L'écriteau qui y est inscrit est, qu'on le veuille ou non, déséquilibrant: "Koulou Nafsine Daikatou Lmawt" ou "Chaque âme goûtera à la mort". Un écriteau qui est aussi remuant que la scène "exhibée".
Car il est impossible de ne pas voir ces gens assis sur le trottoir, désarmés, chagrinés et ‘'battus par le destin''. Impossible de faire semblant de ne pas entendre leurs pleurs, leurs cris et… leur début de deuil.
Mais que se passe derrière cette muraille? Quel quotidien vit le personnel de la morgue et du service de médecine légale? Est-ce aussi terrifiant que ce que l'on croit?
Visite d'un autre couloir de la mort
En accédant à l'intérieur du bâtiment qui abritait la morgue, j'avais l'impression de respirer un air froid…glacial…désarmant. Est-ce ceci l'odeur de la mort! Cette froideur émanait du sol, des murs, des objets… Je la sentais dominante. Elle envahissait l'être humain. Mais comment font ces médecins légistes… ces brancardiers…ces infirmiers?
A peine la porte d'entrée franchie, les paroles d'un homme m'interpellent: "Je viens pour mon bébé, je veux le prendre…"
Tout au long du trajet, mon imagination me jouait des tours. Je savais que l'ambiance serait pesante, mais en aucun moment je ne m'attendais à voir des cadavres d'enfants ou des macchabées prêts à se faire autopsier. Mais que suis-je venue faire ici…?
N'ayant même pas eu le temps de regretter ma présence, un jeune monsieur se dressa devant moi: ‘'C'est vous la journaliste du "Matin"?'' Tourmentée, je précise que j'avais rendez- vous avec le professeur Hicham Benyaich, chef de service de médecine légale d'Ibnou Rochd.
Mais pourquoi m'attendais-je à voir un vieux monsieur au regard vide et à la barbe taillée à la pointe? Est-ce les épisodes de la série "Dexter" qui influençaient encore mon imagination? En tout cas, c'est bien lui le chef du service de médecine légale.
C'est bien ce jeune homme qui se tient devant moi. En fixant son regard, je voulais voir tout ce que ses yeux avaient vu. Quels tableaux inconcevables avaient- ils fixés? De quels crimes ont-ils témoignés? Quelles horreurs avaient-ils vécues?
Arrivés dans son bureau, Hicham Benyaich m'explique que plusieurs sections dépendent du service de la médecine légale: il s'agit du servie de la morgue ou la thanatologie, celui de la toxicologie, ou encore des consultations médico-judiciaires.
"En effet, il nous arrive souvent de travailler avec la police judiciaire en ce qui concerne la détection des preuves nécessaires pour enquêter sur une mort violente ou suspecte", explique H.Benyaich. Il poursuit: "Pour ce faire, le procureur général ordonne une autopsie.
Après quoi, la police rédige son procès-verbal (PV) qui marque les antécédents de la victime, les pré-requis de l'autopsie et les circonstances de la découverte.
Ensuite, le médecin légiste vérifie les hypothèses, détermine si c'est un suicide, homicide ou autre et dépiste la vraie cause de la mort".
Cependant, les médecins légistes n'ont pas tout le temps affaire à des cadavres, "l'enquête judiciaire sollicite souvent notre intervention pour délivrer certificats médicaux lors de cas de violences physiques ou sexuels. Il s'agit, en fait, des victimes vivantes, battues, blessées ou violées. Notre examen délivre des pièces à conviction nécessaires pour l'enquête.
Je vous donne par exemple un cas de viol. Après avoir examiné la victime, on prélève un échantillon du sperme existant dans son vagin. Après analyse, le résultat présente une preuve incontournable pour appuyer ou non les dires du sujet". 10h00, il est temps de rencontrer le médecin légiste qui allait m'accompagner lors de ma visite des locaux. Il s'agit d'une maman de deux enfants, elle s'appelle Amal Bouimejane. Au début, elle était affectée au service néphrologique. Lorsqu'elle tomba enceinte, elle ne pouvait plus supporter la vue des malades souffrants. Elle fut mutée au service de médecine légale, car c'est le seul poste qui était vacant. "C'était une pure coïncidence… si j'ose dire, c'était par obligation. J'étais enceinte de 7 mois et jamais je n'avais pensé que j'allais me plaire dans mon nouveau poste". Drôle d'ambivalence pour une femme qui supportait mal la vue des malades souffrant et acceptait la vue des cadavres?! " Je me rappelle très bien du premier cas d'autopsie auquel j'ai assisté.
