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«Le rap m'a appris à voir le monde différemment»

Il compte parmi les pionniers du rap au Maroc et peut se targuer d'avoir introduit le dialecte marocain «darija» dans ce genre musical. Aminoffice, pourtant, moins connu que ses successeurs, nous parle ici, sans complaisance, de sa passion, de ses déceptions et de ses espoirs.

«Le rap m'a appris à voir le monde différemment»
LE MATIN : Vous êtes le premier à avoir fait du Rap en arabe. Pensez-vous que la «darija» se prête à ce genre musical ?

AMINOFFICE :
Maintenant, je dirai oui facilement, mais il y a 16 ans, j'aurais dit non. En fait, quand on passe de l'imitation à la création, les choses se compliquent. En 1993, j'ai commencé à rapper en français, et bien sur j'avais des idoles parmi les rappeurs marseillais de l'époque. Je devais donc faire pareil sinon mieux. Mais quand j'ai essayé de composer des poèmes en arabe en 1994, je me suis retrouvé avec des couplets qui n'étaient pas pour me plaire. Ce qui m'a résolu à continuer en français. La deuxième tentative, entreprise en 1995, a donné de meilleurs résultats, à savoir le premier morceau de «Rap Maghrebi», qui a fait le tour du Maroc et qui m'a valu un passage avec les «Double A» sur 2M. C'est alors que j'ai compris que le problème ne venait pas de la «darija», mais plutôt de mon goût musical qui penchait trop vers le rap français alors que celui marocain était sous mes mains en période de création.

Vous êtes l'un des pionniers du rap au Maroc et pourtant vous n'êtes pas aussi connu que beaucoup de groupes qui vous ont succédé. Pourquoi ?

Ceux qui sont venu après moi ont récolté ce que j'ai planté. C'est simple, de 1996 à 1998, j'ai eu ma période de gloire durant laquelle j'ai crée, ce qui a servi de matière première à d'autres jeunes du Maroc même si la majorité d'entre eux refusent de reconnaître que «Double A» était pour quelque chose dans l'apparition du Rap marocain. A partir de 2000, je me suis mis à rapper pour moi, sans trop chercher à me produire sur scène, vu le manque d'événements à l'époque. Les médias ne me connaissent pas pour deux raisons. La première, parce que j'ai quitté le Maroc en 2004 pour m'installer en France, avant que le mouvement n'explose brusquement entre 2005 et 2007. La deuxième raison, c'est que jusqu'à aujourd'hui personne n'a cherché à connaître l'origine du rap marocain ainsi que ses fondateurs. Si je ne suis, donc, pas en boucle dans les radios et télés, c'est tout simplement par ce que jusqu'en 2008, je suis resté fidèle au bon vieux rap classique qui associe la sincérité du texte engagé à la lourdeur de la musique.
Deux éléments que les médias n'apprécient pas beaucoup. En revanche, en 2008, je suis enfin arrivé à changer, un peu, musicalement. Ma pensée, elle est restée
intacte.

A quel moment vous avez senti qu'il vous fallait passer à la composition musicale ?

Je suis né dans une famille traditionnelle où on écoutait beaucoup «Abdel Halim Hafez» et «Oum kalsoum». Mais on avait aussi un voisin mordu du Jazz. C'est dans cette ambiance musicale que j'ai grandi. Le rap est arrivé entre l'âge de 12 et 16 ans. C'était pour moi une manière de m'exprimer en chantant. A côté de mon autre passion qu'était «le skate», le rap a changé ma vie d'adolescent.

Que vous a appris le rap ?

Le rap, c'est un art comme les autres et chaque artiste cherche en lui ce qui pourrais le rendre grand. Je ne suis pas en quête de nouveaux sons, mais plutôt d'un bon texte qui se distingue des autres. Le Rap m'a ouvert les yeux sur beaucoup de choses. J'ai également appris que la fraternité musicale n'existait pas, et que la déception peut être un point de départ. Le rap m'a enfin appris à voir le monde différemment, à écrire dans le silence pour écouter ma voix interne. Il ma tout simplement appris à utiliser la «darija» autrement.

