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«La fille de la campagne» qui a conquis le monde

Du 12 mai au 13 juin, les cimaises de la galerie d'art casablancaise «Loft» se feront témoin d'un moment fort de l'histoire des arts plastiques au Maroc.

«La fille de la campagne» qui a conquis le monde
Organiser une exposition commémorative des œuvres de la grande Chaïbia Talal revient à faire revivre une légende vivante immortalisée par l'étendue de son génie et la portée de sa virtuosité. Rendre hommage à cette grande dame, c'est honorer toutes les femmes qui ont surpassé le handicap de l'analphabétisme pour emprunter les chemins de la création via un langage universel dont l'alphabet est fait de couleurs et de traits écrits par une imagination hors du commun. Célébrer Chaïbia, c'est surtout fêter tout un genre artistique auquel elle a donné ses lettres de noblesse. Et pour mettre en exergue l'originalité et le talent de cette artiste, cette manifestation, première du genre au Maroc, donnera à voir non seulement nombreuses de ses œuvres inédites mais également les affiches rétrospectives ainsi que des articles qui ont valorisé le talent inné et inouï de cette artiste. En manipulant des gouaches, sans jamais être initiée à l'art de la peinture, et en donnant libre cours à une imagination débordante dans son Chtouka de naissance, feu Chaïbia était à cent lieues de soupçonner le cours qu'allait prendre sa vie.

La campagnarde qu'elle était alors était loin d'accorder un quelconque intérêt aux dessins qu'elle couchait sur ses toiles et aux mélanges de couleurs qu'elle opérait. Elle n'imaginait pas une seconde qu'elle allait révolutionner le monde des arts plastiques au Maroc. «L'artiste Chaïbia a influencé des générations d'artistes peintres et d'amoureux de l'art. Elle a milité pour la bonne cause de la femme, pour sa liberté et sa dignité. Cet événement artistique, dédié à sa mémoire, est soutenu par le cabinet de conseil en développement durable «Resilence» en tant que sponsor officiel. Pour cet organisme citoyen, le soutien accordé à cette initiative est un honneur, car elle donnera lieu à la création de la fondation Chaibia», confient Myriem et Yasmine Berrada, responsables de la galerie Loft.
Bonne vivante, Chaibia aimait les belles choses et adorait faire la fête. Même dans ses moments de détresses les plus déprimants, elle gardait espoir et continuait à rêver. Quand la chance l'abandonnait et que la fortune la boudait, elle s'accrochait encore plus à la vie. Elle avait la certitude que son existence allait basculer vers un avenir meilleur. L'optimiste qui était en elle avait vu juste.

De son amour pour la nature, les animaux, la terre et les rivières, est née une œuvre haute en couleur qui peint la vie dans sa simplicité et sa splendeur. La grandeur de Chaibia réside dans son penchant, artistiquement iconoclaste, qui l'a orientée vers un courant dont elle ignorait l'existence. On aurait prononcé le mot «Cobra» devant cette artiste au moment où elle a commencé à peindre, elle n'aurait manifesté aucune réaction. L'appellation «art naïf» ne l'aurait pas ébranlée davantage. En exprimant son émerveillement pour l'itinéraire de cette grande dame, Fatima Mernissi avait écrit : «Je vous admire, parce que dans une société programmée pour humilier la femme, vous avez déjoué les plans et démonté les mécanismes : sans préméditation sans arme, la quête de la dignité devenant le réflexe le plus naturel de survie, de vie avec ou sans diplômes ». Certes, Chaibia était une femme simple mais elle forçait le respect. Elle jouait avec les couleurs et les formes, tout simplement pour exprimer la passion pour la vie qui l'animait. Intègres, entières et authentiques, ses toiles étaient à son image. Colorées, bigarrées et éclatantes de lumière. Atypiques. Le vernissage de cette exposition hommage sera agrémenté par la présentation d'un livre inédit des poèmes de Chaïbia, illustré par le grand maître verrier Michel Barbault qui a collaboré avec Matisse, Rouault, Braque, Fernand Léger. Un événement à ne pas rater.
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Une femme authentique !

Née à Chtouka en 1929, mariée à treize ans, veuve à quatorze ans, Chaïbia a cherché dans la peinture le moyen de rester éternellement enfant. Elle commence à peindre en 1963 après avoir entendu en rêve la voix d'Allah lui dire: ''Chaïbia, prends les couleurs et peins!''. Découverte par le critique d'art Pierre Gaudibert qui l'encourage, elle expose pour la première fois ses oeuvres en 1966 au Goethe Institut de Casablanca. La même année, à Paris, elle exposera d'autres oeuvres au Musée d'art moderne, au Salon des indépendants et à la galerie Soltice. Dès lors, la notoriété de Chaïbia ne cesse de croître. Ses oeuvres seront exposées dans la plus importante galerie d'art brut française et elle participera également aux principaux salons et foires d'art contemporain (FIAC, Salon de Mai, Biennale de La Havane, Salon d'Automne, etc.). Au Japon, aux États-Unis, dans les pays scandinaves, en Angleterre, en France, en Italie, l'artiste intrigue, choque, suscite d'abord la curiosité, puis un intérêt mitigé, enfin un envoûtement et une admiration réfléchis. Chaïbia se revendique d'un art spontané, produit d'un itinéraire très personnel, difficilement reproductible. En fait, elle est tout simplement animée par un élan intérieur qui fait d'elle une créatrice à part entière.
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