C'était celui d'un cadavre exhumé d'une femme. Je me rappelle très bien de cette odeur suffocante, de le salle que je trouvais glaciale…", raconte avec "nonchalance" notre médecin légiste.
L'odeur est insupportable…
11h00 c'est le moment de regagner la salle en question. En traversant le couloir, A. Bouimjane explique en quoi consiste son travail: "De façon générale, la tâche du médecin légiste est de faire un examen systématique des cadavres pour étudier les lésions, effectuer des prélèvements et diagnostiquer la cause du décès ou d'une morte suspecte qu'est la finalité professionnelle de notre métier. Sinon, il nous arrive aussi de s'occuper des formalités d'identification".
Sa phrase à peine finie, des escaliers se montrent droits devant nous. La salle d'autopsie se situe au sous-sol. En descendant les marches, une odeur affligeante se faufile aux narines.
Elle était d'une atrocité non négligeable. Il paraît qu'on accède très vite dans l'ambiance "terrifiante" de cette salle. Au fur et à mesure, l'odeur s'intensifie… Le nez de notre médecin ne semble guère dérangé par cette exhalaison pestilentielle. "Et oui, à force de faire ce boulot, on devient immunisé contre ce genre de sensations. Nos cœurs ne se serrent plus à la vue du sang, nos mains ne tremblent pas quant on autopsie un enfant, car pour nous, ce que nous faisons est un acte chirurgical. On oublie souvent qu'on a affaire à des morts", témoigne Bouimejane.
Mais comment faire pour négliger cette froideur, ces cadavres enveloppés dans des draps? Comment ne pas frissonner à la vue d'un enfant mort placé dans un frigo?
En franchissant le seuil du sous-sol, la table d'autopsie s'exposait aux regards, ses bords surélevés présentaient une légère pente convergente des côtés afin de mener les liquides à des orifices d'évacuation. Un grand appareil lumineux (scialytique) s'accroche au toit et projette une lumière très forte. Au fond de la salle, des instruments délicats s'alignaient: marteau, pince-gouge, scie à os, davier, pinces à griffes, rachitome, couteaux à cerveau et scalpels défiaient furieusement nos regards.
A quelques mètres de la table, une grande porte se dresse. Elle mène vers la morgue. C'est là où se trouvent les anciennes et nouvelles chambres frigorifiques. Deux cadavres couverts de gros matelas s'étalaient devant nous. Le pied de l'un d'eux gisait au-dessus de la couverture. Il était d'une couleur bleuâtre. "Après la mort, la température du cadavre chute d'environ d'un degré par heure. L'évaporation de l'eau du cadavre entraîne une perte de poids d'un kilo par jour.
Le derme devient donc sec, brunâtre et dur. En effet, les parties inférieures deviennent bleues parce que le sang ne circule pas. Et c'est ainsi que commence le processus de putréfaction, synonyme absolue de la mort", explique A. Bouimejane.
Tout au long de son explication, mon regard n'a pas quitté ces deux corps qui attendaient leur tour pour être placés dans le réfrigérateur ou se faire livrer à leurs proches. Mon esprit vagabondait autour de la subtilité de la vie et à l'imminence de la mort. Un peu plus loin, l'infirmier ouvre la chambre frigorifique pour nous montrer la capacité de cette nouveauté. Deux petits cadavres surgissent. L'un d'eux appartient sûrement au fils de l'homme que j'ai croisé à l'entrée. 13h00: ma visite touche à sa fin, aucun cadavre ne sera autopsié ce jour. Le responsable promet de me contacter dès qu'une autopsie sera programmée…
Le jour de l'autopsie
Le lendemain, on m'appelle du service de médecine légale d'Ibn Rochd pour me dire qu'un cadavre venait d'être déposé. Cette fois-ci, c'est le docteur Rabiâa Aboulmaaz qui me tiendra compagnie et… me donnera un époustouflant cours d'autopsie
Ce jour-là, je descendis les marches sans crainte. Pourtant, je savais que cette fois était la bonne et que j'allais "inévitablement" assister à une autopsie. Au-delà de la grande porte, un cadavre nu gisait sur une table d'autopsie centrée dans salle. Le sujet est de sexe masculin… Il est âgé de 50 ans. Je n'ai plus droit à aucune autre information. Inutile d'insister pour savoir les circonstances de la mort, le nom, la situation familière ou autre… Car selon un article du Code de procédure pénale, "l'autopsie médico-légale est une mesure d'instruction qui est couverte par le secret par la force de la loi".
