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Samedi 04 Mai 2024
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«Les travaux des tisserandes berbères sont des œuvres d'Art à part entière»

«Tapis et Tissage, l'Art des femmes berbères au Maroc», un ouvrage à travers lequel F. Damgard révèle sa passion pour le Maroc. Il tente selon lui de mettre en valeur la partie cachée de l'iceberg qu'est la culture marocaine.

«Les travaux des tisserandes berbères sont des œuvres d'Art à part entière»
LE MATIN : Comment vous est venue l'idée d'écrire cet ouvrage à travers lequel vous avez rassemblé un immense héritage patrimonial de tapis berbères ?

FREDERIC DAMGAARD :
Cet ouvrage sur l'Art des femmes berbères est le fruit d'une longue passion pour l'art et la culture marocains. Passion commencée il y a plus de trente ans. Au fil de ces longues années passées dans ce beau pays, je me suis aperçu que la culture marocaine est comme un iceberg ou la majeure partie est cachée et invisible. La partie visible en revanche est connue parfaitement par tout le monde, notamment les villes impériales, les mosquées des grandes cités, les casbahs grandioses et beaucoup d'autres merveilles du riche legs patrimonial, très apprécié aussi bien par les Marocains que par les étrangers. Pour mettre en exergue le trésor méconnu, je me suis, personnellement, beaucoup plus intéressé à découvrir cette partie immergée de l'iceberg, et plus précisément l'art berbère, l'art rural et l'art populaire dans leurs diverses manifestations. Ici dans cet ouvrage, j'ai essayé de faire découvrir les multiples aspects de l'art des femmes berbères, afin de partager avec le public mon admiration et mon enthousiasme pour les créations dans le domaine des tapis et tissages de ces femmes berbères. Ces travaux qui méritent bien d'être considérés comme des œuvres d'Art à part entière.

Ne croyez-vous pas que ce travail est la continuité de ce que vous avez entrepris avec les artistes d'Essaouira ? Ces derniers que vous avez pu présenter un peu partout dans le monde ?

En effet, j'ai eu l'honneur, pendant vingt années, d'exposer les artistes singuliers d'Essaouira. J'ai pu découvrir une pléiade de nouveaux créateurs spontanés et indemnes de tout apprentissage académique. Beaucoup de ces artistes singuliers, qui ont maintenant une renommée internationale, sont de souche et de culture berbère. Les couleurs vives et la fantaisie de leurs tableaux montrent très clairement leur filiation à l'art et la culture des berbères.
En parallèle, les tisserandes berbères et leurs créations artistiques avec des couleurs et graphismes étonnants sont assez proches de l'esprit des artistes souiris. D'ailleurs, elles sont issues de la même culture et des mêmes traditions ancestrales. C'est donc très logique de remplacer la passion pour l'art d'Essaouira, par celle de l'art des femmes berbères. Encore un univers artistique surprenant, qui mérite d'être mieux connu et mieux estimé.

Comment s'est fait le choix des tapis et tissages rassemblés dans votre ouvrage ?

Les tapis, tissages, broderies et autres textiles rassemblés dans cet ouvrage ont été sélectionnés en raison de leur qualité et de leur valeur artistique, afin de présenter cet univers de créativité des femmes berbères qui constitue sans doute la plus importante des faces cachées de l'art et de la culture du Maroc.
La tradition de tissage est aussi une des manifestations artistiques les plus anciennes du Maroc, comportant souvent des signes et des symboles hérités des arts préhistoriques.

Y a-t-il des échos de cet art des tapis berbères à l'extérieur du Maroc ?

Depuis un certain temps, plusieurs musées au Maroc et à l'étranger ont mis à l'honneur les tissages berbères, non pas à cause de leur ancienneté, mais vue leur valeur artistique sans conteste. C'est ainsi que le nouveau Musée des Arts Premiers, Quai Branly à Paris réserve une large place à l'art des femmes berbères. En Belgique, aussi, il y a eu deux grandes expositions au Musée Royal de l'Afrique à Tervuren et au Palais des beaux-arts à Bruxelles. Les Musées Louisiana à Copenhague, le Musée de Zurich et celui de Clermont-Ferrand
et d'autres ont confirmé le talent artistique des femmes berbères qui ont obtenu,
actuellement, une reconnaissance internationale par des grands critiques d'art et autres esthètes.

Dans votre ouvrage, vous évoquez, également, les nombreux artistes plasticiens européens qui furent influencés par les designs des tapis berbères ?

Exact. Au début du siècle dernier, les tapis et tissages berbères ont influencé plusieurs grands artistes européens au commencement de l'art des abstractions et du cubisme. Il faut ici citer tout particulièrement le célèbre architecte et artiste-peintre, Le Corbusier, qui collectionnait les tapis berbères et les exposa à Paris. Il enseigna notamment à ses disciples à l'école des Beaux Arts et d'Architecture cette théorie : « … faire comme les berbères, allier à la géométrie la plus notoire fantaisie ». On doit aussi nommer Paul Klee et Wassily Kandinsky qui tous les deux sont, également, venus en Afrique du Nord et ont été impressionnés par la lumière, les architectures rectilignes et les tapis berbères aux motifs géométriques. Ils ont, ainsi, peint des œuvres extraordinaires qui ont révolutionné leur carrière et même toute leur conception de l'art moderne. Aussi bien Klee que Kandinsky étaient professeurs à la célèbre école d'art et d'architecture, le Bauhaus à Weimar, où ils ont enseigné et écrit des textes et des théories qui font état de leur admiration pour l'art berbère. Ce sont des textes très importants dans l'histoire de l'art qui ont influencé beaucoup d'autres artistes dans l'art moderne européen.Ainsi, d'autres maîtres de la peinture sont venus au pays berbère trouver davantage d'inspiration et d'enseignement.
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Le passionné du Maroc

Historien d'Art, membre de l'Académie du Var (Toulon) et de l'Académie des « Arts-Sciences-Lettres » (Paris), ayant à son actif plusieurs livres écrits ou traduits, Frédéric Damgaard s'est installé au Maroc, depuis plusieurs années, où il a été à l'origine du lancement des artistes-peintres d'Essaouira. Un beau périple qui est allé très loin, puisque Frédéric Damgaard a pu les mener dans des musées de renom où seuls les célèbres maîtres de la peinture peuvent accrocher leurs travaux. Ces mêmes artistes souiris furent primés et consacrés par de prestigieuses institutions internationales. S'apercevant que sa mission a donné ses fruits, Frédéric Damgaard troque Essaouira pour Taghazout, pour se consacrer corps et âme à un autre sujet aussi passionnant et aussi riche qui n'est autre que celui du trésor patrimonial des tapis et des tissages berbères.
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