont fini par reporter leur colère sur ces mêmes puissances étrangères.

Ainsi que le montre ce bref rappel à l'histoire, la rancœur des musulmans contre l'Occident découle d'un passé impérialiste associé, aujourd'hui, à une politique occidentale qui est perçue comme injuste. Pourtant, l'influence des médias aux Etats-Unis est telle que l'opinion attribue la tension et la violence antioccidentale, non pas à la politique étrangère, mais uniquement à des différences culturelles et religieuses. Pour Noam Chomsky, intellectuel et écrivain militant, "le public est exposé à de puissants messages persuasifs venus d'en haut … les dirigeants exploitant les médias pour susciter dans l'opinion publique des sentiments de soutien, de soumission et, tout bonnement, de confusion". Les théories polarisantes exposées dans "The Roots of Muslim Rage", de Bernard Lewis, et "Le conflit des civilisations", de Samuel Huntington, sont fréquemment reprises par les médias, qui les utilisent pour exercer une influence négative sur la perception que nous avons de l'autre.

Ces deux chercheurs affirment qu'islam et Occident sont incompatibles. Bien sûr, de nombreux ouvrages favorisent une image positive des milieux musulmans, ceux d'Edward Saïd, par exemple, mais ils ne sont pas majoritaires. En leur donnant une plus grande diffusion, ils pourraient fortement contribuer à façonner l'opinion. Le public a tendance à simplifier les idées complexes et à se contenter de conclusions toutes faites. Il est du devoir solennel des médias de chercher à se doter d'une grille de lecture objective dans son information du public. Les médias américains décrivent généralement la politique étrangère et les actions des Etats-Unis au Moyen-Orient comme des initiatives visant à propager la démocratie et le capitalisme et à maintenir la paix.

Ces simplifications ne font rien pour diffuser une vision équilibrée du point de vue des musulmans et de celui des Américains. Mais les médias américains ne sont pas les seuls à blâmer pour cette impression faussée des musulmans par l'opinion américaine. Dans la mesure où les groupes musulmans minoritaires et leurs actes ont force de stéréotype dans les médias de masse, il appartient aux musulmans majoritaires de faire un effort concerté pour contester ces images et ces définitions. Par leurs paroles et par leurs manifestations, les musulmans peuvent changer la situation. Encore faut-il qu'ils parlent d'une seule voix et qu'ils manifestent ouvertement la diversité bien réelle qui les caractérise.

Pour pouvoir contester ces images, il faudra que les deux parties agissent dans le sens du changement. En l'occurrence, il est évident que ce ne sont pas les Etats-Unis seuls, mais les musulmans aussi, qui doivent casser les idées toutes faites. Les musulmans eux-mêmes ne se sont jamais vraiment attaqués à ces clichés et n'ont rien fait pour se faire connaître tels qu'ils sont dans leur réalité. S'ils se décidaient à se faire représenter sous un jour positif dans les médias, ils aideraient l'Occident à se débarrasser de ses préjugés mal placés.
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