En effet, il est strictement interdit de divulguer la moindre information ou des résultats avant la fin de l'enquête judiciaire. Même la famille du défunt n'en a pas le droit. Si elle patiente à l'extérieur c'est uniquement pour compléter les formalités et recevoir la dépouille.
15h30 : "Le sujet est prêt", s'écria une voix provenant de l'intérieur. C'est la voix de Abdelhadi, un jeune homme qui s'occupe de la préparation du cadavre et l'assistance à l'autopsie. "C'est le moment ", me rappela R.Aboulmaaz. Elle me remet un blouson et une casaque (masque) et me précise qu'il sied de les mettre car le risque de contamination n'est jamais nul. Et oui…ça s'annonce bien!
Une fois dans la salle d'autopsie, un sentiment étrange m'envahit. Ce n'était pas de la peur, c'était une sensation de froideur, de faiblesse devant l'imminence de la mort… Je me tiens donc à un mètre du cadavre, le défunt était allongé à poil sur son dos. Un morceau de bois lui soulevait la tête. A quelques centimètres de sa nuque, une espèce de petit lavabo laissait écouler de l'eau. Elle servira au lavage du crâne.
15h45 : les préparatifs se terminent. Les "experts" commencent le boulot. Toutes les étapes seront photographiées par un assistant car elles peuvent enrichir l'enquête judiciaire.
Après un examen externe du corps, Rabiaa Aboulmaaz procède à l'inspection et à la palpation de tous les segments du corps. "Cette vérification laisse souvent paraître des ecchymoses et des hématomes cutanées et sous-cutanées", signale-t-elle. Ceci est la dernière étape avant le début des incisions. A partir de maintenant, les choses sérieuses vont commencer. Ames sensibles s'abstenir! En entamant son travail, R.Aboulmaaz m'explique que la dissection se passe en trois phases: céphalique, cervico-thoracique et abdominale. "L'autopsie commence par l'ouverture du cerveau. Ce dernier est examiné après incision du scalp et ouverture de la boîte crânienne à l'aide d'une petite scie circulaire électrique".
En incisant le cuir chevelu selon une ligne allant d'une région derrière l'oreille à l'autre, notre médecin légiste dicte à l'assistant ce qu'elle voit. Ce dernier note le tout sur un calepin. Il servira de repère lorsque le médecin voudra rédiger son rapport d'autopsie.
Jusque-là, tout va bien, l'incision du cuir chevelu ne laisse pas couler du sang… R. Aboulmaaz me signala que c'est souvent cette étape que la majorité des étudiants en médecine ne supportent pas.
Elle me suggère de me retirer si je sens des nausées ou un évanouissement. "Parfois, il suffit de prendre un peu d'air pour retrouver son courage", dit-elle en souriant.
A ce moment, j'ignorais que ce que j'allais voir suscitera chez moi de fortes sensations. En effet, après l'incision du cuir chevelu, le médecin commence à le ‘'réfléchir'' de part et d'autre. Ensuite, grâce à une scie, elle découpe la voûte crânienne selon une ligne circulaire. La partie du crâne détachée est déposée dans le bac du lavabo. Maintenant, les deux moitiés de l'encéphale sont dégagées. Notre médecin légiste les examine minutieusement.
Elle procède au décollement de la "dure mère" qui permet une vue directe de l'os, pour la recherche de fractures, de disjonctions ou de traces de fêlure ou de fissure. A vrai dire, pendant cette première phase, je me battais contre moi-même pour garder le regard fixé sur ce crâne ouvert et ce front retroussé sur les yeux. Alors que je regardais dans tous les sens, R.Aboulmaaz sectionnait déjà la partie cervico-thoracique. Pour commencer, elle fait une longue incision médiane partant de la pointe du menton au pubis.
