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Une profession entre reconnaissance et mépris

Une activité misérable mais génératrice de revenu. Cela s'applique parfaitement au métier de chiffonnier car, loin de tout stéréotype, cette activité est plutôt bien organisée.

Une profession entre reconnaissance et mépris
«Je gagne entre 80 et 150 DH la journée», nous témoigne, Saïd, chiffonnier de métier. Avant de poursuivre, encouragé et sûr de lui : « J'exerce ce métier depuis que j'ai quitté les assises du collège. Las de rester sans travail, d'être en perpétuelle prise de bec avec mon père et de subir la lunatique état d'âme de ma mère, je suis devenu chiffonnier». Ce récupérateur opère à «Anfa supérieur», l'un des quartiers huppés de la ville de Casablanca. «Je me réveille très tôt afin de trouver une bonne pêche. Et cela avant le passage d'un autre chiffonnier. Dans ce métier, le monde appartient à ceux qui se lèvent tôt !». Ainsi, fouiner est le gagne-pain quotidien de nombreuses familles à la métropole. «La plupart des chiffonniers se connaissent entre eux. Les territoires sont bien tracés pour éviter l'empiètement sur celui d'autrui», souligne Saïd. Et d'ajouter : « Le respect de la territorialité est un principe majeur dans notre métier. Personne ne peut accepter le fait de partager son gagne-pain quotidien avec un autre. Un seul fouineur par territoire apporte mieux par rapport à un autre opérant dans un lot diviser par deux ou plus.»

Par ailleurs, le travail de Saïd consiste, nous confirme-t-il, à trier les déchets et à choisir les bouteilles en plastiques ou en verre, les cartons et les canettes. Un vrai travail d'écolo qui dure toute la matinée. «Ce sont les bouteilles et les cartons qui m'intéressent le plus, entres autres, les plus demandés, je les vends à 0,90 DH le kilo. Mais il y a aussi les canettes qui sont, ici, très demandés : ça se vend à 40 centimes le kilo», avoue le jeune homme. Ce dernier confesse que le métier n'est plus la même. «Il est en pleine crise, les gens gardent certains matériaux et outils chez eux. Les enfants s'y mettent aussi, ce qui constitue leur argent de poche. Et cela, entre autres, diminue nos chances de trouver des objets vendables».
Changement de décor. Nous sommes au «Souk mina». Ce «souk» où une fois leur tournée bouclée, les fouineurs s'y rendent. C'est là qu'ils procèdent au tri du butin de la journée, séparant le plastique du verre et des objets métalliques. Le cuivre est souvent la source des ennuis. D'ailleurs, de nombreux chiffonniers évitent les câbles du cuivre. Lorsque nous avons demandé à Saïd de justifier cette crainte ? Il a répliqué que des bandes de criminels s'adonnent au vol des câbles de basse tension et aussi à celui des lignes téléphoniques. C'est pour cette raison qu'ils préfèrent chercher les bouteilles en plastique ou en verre et les cartons qui trouvent également preneur.

Forte concurrence
Les acheteurs sont des grossistes de la récupération. Abdelhak, intermédiaire récupérateur, selon les dires de Saïd, est celui qui paye mieux parmi les grossistes. «Les autres sous-évaluent le poids de la marchandise», précise-t-il. « J'achète les bouteilles d'eau minérale et puis je les vends à un représentant d'une société spécialisée dans le recyclage», nous explique Abdelhak, acheteur grossiste et propriétaire du magasin. Et de poursuivre : «Aujourd'hui, il y a des multinationales qui se sont, entre autres, emparées du business. Le marché est en pleine crise à cause du nombre considérable des revendeurs. Ces derniers cassent les prix par leur concurrence». Son travail consiste à trier et ranger les objets vendables et attendre ses clients. Celui qui offre mieux rafle le marché. Il se rappelle et se lamente des temps perdus. «Le marché était florissant. Quand j'avais quatorze ans, j'étais chiffonnier. Je partais à deux heures du matin de chez moi. Je travaillais jusqu'à quatre heures ou cinq heures du matin, ça dépendait du travail. La charrette et l'âne, me facilitaient la tâche», raconte-t-il. Et de poursuivre encore : « De trois heures à cinq heures je ramassais. Et je rentrais à la maison à six heures.

Après je me lavais, je prenais le petit déjeuner et je me couchais jusqu'à midi. L'après-midi, vers 15 heures, je me rendais au marché pour vendre mon butin». Au fil du temps, il a pu louer une échoppe de fortune, au début, grâce à son commerce. Et petit à petit, il a construit son propre magasin. Aujourd'hui, notre acheteur grossiste, a trois ouvriers qui travaillent pour lui. Selon son témoignage, il y a, entre autres, ceux qui louent les services des chiffonniers contre une somme dérisoire de 20 à 40 DH la journée. Et il y a, d'ailleurs, ceux qui offrent un logement avec eau et électricité. Par ailleurs, il faut distinguer trois sortes de récupérateurs: ceux qui sont relativement spécialisés, qui travaillent de manière régulière, les occasionnels et ceux qui colonisent une décharge, comme celles de «Mirikan ou de Mediouna». Ces récupérateurs sont plus ou moins rattachés à un intermédiaire-grossiste. Ce dernier est le cordon ombilical de la matrice des chiffonniers, qui se charge de revendre les matériaux aux sociétés spécialisées dans le domaine du recyclage. A noter que, parfois, les matériaux sont également revendus à des grossistes qui viennent s'approvisionner sur place. Enfin, il est opportun de noter que ces récupérateurs informels jouent un rôle majeur dans le système de la gestion des déchets. Notamment, ils exercent un métier lucratif et net d'impôt.
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Opérateurs bien organisés

Ce métier est en quelque sorte une aubaine pour les infortunés, notamment ceux qui vivent dans le besoin. «Il vaut mieux se lancer dans une carrière de chiffonnier indépendant, que de mendier l'argent auprès d'autrui», nous confesse Jalal, 35 ans, qui vient de quitter la maison parentale, pour louer une baraque près de la plage «karian Errmel». Même s'il est novice dans ce métier, il connaît sur le bout des doigts, les tarifs des produits. «Le pain est acheté 1 DH par kilo. L'aluminium, le fer, le zink et tous les objets métalliques coûtent de 6 DH à 12 DH le kilo. Les chaussures en plastique à 3 DH. Quant au verre, le prix est fixé soit à 0,90 DH, soit à 1 DH». Et de confirmer : «La plupart des marchandises partent vers des grandes usines, qui procèdent à l'opération de recyclage. Il y a quelques années, les canettes partent à l'étranger, parce qu'il n'y avait pas d'usine de recyclage de l'aluminium au Maroc. Mais récemment, des usines se sont implantées comme du champignon pour reprendre les objets recyclables.» Il est opportun de préciser que les chiffonniers constituent le premier maillon de cette activité informelle.
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