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«L'équilibre millénaire des oasis est aujourd'hui rompu et menacé de mort»

Le Programme Oasis Sud, communément appelé POS, a fait l'objet d'une restructuration fin décembre 2007. Cette appellation témoigne d'une évolution. Depuis lors, il porte le nom officiel du Programme de sauvegarde et développement des oasis.

«L'équilibre millénaire des oasis est aujourd'hui rompu et menacé de mort»
Le programme était lancé par l'Agence pour la promotion et le développement économique et social des provinces du Sud du Royaume (Agence du Sud) et le Programme des Nations unies pour le développement (PNUD) et dont la mise en œuvre est assurée en collaboration avec les communes concernées, la Direction générale des collectivités locales (DGCL) du ministère de l'Intérieur, la wilaya, les provinces et le Conseil régional de Guelmim Es-Smara ainsi que les services extérieurs et les ONGs concernés par la problématique oasienne et le développement local.

La complexité et l'urgence d'agir dans les oasis du Sud interpellent plusieurs autres partenaires qui se sont engagés en faveur de ce programme à savoir : la Fondation Mohammed VI pour la protection de l'environnement, les autres agences du Système des Nations unies (UNESCO, UNFPA, UNIFEM et ONUDI), la Banque africaine pour le développement (BAD), le gouvernement finlandais à travers le Centre de développement des terres arides du PNUD.

Le Matin : Vous pilotez le programme de lutte contre la désertification, la lutte contre la pauvreté par la sauvegarde et la valorisation des oasis sud. Que font les communes ? Qui est concerné et dans quelle zone d'intervention ?

Mohamed Houmymid :
Le Programme Oasis du Sud accorde une place de choix aux communes locales dans la planification, la mise en œuvre et le suivi de ses actions.
Ce recentrage sur les communes en tant que porteur principal du projet au niveau local permettra d'accompagner le processus de l'INDH, celui de la démocratie, de la décentralisation, la déconcentration et de la mise à niveau des communes engagées par le gouvernement. Pour ce faire, le POS met en place, en concertation avec ses partenaires institutionnels, une démarche globale et intégrée où la commune rurale/urbaine joue un rôle de leadership au niveau local. Cette démarche repose sur l'élaboration participative et concertée de plans communaux de développement économique et social qui intègrent les considérations environnementales et culturelles ainsi que les impératifs du développement humain durable.

Agir de manière concrète et concertée sur les facteurs déterminants de la désertification et lutter contre la pauvreté dans les oasis est l'objectif central de ce programme. Passer à l'action et le plus vite possible est un souci permanent de ce programme qui se veut à la fois une réponse immédiate aux pressions écologiques et sociales urgentes et parfois irréversibles, tout en s'inscrivant dans une vision du long terme et de durabilité.En capitalisant sur la dynamique locale déjà mise en place par l'INDH, et en veillant sur le cadrage nécessaire en terme de coordination des stratégies de développement et d'aménagement du territoire, le POS ambitionne l'élaboration concertée d'une douzaine de plans de développement communaux et la réalisation concrète et participative des actions prioritaires qui touchent les femmes, les hommes et les ressources naturelles sur lesquelles ils vivent. Brassant plusieurs domaines et impliquant nombreux partenaires, ces actions intéressent particulièrement la gestion rationnelle de l'eau et la fertilité des sols, la conservation et le renforcement de la biodiversité ainsi que la lutte contre toutes les formes de dégradation.

La valorisation des produits du terroir et le développement des filières à forte valeur ajoutée sont une approche innovante que le programme promeut. L'écotourisme oasien et du désert, la conservation et la valorisation du patrimoine historique, architectural et culturel oasien ainsi que les énergies renouvelables représentent des alternatives à très fort potentiel pour le développement social et économique de la région. Le renforcement des structures locales et l'accompagnement technique des populations oasiennes et particulièrement le renforcement du rôle social et économique de la femme sont des stratégies transversales du programme.