Un infirmier l'aide à écarter la peau et les muscles de chaque côté du thorax et de l'abdomen, elle désinsère les clavicules et elle coupe les côtes pour exposer les organes du thorax et de l'abdomen.
Après avoir observé les organes en place, R.Aboulmaaz libère la langue et les éléments cervicaux qu'elle tire soigneusement vers le bas. Elle sectionne la trachée, l'œsophage et les éléments vasculaires au ras du diaphragme. Ensuite, elle pèse soigneusement le poumon et le cœur.
17h30: cela fait plus d'une heure que R.Aboulmaaz s'active dans son boulot. Sans le moindre répit, elle passe à la dernière étape. Celle-ci concerne l'autopsie abdominale. Notre médecin légiste ouvre l'estomac pour en examiner le contenu. Elle retire ensuite le foie, la rate, le pancréas, les intestins et les reins, puis ouvre la vessie pour en prélever l'urine. Ce grand étalage de viscères et de sang ‘'soulève'' le cœur.
Après l'éviscération, elle pratique un examen soigneux de l'ensemble du squelette à la recherche de toutes les lésions. En cas de mort suspecte, ou en cas de besoin, l'autopsie est complétée par des prélèvements à visée toxicologique. Après avoir remis les organes en place, les incisions sont recousues aussi soigneusement que possible, pour la toilette rituelle de corps et les funérailles du défunt.
17h50: l'autopsie vient de finir… En sortant, j'entends parler d'un second cadavre, il s'agit d'un enfant de 3 ans… Je n'ai toujours pas droit à d'autres détails…Ceci dit, ma curiosité a été assouvie car le but de ma visite était de démystifier cet endroit, ce métier … cette pratique. La plupart d'entre nous pensent que c'est un endroit inhumain, pourtant des gens y gagnent leur pain. On pense aussi que c'est un endroit sans âme, pourtant on y rend souvent justice aux âmes des défunts tués dans des circonstances mystérieuses.
Je quitte donc la morgue d'Ibn Rochd avec une certaine philosophie sur la vie et la mort. C'est vrai que ce n'est pas un sujet auquel nous pensons volontiers. Et que la plupart du temps, nous avons tendance à faire comme si cette réalité ne nous concerne pas. Pourtant, c'est une vérité inéluctable car tant qu'on est vivant, on est voué à mourir tôt ou tard d'une mort définitive…
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Il existe deux types de morgues: la première est à température positive (de +2 à +4 °C) où le corps peut être conservé quelques semaines (mais la décomposition se poursuit) et la seconde est à température négative (congélation) pour une conservation plus longue (la décomposition est cependant arrêtée). Ceci dit, la législation de la majorité des pays exige un enterrement dans les 48 ou 72 heures, quoique dans de nombreux pays, notamment le Maroc, le corps reste conservé parfois plusieurs semaines dans la morgue, voire des mois avant que la famille concernée ne vienne le retirer pour effectuer l'enterrement. Il s'agit de ‘'X Ben X'', c'est-à-dire un cadavre anonyme.
"Lors des incidents du tueur en série de Taroudant, les cadavres des victimes sont restés très longtemps dans la chambre frigorifique", rappelle un employé de la morgue du CHU Ibn Rochd. Précisons tout de même que la morgue de ce centre hospitalier s'est dotée il y a presque deux ans d'un nouveau frigo pour cadavres dont le coût est estimé à plus de 100.000 DH.
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La seconde autopsie (médico-légale), quant à elle, est effectuée par un médecin-légiste. Elle permet d'identifier un cadavre ou de rechercher la cause d'une mort suspecte, son origine accidentelle ou criminelle. Ce type d'autopsie permet la détermination des circonstances et des causes de la mort (indice de mort violente ou provoquée telle qu'une noyade, une strangulation, un étouffement, etc.). Elle recherche également des traces de viol, d'alcoolisme, d'intoxications diverses... L'autopsie médico-légale est une autopsie exigée par une autorité judiciaire, le plus souvent par le procureur général.
Car il est impossible de ne pas voir ces gens assis sur le trottoir, désarmés, chagrinés et ‘'battus par le destin''. Impossible de faire semblant de ne pas entendre leurs pleurs, leurs cris et… leur début de deuil.
