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«La littérature de l'apocalypse est déviante par rapport à l'Islam»

Interview • jean pierre filiu Historien professeur de sciences politiques, chaire Moyen Orient- Méditerranée, auteur de «Mitterrand et la Palestine»
les «Frontières du Djihad» et «l'Apocalypse dans l'Islam»

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LE MATIN : Sur quels matériaux avez- vous travaillé pour la réalisation de votre dernier ouvrage « Apocalypse dans l'Islam »?

JEAN-PIERRE FILIU :
La recherche s'est faite à partir des textes d'ouvrages qui se comptent par millions venus de l'Egypte, du Liban, de la Malaisie qui souvent suscitent du désintérêt ou de l'indulgence. J'ai eu en main des centaines d'ouvrages en arabe que j'ai lus, que j'ai décortiqués, que j'ai confrontés avec les textes classiques du Hadith et du Coran pour voir comment cette production littéraire se situait par rapport à l'Islam.

Quelle est votre réponse ?

Ce sont des textes violents, une littérature de dénonciation, d'imprécation souvent violente qui montre du doigt les ennemis et qui interprète à sa manière le monde qui utilise la numérologie. C'est une littérature parfois très déviante par rapport à l'Islam. Elle incorpore des phénomènes de tout genre, juifs, chrétiens, soucoupes volantes, Nostradamus, triangle des Bermudes, et autres divagations d'autres religions supposées être modernes. Certains auteurs, souvent d'origine égyptienne, ont développé, ces dernières années, une «littérature apocalyptique musulmane», mélangeant sans aucune précaution tremblements de terre, éruptions volcaniques, Antéchrist, Armageddon, holocauste nucléaire, Mahdi, Nostradamus et soucoupes volantes. Cette littérature violemment antisémite rencontre un succès populaire incontestable. A partir de cela se bricolent des espèces de fictions apocalyptiques, récits violents où les événements d'actualité sont transformés en sites annonciateurs de l'heure dernière. Des pseudo religieux, autodidactes et autres se permettent d'annoncer le commencement de la fin sous des titres «la dernière heure approche» ou « l'antéchrist gouverne-t-il le monde ?» en mettant en exergue des faits d'actualité comme l'invasion de l‘lrak, la guerre en Afghanistan ou l'arrivée de la fin des temps. Les signes, disent-ils, sont là, le renversement des valeurs, le développement des épidémies, le sida, les tsunamis. Ces pamphlets sont souvent recouverts de couvertures effrayantes de diable portant des cornes, de dragons couverts de sang...

En fait, il y a des événements qui causent d'immenses souffrances aux peuples musulmans et qui leur servent de plateforme. Une question cependant y a-t-il quelqu'un qui tirent les ficelles ?

Personne ne tire les ficelles, il y a une littérature d'un genre nouveau et, à mon avis, il y a surtout beaucoup d'opportunisme éditorial pour se faire de l'argent en comblant les angoisses que vivent les musulmans. Il n'y a pas de mouvement derrière, il n'y a pas de chef d'orchestre ou de grands manipulateurs. En revanche, il y a certains qui pensent être des grands manipulés et qui sont un peu paranoïaques. Cette littérature va se développer mais elle n'a pas de traduction politique. Il y a aussi un risque, si les événements annoncés ne se déroulent pas, ces auteurs risquent de se déjuger et de perdre leur crédibilité, ce fut le cas lors de l'attaque de La Mecque.

Quelle est la réaction des Etats arabes ?

Certains laissent faire en disant «ce sont des fous qui parlent de la fin des temps», ce n'est pas grave, laissez les divaguer ! Certains sont plus inquiets car toute cette littérature contrevient à l'Islam et là l'alternative est délicate soit on laisse faire soit on réfute. Ce fut le cas en Egypte après la parution d'un livre de Sayid Ayyoub sur les événements du 11 Septembre qui a été réfuté. Cette réfutation a été utilisée pour dire que le livre était important et que le gouvernement cachait tout et ne voulait rien dire surtout pas la vérité. Dans ce type de configuration la réfutation n'est pas forcément efficace car elle risque d'apporter de l'eau au moulin de cette littérature. Quand quelqu'un croit à la thèse du complot, vous n'y pouvez plus rien car il sortira toujours un argument.

On retrouve tout cela dans d'autres discours des fondamentalistes chrétiens qui pullulent aux Etats-Unis et qui sont devenus des forces qui font et défont les opinions ?

Pour faire la distinction, le christianisme quand il est apocalyptique est plutôt millénariste, le judaïsme est plutôt messianique. Aux Etats-Unis, nous avons effectivement une production très importante et très populaire avec des dizaines d'émissions de livres vendus. Cela n'a rien a voir avec tout ce qui est produit dans le monde musulman, l'échelle est beaucoup plus importante, portée par des églises qui ont pignon sur rue, qui professent leurs messages évangélistes qui utilisent les sites d'Internet. Le président Reagan avait affirmé : «nous sommes la génération qui verra l'armageddon». Quant à l'auteur préféré de Georges Bush, il faut savoir que c'était Franklin Graham champion de l'apocalypse.
J'étais récemment aux Etats-Unis et beaucoup d'entre eux m'ont confié que ce sont leurs propres textes que l'on retrouve dans les écrits du monde musulman. J'ai personnellement moins peur de ce choc des civilisations qui est une aberration que de la confrontation des Apocalypses par le discours radical de tous ces extrémistes. Ces extrémistes musulmans qui dénoncent «le sionisme chrétien» en arrivent parfois à dire que les extrémistes juifs et chrétiens ont raison et que leurs prophéties vont se réaliser. On a une conjonction des discours portant sur les apocalypses qui fait peur et les uns se nourrissent du discours des autres.

Tout cela pourrait prêter à l'inquiétude ?

Reste que ce sont, il faut le rappeler, des auteurs marginaux dont les œuvres n'ont pas de traduction politique. Il faut bien sûr rester vigilant mais je pense que cette littérature ne durera qu'un temps.

Qu'en est-il en Europe ou en France où la communauté musulmane est importante ?

En France, il y a une réglementation qui interdit la publication des littératures trop violentes. Cela reste limité et contrôlé.
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