Le rap a un aspect contestataire qui lui est inhérent. Pensez-vous qu'il soit viable au Maroc avec tous les interdits et les tabous qui entourent notre culture ?

Je pense que tout dépend de la manière dont le Maroc évoluera au niveau de la liberté d'expression. Aujourd'hui, les choses ont changé. Si notre pays a autorisé la sortie de films comme «Casanegra» et «Amours voilés», on pourrait espérer mieux dans le futur. Je voudrais signaler au passage qu'actuellement, on nous donne le droit d'être ouvert jusqu'à dépasser toutes les frontières culturelles et religieuses.

Est-ce que le rap marocain a des propriétés ou des particularités qu'on ne trouve pas dans celui d'autres pays ?

Vous savez, j'aime à comparer le rap marocain à «Saïd Aouita» qui a permis à notre chère patrie d'être au diapason des autres pays. La France, les USA et l'Allemagne ont eu un âge d'or du rap underground. Mais ce que font les Américains aujourd'hui, les Marocains le font aussi. Là où ils vont, nous les suivons. Il est vrai que la musique change et qu'il faut suivre son évolution, cependant nous ne sommes pas obligés de faire du «copier-coller». Notre culture et notre langue nous permettent de vastes possibilités en terme de métaphores et «Kssayed» sans que cela ne prenne la forme de «Malhoune».

Quel regard jetez-vous sur le rap au Maroc et comment voyez-vous son évolution ?

Le rap progresse au Maroc. Mais je trouve que les rappeurs ont commis certaines erreurs. Au lieu de rester neutres, ils se sont mis à afficher leur appartenance à des parties politiques. Ils doivent, donc, faire preuve de plus de responsabilité vu qu'ils représentent la voix du peuple. En bref, je dirais, que le rap au Maroc est encore au stade de l'enfance. Son évolution est entre les mains des médias qui n'y connaissent pas grand-chose.

L'impression régnante aujourd'hui est que le rap est un genre facile à faire. Il suffit de jouer avec les mots et la musique s'occupe du reste. Que répondriez-vous à cette «allégation»?

Comme tous les styles de musique, il y a du vrai et du faux. Le rap au Maroc se résume malheureusement aux pantalons larges, aux chaînes et casquettes portées de côté. Il n'y a pas de mal à s'habiller «Rap» encore faut-il assumer. Pour faire du rap, il faut savoir écrire et rapper. Mais certains rappeurs trichent. Ils se cachent derrière la musique pour camoufler leurs textes bidons. D'autres se mettent en groupe pour se compléter parce qu'ils ne sont pas des rappeurs à part entière. Malheureusement, la télévision, la radio et les festivals ne demandent que cela pour avoir des spectateurs.

Quels sont vos projets d'avenir ?

J'ai un album que j'ai préparé à petit feu, puisque ma petite famille passe avant. Mais le piratage a bloqué sa sortie, les maisons de disque au Maroc crient famine, et les offres sont très pauvres et modestes au niveau de la distribution. L'album, s'appellera donc, «Sahle l'moumtanie» (Le facile inaccessible), dans un récit racontant ma carrière, un Maroc qui ma vite oublié en 5 ans à l'étranger et le trouble du doute que vit un parolier du soir.
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Un franc-tireur

« Je pense qu'à notre époque, exprimer sa colère et son point de vue sont les raisons d'être du rap. C'est l'unique type de musique où l'on chante comme on parle. Parler pour dire qu'on a mal est très important », tranche Aminoffice qui constate avec amertume qu'aujourd'hui, la plupart des groupes ont pour but l'argent et le succès. Ce qui a réduit cet art à un vulgaire commerce. L'objectif des artistes étant de faire danser pour s'en sortir et avoir la bénédiction des festivals et des médias. « La tentation est claire et forte. Le rap commercial rapporte vite et tout le monde fait pareil. Résultat, les principes du bon vieux rap tombent à l'eau après chaque zéro ajouté au cachet », affirme-il.
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