Mais que se passe derrière cette muraille? Quel quotidien vit le personnel de la morgue et du service de médecine légale? Est-ce aussi terrifiant que ce que l'on croit?
Visite d'un autre couloir de la mort
En accédant à l'intérieur du bâtiment qui abritait la morgue, j'avais l'impression de respirer un air froid…glacial…désarmant. Est-ce ceci l'odeur de la mort! Cette froideur émanait du sol, des murs, des objets… Je la sentais dominante. Elle envahissait l'être humain. Mais comment font ces médecins légistes… ces brancardiers…ces infirmiers?
A peine la porte d'entrée franchie, les paroles d'un homme m'interpellent: "Je viens pour mon bébé, je veux le prendre…"
Tout au long du trajet, mon imagination me jouait des tours. Je savais que l'ambiance serait pesante, mais en aucun moment je ne m'attendais à voir des cadavres d'enfants ou des macchabées prêts à se faire autopsier. Mais que suis-je venue faire ici…?
N'ayant même pas eu le temps de regretter ma présence, un jeune monsieur se dressa devant moi: ‘'C'est vous la journaliste du "Matin"?'' Tourmentée, je précise que j'avais rendez- vous avec le professeur Hicham Benyaich, chef de service de médecine légale d'Ibnou Rochd.
Mais pourquoi m'attendais-je à voir un vieux monsieur au regard vide et à la barbe taillée à la pointe? Est-ce les épisodes de la série "Dexter" qui influençaient encore mon imagination? En tout cas, c'est bien lui le chef du service de médecine légale.
C'est bien ce jeune homme qui se tient devant moi. En fixant son regard, je voulais voir tout ce que ses yeux avaient vu. Quels tableaux inconcevables avaient- ils fixés? De quels crimes ont-ils témoignés? Quelles horreurs avaient-ils vécues?
Arrivés dans son bureau, Hicham Benyaich m'explique que plusieurs sections dépendent du service de la médecine légale: il s'agit du servie de la morgue ou la thanatologie, celui de la toxicologie, ou encore des consultations médico-judiciaires.
"En effet, il nous arrive souvent de travailler avec la police judiciaire en ce qui concerne la détection des preuves nécessaires pour enquêter sur une mort violente ou suspecte", explique H.Benyaich. Il poursuit: "Pour ce faire, le procureur général ordonne une autopsie.
Après quoi, la police rédige son procès-verbal (PV) qui marque les antécédents de la victime, les pré-requis de l'autopsie et les circonstances de la découverte.
Ensuite, le médecin légiste vérifie les hypothèses, détermine si c'est un suicide, homicide ou autre et dépiste la vraie cause de la mort".
Cependant, les médecins légistes n'ont pas tout le temps affaire à des cadavres, "l'enquête judiciaire sollicite souvent notre intervention pour délivrer certificats médicaux lors de cas de violences physiques ou sexuels. Il s'agit, en fait, des victimes vivantes, battues, blessées ou violées. Notre examen délivre des pièces à conviction nécessaires pour l'enquête.
Je vous donne par exemple un cas de viol. Après avoir examiné la victime, on prélève un échantillon du sperme existant dans son vagin. Après analyse, le résultat présente une preuve incontournable pour appuyer ou non les dires du sujet". 10h00, il est temps de rencontrer le médecin légiste qui allait m'accompagner lors de ma visite des locaux. Il s'agit d'une maman de deux enfants, elle s'appelle Amal Bouimejane. Au début, elle était affectée au service néphrologique. Lorsqu'elle tomba enceinte, elle ne pouvait plus supporter la vue des malades souffrants. Elle fut mutée au service de médecine légale, car c'est le seul poste qui était vacant. "C'était une pure coïncidence… si j'ose dire, c'était par obligation. J'étais enceinte de 7 mois et jamais je n'avais pensé que j'allais me plaire dans mon nouveau poste". Drôle d'ambivalence pour une femme qui supportait mal la vue des malades souffrant et acceptait la vue des cadavres?! " Je me rappelle très bien du premier cas d'autopsie auquel j'ai assisté.
C'était celui d'un cadavre exhumé d'une femme. Je me rappelle très bien de cette odeur suffocante, de le salle que je trouvais glaciale…", raconte avec "nonchalance" notre médecin légiste.