Le cadre est donc fédérateur, il engage l'ensemble des forces vives de l'oasis, les communes rurales et urbaines et le personnel communal et municipal, les agriculteurs oasiens, les femmes et les jeunes vivant des ressources naturelles oasiennes, la société civile, le personnel de l'administration provinciale et des ministères impliqués, les institutions nationales de recherche/développement (académiques ou ONG) et le secteur privé (particulièrement du tourisme et de la valorisation des produits du terroir).

Pendant longtemps, dites-vous, l'oasis représentait la forme la plus achevée de développement durable. En quoi était ce modèle achevé ? Pouvez-vous donner des exemples ? Peut-être la région de Oued Noun qui a donné lieu à l'ouvrage de Ahmed Joumani ?

Les études et les informations disponibles sur les oasis ont effectivement révélé que ces anciens écosystèmes ont été très dynamiques et ont su assurer aux populations oasiennes une production riche, diversifiée mais aussi soutenue. Aux planx écologique et environnemental, ces oasis ont bien fonctionné comme barrière contre l'aridité et la progression des sables, et ont constitué un microclimat ayant permis l'association d'autres cultures. D'ailleurs, l'une des caractéristiques de ces milieux est l'étagement des cultures sur trois niveaux. Une strate haute occupée par la palmeraie, une deuxième, au milieu, réservée aux arbres fruitiers (tels l'amandier, l'olivier, le figuier, le grenadier…) et un troisième niveau pour le maraîchage, les céréales, la luzerne et autres cultures basses. Cette manière de structurer le paysage agricole a fortement contribué au développement et surtout à la préservation de la diversité agricole appelée aussi agro-biodiversité dont l'importance génétique et patrimoniale n'est pas à démontrer.

Aux plans social et institutionnel, ces milieux sont dépositaires d'un savoir-faire riche et diversifié qui intéresse aussi bien la pratique de l'agriculture et l'agronomie saharienne que la gestion de la ressource précieuse « l'eau ». Les oasis sont aussi une référence en terme d'organisation et de gestion communautaire. Au plan socio-économique, les oasis, de par l'étagement des cultures et l'importance qualitative et quantitative de la production des dattes, ont assuré aux oasiens l'autosuffisance alimentaire et ont constitué une importante source de revenus. De par leur position géographique, la majorité des oasis ont fonctionné, pour une longue période, comme interfaces et étapes relais dans le commerce caravanier qui les caractérisait.

Source de vie et espace d'échange et de commerce, les oasis ont donc constitué un espace autour duquel se déclinait le développement local de tout le territoire. La gestion rationnelle des ressources, la diversification et l'importance de la production agricole et ses retombées socio-économiques, le rôle écologique et environnemental des oasis, l'importance accordée à la terre et au patrimoine phoenicicole par les oasiens sont autant d'éléments ayant permis de maintenir l'équilibre entre les ressources et les besoins des populations et expliquent pourquoi ces milieux étaient considérés comme un modèle le plus achevé du développement durable.

Pour quelles raisons les choses ont-elles changé ? Et pourquoi assiste-t-on à la disparition des oasis ?

L'équilibre qui constitue le secret de la durabilité, pour une longue période, de ces systèmes a été rompu. En effet, l'on assiste actuellement à des ressources en régression continue, à des besoins de plus en plus croissants et à une baisse de production en termes qualitatif et quantitatif et son effet pervers, la régression flagrante de la génération d'emplois et de revenus des oasis et l'exode rural. Cette situation découle principalement de la rareté des ressources d'un côté et du manque d'intérêt que manifestent les jeunes à l'égard des activités et de l'agriculture oasiennes, de l'autre.

Les effets combinés à d'autres facteurs dont notamment la parcellisation extrême consécutive aux successions et à l'héritage, l'effritement des structures traditionnelles de gestion de l'espace oasien, la densification humaine et l'extension urbaine au niveau de quelques oasis ont contribué à la réduction de l'espace oasien et constituent de sérieuses menaces pour l'avenir des oasis au sud marocain. D'ores et déjà, on note que certaines oasis sont dans un stade de dégradation assez poussé et ne sont plus en mesure d'assurer leur rôle face à la désertification et fae aux autres défis et enjeux.

La menace la plus dramatique est celle de l'eau. Où en est-on aujourd'hui ?

