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«Le temps des valeurs»

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Notre époque est de celles où le doute philosophique relèverait en principe de l'exercice quotidien. S'y prêterait-elle qu'elle nous renverrait aux temps immémoriaux où les philosophes grecs, de Socrate à Platon, en passant par Aristote, hissaient les valeurs au-dessus de tout. Les Arabes- notamment le philosophe Ibn Rochd- qui ont puisé beaucoup dans l'héritage de la Grèce antique ont, des siècles durant, fait des valeurs le socle de leur éthique et la fierté de leur conduite. La cité démocratique au sens antique, partie d'Athènes, érigée en modèle ensuite, reposait derechef sur un système de valeurs qui sont au cœur de toute culture, de toute civilisation. Elle a parcouru la planète, s'est installée bon an mal an un peu partout autour de cette exigence suprême que la société, toute société, primitive ou avancée, agraire ou industrielle, repose sur un corpus de valeurs : de la vieille Egypte au grand Brésil, en passant par la Mésopotamie et Chandernagor.

Les valeurs, c'est l'Homme. Elles sont à la société humaine ce que la liberté est au citoyen. Comment ne pas en prendre la réelle dimension de nos jours ? Dans le cadre de ses activités, l'Association Ribat-al Fath aura été bel et bien inspirée en organisant une conférence-débat sur le thème des valeurs. Le parterre d'intervenants, philosophes, sociologues ou autres, s'est retrouvé fédéré autour d'une problématique où l'analyse comparative a servi de fil conducteur. Les valeurs fondent la société et confortent la citoyenneté, elles régissent les rapports entre les groupes humains et les individus, elles animent la vie sociale et cristallisent si besoin la solidarité.

On eût adhéré spontanément à un tel énoncé, si hélas ! la réalité cruelle ne nous interpellait pas et ne nous prenait pas par la nuque. Quand bien même l'on sacrifierait volontiers à l'optimisme béat, une crise profonde de valeurs traverse nos sociétés comme un puissant courant marin et, ce faisant, ouvre d'importantes brèches dans nos certitudes si figées. La crise profonde des valeurs touche tous les domaines, politique, social, culturel, voire religieux. Elle s'arcboute sur un autre dilemme, non moins cruel : la contradiction chaque jour constatée et accentuée entre l'identitaire et l'universel, livrés à une confrontation sans précédent. Le vertige nationalitaire ou ethnique n'est pas simplement l'expression identitaire de groupes qui se sont impunément livrés, de la Bosnie-Herzégovine au Rwanda, à de véritables génocides.

Il est presque devenu une revendication posée et légitimée au nom de la reconstitution des Etats. Ethnique ou religieuse, la fracture est instrumentalisée par un certain Samuel Huntington qui, en commettant son brûlot, « Le choc des civilisations » en 1993, avait alors entrouvert cette redoutable « Boîte de Pandore » qui servira quelques années plus tard de prétexte aux extrémistes de tout acabit. On n'a pas eu de mal à constater avec effroi le glissement d'une telle ineptie conceptuelle vers le champ fragile des religions.

L'universalisme, valeur suprême, reste donc la parade de tout irrédentisme, politique, économique, culturel et religieux. Au cœur d'un tel entrelacs, le cosmopolitisme constitue la réponse moderne au repli identitaire et nationaliste. Les concepts de démocratie, de progrès, de raison et de liberté ne se dissocient à vrai dire que dans les dictatures totalitaires et fascistes. Toute citoyenneté trouve son inspiration dans la tolérance et le respect de l'autre, se justifie par un combat quotidien et acharné contre la discrimination et le racisme, l'exclusion et la marginalisation des démunis. Sans doute, en effet, l'énumération de tels principes cardinaux relèverait de ce que les cyniques qualifieraient de catalogue. La réponse est que la mondialisation rampante qui souffle sur nos civilisations et nos continents a tendance à les uniformiser, à les polir sous le même moule pour ne pas nous inquiéter sur le sort fragile réservé aux valeurs universelles de partage et de dialogue. Le droit à la différence, autrefois agité comme un épouvantail, n'a pas fini de tracer pour nous le chemin exigeant de la modernité.

L'exclusion de l'Autre, le délit de faciès, le rejet de la différence pourraient-ils resurgir de leur trappe abyssale, qu'ils se heurteraient à la morale universaliste qui forge désormais la conscience des hommes. L'Universel n'appartient à aucun groupe spécifique, il n'est le monopole d'aucun continent ou pays, autrement dit il n'est pas la propriété, comme on a cru le dire depuis ce haut Moyen Age, ni de l'Europe, encore moins de l'Amérique ou de l'Asie. L'Universel, ce sont justement les valeurs qui font de la souveraineté l'ultime protection des faibles. « Partout où l'intolérance théologique est admise, disait Jean-Jacques Rousseau, il est impossible qu'elle ne puisse pas avoir quelque effet civil ». Cette vérité semble inscrite sur le fronton de nos sociétés et le fait que l'Association Ribat al-Fath ait programmé un débat aussi actuel, qui nous interpelle et nous tire de notre frilosité, ne peut que nous réjouir de cette exigence intellectuelle par des temps de doutes.
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