L'odeur est insupportable…
11h00 c'est le moment de regagner la salle en question. En traversant le couloir, A. Bouimjane explique en quoi consiste son travail: "De façon générale, la tâche du médecin légiste est de faire un examen systématique des cadavres pour étudier les lésions, effectuer des prélèvements et diagnostiquer la cause du décès ou d'une morte suspecte qu'est la finalité professionnelle de notre métier. Sinon, il nous arrive aussi de s'occuper des formalités d'identification".
Sa phrase à peine finie, des escaliers se montrent droits devant nous. La salle d'autopsie se situe au sous-sol. En descendant les marches, une odeur affligeante se faufile aux narines.
Elle était d'une atrocité non négligeable. Il paraît qu'on accède très vite dans l'ambiance "terrifiante" de cette salle. Au fur et à mesure, l'odeur s'intensifie… Le nez de notre médecin ne semble guère dérangé par cette exhalaison pestilentielle. "Et oui, à force de faire ce boulot, on devient immunisé contre ce genre de sensations. Nos cœurs ne se serrent plus à la vue du sang, nos mains ne tremblent pas quant on autopsie un enfant, car pour nous, ce que nous faisons est un acte chirurgical. On oublie souvent qu'on a affaire à des morts", témoigne Bouimejane.
Mais comment faire pour négliger cette froideur, ces cadavres enveloppés dans des draps? Comment ne pas frissonner à la vue d'un enfant mort placé dans un frigo?
En franchissant le seuil du sous-sol, la table d'autopsie s'exposait aux regards, ses bords surélevés présentaient une légère pente convergente des côtés afin de mener les liquides à des orifices d'évacuation. Un grand appareil lumineux (scialytique) s'accroche au toit et projette une lumière très forte. Au fond de la salle, des instruments délicats s'alignaient: marteau, pince-gouge, scie à os, davier, pinces à griffes, rachitome, couteaux à cerveau et scalpels défiaient furieusement nos regards.
A quelques mètres de la table, une grande porte se dresse. Elle mène vers la morgue. C'est là où se trouvent les anciennes et nouvelles chambres frigorifiques. Deux cadavres couverts de gros matelas s'étalaient devant nous. Le pied de l'un d'eux gisait au-dessus de la couverture. Il était d'une couleur bleuâtre. "Après la mort, la température du cadavre chute d'environ d'un degré par heure. L'évaporation de l'eau du cadavre entraîne une perte de poids d'un kilo par jour.
Le derme devient donc sec, brunâtre et dur. En effet, les parties inférieures deviennent bleues parce que le sang ne circule pas. Et c'est ainsi que commence le processus de putréfaction, synonyme absolue de la mort", explique A. Bouimejane.
Tout au long de son explication, mon regard n'a pas quitté ces deux corps qui attendaient leur tour pour être placés dans le réfrigérateur ou se faire livrer à leurs proches. Mon esprit vagabondait autour de la subtilité de la vie et à l'imminence de la mort. Un peu plus loin, l'infirmier ouvre la chambre frigorifique pour nous montrer la capacité de cette nouveauté. Deux petits cadavres surgissent. L'un d'eux appartient sûrement au fils de l'homme que j'ai croisé à l'entrée. 13h00: ma visite touche à sa fin, aucun cadavre ne sera autopsié ce jour. Le responsable promet de me contacter dès qu'une autopsie sera programmée…
Le jour de l'autopsie
Le lendemain, on m'appelle du service de médecine légale d'Ibn Rochd pour me dire qu'un cadavre venait d'être déposé. Cette fois-ci, c'est le docteur Rabiâa Aboulmaaz qui me tiendra compagnie et… me donnera un époustouflant cours d'autopsie
Ce jour-là, je descendis les marches sans crainte. Pourtant, je savais que cette fois était la bonne et que j'allais "inévitablement" assister à une autopsie. Au-delà de la grande porte, un cadavre nu gisait sur une table d'autopsie centrée dans salle. Le sujet est de sexe masculin… Il est âgé de 50 ans. Je n'ai plus droit à aucune autre information. Inutile d'insister pour savoir les circonstances de la mort, le nom, la situation familière ou autre… Car selon un article du Code de procédure pénale, "l'autopsie médico-légale est une mesure d'instruction qui est couverte par le secret par la force de la loi".