Certes, les oasis du Sud vivent une crise et une pénurie aiguës de l'eau suite aux dernières dégradations du climat d'un côté et surtout au recours au pompage de la nappe pour combler le déficit hydrique, d'un autre côté. Les conséquences inéluctables sont l'épuisement des nappes phréatiques, le dessèchement des khettaras et l'abandon des parcelles avec tous les problèmes socio-économiques qui en découlent. Sans pour autant oublier la désuétude des khettaras qui constituent un patrimoine national et la déperdition de tout un savoir-faire local et une ingénierie sociale qui lui ont été associés.Pour remédier à cette situation, le POS œuvre, avec le pôle Eau et Environnement de l'Agence du Sud, pour la mise en place d'un plan de gestion rationnelle de l'eau qui s'appuie sur l'économie de cette denrée au niveau du parcellaire agricole et la mobilisation des eaux de surface pour alimenter les nappes et contrecarrer les crues dévastatrices des oueds.

Au niveau de la parcelle, des essais d'économie de l'eau et d'amélioration de la structure des sols pour une bonne rétention de l'eau par l'usage des techniques de compostage appelé aussi agro-écologie, dans le but de montrer qu'avec une dotation hydrique faible on peut maintenir viable et productif un parcellaire, sont en train de se mettre en place.
Parallèlement, la direction nationale du POS qu'est l'Agence du Sud, entreprend actuellement une étude sur les ressources en eau au niveau de la province de Tata pour jauger des possibilités réelles de valorisation et de gestion intégrée de la ressource eau. Elle a par ailleurs initié un important programme de construction de retenus et barrages à l'amont des plus grandes oasis ; notamment au niveau des oasis de Fam El Hisn, Assa et Ifrane Anti-Atlas.

Le palmier qui faisait la richesse de ces modèles de vie est attaqué de toutes parts. Pouvez-vous faire le point ?

Le palmier se trouve actuellement dans une situation très difficile et préoccupante alors qu'il constituait, autrefois, le principal pilier de l'économie agricole et l'élément essentiel autour duquel s'organisait toute l'oasis par l'effet du microclimat qu'il offre aux autres cultures qui lui sont associées. L'oasis étant un système interdépendant, la crise de l'eau a engendré d'autres.
Celle du palmier se traduit actuellement par une perte continue de la superficie et de la production.

Outres les problèmes évoqués ci haut, on note le vieillissement du palmier, l'absence d'entretien (certaines palmeraies sont presque sauvages) et la pratique de conduites de cultures inadaptées. Sous l'effet principalement du bayoud et des autres facteurs de dégradation, le Maroc a perdu, en un siècle, plus de la moitié de son capital et patrimoine phoenicicoles. Se rapportant à la production, celle-ci est soit inexistante, et dans le cas où elle existe, elle est très faible par rapport aux normes et/ou de mauvaise qualité.

Quelles sont les autres menaces ?

Au fait, les oasis du Sud du Maroc constituent actuellement le théâtre des processus de désertification dans la mesure où les oasis souffrent de plusieurs maux et connaissent toutes les formes de dégradation. Après l'eau, les maladies des palmeraies et à leur tête la maladie du bayoud constitue une des principales menaces à laquelle s'ajoutent la salinité, l'érosion sous ses formes hydrique et éolienne ainsi que la pollution.

Y a-t-il vraiment urgence au point où l'on parle de la mort des oasis ?

Urgence ? Oui. Quand on apprend que tous ces facteurs de dégradation agissent simultanément et sensiblement avec la même acuité, on finit par réaliser l'ampleur du danger qui pèse sur les oasis. La tendance à l'aridification, suite aux changements climatiques, les effets des diverses mutations socio-économiques et culturelles que vivent ces systèmes sont autant de menaces qui aggravent la situation. Dans le scénario de la persistance de ces phénomènes et de la poursuite et la généralisation de la tendance actuelle, la situation devient de plus en plus préoccupante et même critique. D'où l'urgence de l'intervention et surtout la formulation et la mise place sans délais de vraies réponses bien structurées selon une démarche globale, intégrée et qui impliquerait l'ensemble des acteurs et partenaires locaux et à leur tête la commune locale.
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