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La «constante macabre» chez les enseignants

La ville de Meknès a abrité vendredi dernier le colloque de l'Association des mathématiques appliquées.

La «constante macabre» chez les enseignants
Cette manifestation a réuni de nombreux chercheurs. Parmi les invités, André Antibi, un chercheur en éducation et professeur de mathématiques à l'université Paul Sabatier à Toulouse. Ce dernier avait dénoncé à Rabat en 2005 ce qu'il appelle «la constante macabre». Aujourd'hui, il évoque la méthode pour supprimer ce phénomène, «Les notes : la fin du cauchemar ou comment supprimer la constante macabre». Par «constante macabre», il entend la proportion constante de mauvaises notes dans une classe. Selon lui, les enseignants ont tendance, inconsciemment, à s'arranger pour distribuer un certain nombre de mauvaises notes pour un devoir dans leur classe. Soutenu par les plus hautes instances éducatives françaises, ses théories connaissent cependant quelques détracteurs qui voient dans son travail le moyen de masquer un échec scolaire réel. Le constat de la constante macabre, ce chercheur l'a fait en France d'abord avant de voir que d'autres pays dans le monde bien que très peu nombreux connaissaient le même phénomène.

Parmi eux, il compte les pays du Maghreb et notamment le Maroc dans la mesure où ces pays sont assez proches du système d'enseignement français. La majorité des autres pays du monde et notamment les pays anglo-saxons ne comprennent pas le comportement des enseignants que stigmatise le professeur. «Pour les Québécois, l'idée «d'avoir la moyenne» est parfaitement incompréhensible, indique André Antibi. Il n'est rien de plus stupide en réalité que de croire que l'on a posé un bon sujet à ses élèves lorsque l'on est arrivé à avoir la moitié de la classe en dessous de 10/20, c'est-à-dire en situation d'échec.» Le professeur qui a fondé le Mouvement contre la constante macabre explique que celle-ci se perpétue de manière inconsciente dans l'esprit des enseignants selon trois processus.
D'abord, il y a confusion entre la phase d'apprentissage et la phase d'évaluation. S'il est normal, alors que l'on cherche à faire apprendre de nouvelles choses à un élève de ne pas lui poser les questions dont on sait d'avance qu'il en connaît la réponse, ce n'est plus le cas en situation d'évaluation. A ce moment là, il s'agit de tester l'aptitude d'un étudiant et non, de vouloir le piéger.

La théorie des obstacles ne vaut que pour le temps de l'apprentissage.
Ensuite, André Antibi évoque la courbe de Gauss pour expliquer l'erreur commise par de nombreux enseignants et en France et au Maroc. Cette courbe statistique a une forme de cloche. C'est une représentation statistique de données naturelles et apparaît lorsque beaucoup d'individus ont une caractéristique semblable telle qu'ils sont nombreux à se retrouver autour de cette caractéristique (par exemple la taille de 1m75) et qu'ils sont beaucoup moins nombreux à avoir une position extrême (les homme de plus de 2m et de moins de 1m50 sont rares). Intuitivement, les enseignants auraient ainsi à l'esprit cette courbe : il serait normal que beaucoup d'élèves aient un peu plus ou un peu moins de dix et exceptionnel qu'ils aient des notes proches de 0 ou de 20. Cependant pour le professeur Antibi cette représentation mentale est fausse car elle ne vaut que pour un phénomène naturel et l'élaboration des notes n'a rien d'un phénomène naturel. Ensuite, il n'y aucune raison pour que la moyenne autour de laquelle se trouvent de nombreux élèves soit 10 et non 12 ou 15. Enfin, la propension spontanée, à suivre la tradition, expliquerait aussi le phénomène de la constante macabre. Les professeurs auraient tendance à reproduire le schéma existant sans le questionner.
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«Il faut un support de sens à la mémorisation»

Interview • andré antibi
Chercheur en éducation et professeur de mathématiques à l'université Paul Sabatier à Toulouse

Que préconisez-vous pour mettre fin à ce phénomène ?

J'ai élaboré le système d'évaluation par contrat de confiance. Je pense qu'il faudrait donner à l'élève une liste de questions avec leurs réponses associées environ deux semaines avant le contrôle. La liste serait longue et devrait couvrir l'ensemble du programme de révision. Le contrôle lui-même tirerait ses interrogations de cette liste pour ses 4/5. Le dernier 1/5 du contrôle serait constitué de questions relatives au programme, mais n'étant pas incluses dans la liste de questions données au préalable.

En procédant ainsi ne risque-t-on pas d'inciter à un apprentissage par cœur et sans réflexion ni compréhension ?

La liste de questions doit être suffisamment longue pour qu'aucun apprentissage par cœur et surtout sans compréhension ne soit possible. Il est en effet très difficile d'apprendre trois pages de formules mathématiques si l'on ne comprend rien. Il faut toujours un support de sens à la mémorisation. On constate d'ailleurs lors de concours pour les grandes écoles que les élèves, en temps limité, ne sont jamais capables de répondre à un problème totalement nouveau. Quant à l'apprentissage par cœur, il est déjà en œuvre aujourd'hui puisque l'on sait que beaucoup d'examens sont préparés par les étudiants sur la base des annales.

Dans ce cadre, que devient la créativité de l'élève ?

Le système de l'évaluation par contrat de confiance ne permet pas l'évaluation de l'inventivité et de la créativité de l'étudiant. Dans tous les cas où elle est nécessaire alors la dissertation reste possible. Cependant, la dissertation en littérature est souvent conçue comme une évidence incontestable alors qu'elle ne l'est pas. Il est possible de donner des questions précises sur un programme clair, sur un ensemble de textes, en littérature sans nécessairement recourir à la dissertation ni brader l'évaluation de ces connaissances littéraires.

Les meilleurs ne risquent-ils pas de ne plus se sentir valorisés ?

Dans le cas où ils finiraient avant leurs camarades lors des contrôles, il faut penser à leur préparer des questions volontairement difficiles cette fois pour les faire réfléchir et empêcher qu'ils ne s'ennuient. Cependant pour que le phénomène de constante macabre ne se reproduise pas de manière encore plus arbitraire, il ne faut pas comptabiliser ces exercices dans le résultat du devoir. C'est donc en cours, pendant l'apprentissage que les meilleurs élèves pourront être valorisés.

Votre système a-t-il lui-même fait ses preuves ?

Il est mis en œuvre actuellement en France par 30.000 enseignants. Je pense que les élèves travaillent infiniment plus et sont plus motivés que par le passé. J'ai d'ailleurs constaté que le système d'évaluation mettant en place involontairement la constante macabre, n'existait que dans le système scolaire de quelques pays. Même en France, hors écoles, personne n'est évalué de cette manière. Les sportifs, les musiciens… sont évalués spontanément avec des méthodes proches de celle que je propose.
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