En effet, il est strictement interdit de divulguer la moindre information ou des résultats avant la fin de l'enquête judiciaire. Même la famille du défunt n'en a pas le droit. Si elle patiente à l'extérieur c'est uniquement pour compléter les formalités et recevoir la dépouille.
15h30 : "Le sujet est prêt", s'écria une voix provenant de l'intérieur. C'est la voix de Abdelhadi, un jeune homme qui s'occupe de la préparation du cadavre et l'assistance à l'autopsie. "C'est le moment ", me rappela R.Aboulmaaz. Elle me remet un blouson et une casaque (masque) et me précise qu'il sied de les mettre car le risque de contamination n'est jamais nul. Et oui…ça s'annonce bien!
Une fois dans la salle d'autopsie, un sentiment étrange m'envahit. Ce n'était pas de la peur, c'était une sensation de froideur, de faiblesse devant l'imminence de la mort… Je me tiens donc à un mètre du cadavre, le défunt était allongé à poil sur son dos. Un morceau de bois lui soulevait la tête. A quelques centimètres de sa nuque, une espèce de petit lavabo laissait écouler de l'eau. Elle servira au lavage du crâne.
15h45 : les préparatifs se terminent. Les "experts" commencent le boulot. Toutes les étapes seront photographiées par un assistant car elles peuvent enrichir l'enquête judiciaire.
Après un examen externe du corps, Rabiaa Aboulmaaz procède à l'inspection et à la palpation de tous les segments du corps. "Cette vérification laisse souvent paraître des ecchymoses et des hématomes cutanées et sous-cutanées", signale-t-elle. Ceci est la dernière étape avant le début des incisions. A partir de maintenant, les choses sérieuses vont commencer. Ames sensibles s'abstenir! En entamant son travail, R.Aboulmaaz m'explique que la dissection se passe en trois phases: céphalique, cervico-thoracique et abdominale. "L'autopsie commence par l'ouverture du cerveau. Ce dernier est examiné après incision du scalp et ouverture de la boîte crânienne à l'aide d'une petite scie circulaire électrique".
En incisant le cuir chevelu selon une ligne allant d'une région derrière l'oreille à l'autre, notre médecin légiste dicte à l'assistant ce qu'elle voit. Ce dernier note le tout sur un calepin. Il servira de repère lorsque le médecin voudra rédiger son rapport d'autopsie.
Jusque-là, tout va bien, l'incision du cuir chevelu ne laisse pas couler du sang… R. Aboulmaaz me signala que c'est souvent cette étape que la majorité des étudiants en médecine ne supportent pas.
Elle me suggère de me retirer si je sens des nausées ou un évanouissement. "Parfois, il suffit de prendre un peu d'air pour retrouver son courage", dit-elle en souriant.
A ce moment, j'ignorais que ce que j'allais voir suscitera chez moi de fortes sensations. En effet, après l'incision du cuir chevelu, le médecin commence à le ‘'réfléchir'' de part et d'autre. Ensuite, grâce à une scie, elle découpe la voûte crânienne selon une ligne circulaire. La partie du crâne détachée est déposée dans le bac du lavabo. Maintenant, les deux moitiés de l'encéphale sont dégagées. Notre médecin légiste les examine minutieusement.
Elle procède au décollement de la "dure mère" qui permet une vue directe de l'os, pour la recherche de fractures, de disjonctions ou de traces de fêlure ou de fissure. A vrai dire, pendant cette première phase, je me battais contre moi-même pour garder le regard fixé sur ce crâne ouvert et ce front retroussé sur les yeux. Alors que je regardais dans tous les sens, R.Aboulmaaz sectionnait déjà la partie cervico-thoracique. Pour commencer, elle fait une longue incision médiane partant de la pointe du menton au pubis.
Un infirmier l'aide à écarter la peau et les muscles de chaque côté du thorax et de l'abdomen, elle désinsère les clavicules et elle coupe les côtes pour exposer les organes du thorax et de l'abdomen.
Après avoir observé les organes en place, R.Aboulmaaz libère la langue et les éléments cervicaux qu'elle tire soigneusement vers le bas. Elle sectionne la trachée, l'œsophage et les éléments vasculaires au ras du diaphragme. Ensuite, elle pèse soigneusement le poumon et le cœur.
17h30: cela fait plus d'une heure que R.Aboulmaaz s'active dans son boulot. Sans le moindre répit, elle passe à la dernière étape. Celle-ci concerne l'autopsie abdominale. Notre médecin légiste ouvre l'estomac pour en examiner le contenu. Elle retire ensuite le foie, la rate, le pancréas, les intestins et les reins, puis ouvre la vessie pour en prélever l'urine. Ce grand étalage de viscères et de sang ‘'soulève'' le cœur.
Après l'éviscération, elle pratique un examen soigneux de l'ensemble du squelette à la recherche de toutes les lésions. En cas de mort suspecte, ou en cas de besoin, l'autopsie est complétée par des prélèvements à visée toxicologique. Après avoir remis les organes en place, les incisions sont recousues aussi soigneusement que possible, pour la toilette rituelle de corps et les funérailles du défunt.
17h50: l'autopsie vient de finir… En sortant, j'entends parler d'un second cadavre, il s'agit d'un enfant de 3 ans… Je n'ai toujours pas droit à d'autres détails…Ceci dit, ma curiosité a été assouvie car le but de ma visite était de démystifier cet endroit, ce métier … cette pratique. La plupart d'entre nous pensent que c'est un endroit inhumain, pourtant des gens y gagnent leur pain. On pense aussi que c'est un endroit sans âme, pourtant on y rend souvent justice aux âmes des défunts tués dans des circonstances mystérieuses.
Je quitte donc la morgue d'Ibn Rochd avec une certaine philosophie sur la vie et la mort. C'est vrai que ce n'est pas un sujet auquel nous pensons volontiers. Et que la plupart du temps, nous avons tendance à faire comme si cette réalité ne nous concerne pas. Pourtant, c'est une vérité inéluctable car tant qu'on est vivant, on est voué à mourir tôt ou tard d'une mort définitive…
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La durée du dépôt d'un cadavre
Une morgue est une unité de conservation des corps durant le temps nécessaire pour que les familles concernées viennent les retirer.Il existe deux types de morgues: la première est à température positive (de +2 à +4 °C) où le corps peut être conservé quelques semaines (mais la décomposition se poursuit) et la seconde est à température négative (congélation) pour une conservation plus longue (la décomposition est cependant arrêtée). Ceci dit, la législation de la majorité des pays exige un enterrement dans les 48 ou 72 heures, quoique dans de nombreux pays, notamment le Maroc, le corps reste conservé parfois plusieurs semaines dans la morgue, voire des mois avant que la famille concernée ne vienne le retirer pour effectuer l'enterrement. Il s'agit de ‘'X Ben X'', c'est-à-dire un cadavre anonyme.
"Lors des incidents du tueur en série de Taroudant, les cadavres des victimes sont restés très longtemps dans la chambre frigorifique", rappelle un employé de la morgue du CHU Ibn Rochd. Précisons tout de même que la morgue de ce centre hospitalier s'est dotée il y a presque deux ans d'un nouveau frigo pour cadavres dont le coût est estimé à plus de 100.000 DH.
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Types d'autopsie…
En médecine légale, deux types d'autopsie sont distingués: l'autopsie médicale et l'autopsie médico-légale. La première s'effectue à l'hôpital par des médecins spécialisés en anatomie pathologique. Celle-ci a pour but d'expliquer la cause d'une mort naturelle, d'éclairer un diagnostic non résolu, d'essayer de trouver les causes d'un échec thérapeutique ou de contribuer à une amélioration des connaissances médicales.La seconde autopsie (médico-légale), quant à elle, est effectuée par un médecin-légiste. Elle permet d'identifier un cadavre ou de rechercher la cause d'une mort suspecte, son origine accidentelle ou criminelle. Ce type d'autopsie permet la détermination des circonstances et des causes de la mort (indice de mort violente ou provoquée telle qu'une noyade, une strangulation, un étouffement, etc.). Elle recherche également des traces de viol, d'alcoolisme, d'intoxications diverses... L'autopsie médico-légale est une autopsie exigée par une autorité judiciaire, le plus souvent par le procureur général.
