Agiles et laborieux, quelques hommes se déplacent sans cesse d'une tente à l'autre, se donnent des coups de main pour déposer des paquets volumineux. Ils les vident avec précaution et s'attèlent à ranger leur contenu sur de petites étagères de façon presque machinale. A voir ces installations et ce va-et-vient continuel des ouvriers, quelques passants, mus par la curiosité, ralentissent le pas pour jeter des coups d'œil à l'intérieur, se demandant ce qui pourrait bien provoquer une telle agitation à 9h00 du matin dans ce coin isolé. Leur curiosité est vite satisfaite lorsque leur regard enquêteur rencontre un petit panneau qui se tient pudiquement à l'entrée, sur lequel ils peuvent lire en arabe et en français : « En célébration de la journée mondiale du livre et de l'édition, la foire du livre et de l'édition, du 23 au 28 avril 2009». Peu intéressés, quelques-uns reprennent leur chemin. D'autres, plus rares, prennent le temps de s'introduire dans les lieux. Peut-être ils en sortiront avec un bouquin qui en vaut la peine, tant sur le plan du contenu que du prix.
Jeudi, la ministre de la Culture était là pour l'inauguration de la foire. A partir du mois d'avril et à l'approche de l'été, un vent de fraîcheur souffle sur la vie culturelle quelque peu morne, et les foires du livre foisonnent dans toute la capitale. L'organisation de celle-ci est une initiative louable de la part du ministère, sauf qu'elle est restée, semble-t-il, sans écho. Preuve: les foires des équipements électroménagers rencontrent un succès beaucoup plus franc que celles du livre ! «C'est le facteur matériel à mon sens qui explique le désintérêt de la population », avance Mohammed, l'un des ouvriers. Et de poursuivre : «Nous proposons des prix moins importants que les bibliothèques. Pourtant, ils sont loin de motiver les citoyens, surtout ceux ayant un faible pouvoir d'achat ».
La motivation, c'est pratiquer des prix abordables, mais c'est aussi informer les gens. Or, à part le petit panneau sur le lieu même et une affiche à peine remarquable juste à côté, il n'y a aucun indice qui pourrait renseigner sur l'existence de la foire : c'est tout un travail de communication qui fait défaut. Vers 11h00, l'espace s'anime petit à petit. Quelques individus éparpillés dans les coins de la foire feuillettent rapidement les ouvrages étalés.
On a essayé de ratisser large : 16 maisons d'édition prennent part à cette manifestation culturelle, avec des livres arabophones et francophones de tous les formats et traitant de divers domaines : droit, philosophie, Histoire du Maroc, littérature, dictionnaires, livres scolaires… Un rayon consacré aux vieux bouquins exhale une odeur de moisissure. A l'intérieur, des livres jaunâtres sont entassés négligemment les uns sur les autres, alors que d'autres n'ont pas encore été emballés. Un jeune garçon s'affaire à dépoussiérer les livres et à les déposer sans discernement sur les étagères, sans paraître prêter assez d'attention à ce qu'il est en train de faire. Ici, sous la poussière, gisent d'anciens chefs-d'oeuvre de littérature et des documents historiques de grande valeur. Mais les déterrer relève du parcours du combattant.Rêveur, un quinquagénaire aux cheveux grisonnants contemple une ancienne série policière très célèbre à l'époque. Alors que les plus jeunes se dirigent vers d'autres coins plus attractifs, ce rayon qui semble appartenir au passé lointain n'attire que quelques rares personnes ayant pour devise : «Ah ! Le bon vieux temps !».
Le visiteur «flâneur » appréciera la variété des ouvrages et leur qualité, certains étant des best-sellers, si l'on peut dire ainsi. Mais pour le visiteur pressé qui recherche un bouquin précis, il y a de fortes chances qu'il rentre bredouille. C'est exactement le cas de Hamid, un juriste venu visiter la foire dans l'espoir de pouvoir dénicher des ouvrages intéressants de droit. «Je suis très déçu», avoue-t-il. «Il y a déjà une demi heure que je galère ici à la recherche d'un bouquin sur le droit commercial, je n'ai rien trouvé. Figurez-vous que les trois quarts des écrits juridiques exposés dans cette foire sont réservés au code de la famille», proteste-t-il encore, et de poursuivre avec conviction: «Certes, le code de la famille est intéressant, mais il existe une panoplie d'autres textes qui méritent d'être révélés au public». A le voir s'emporter ainsi, un responsable assis en toute quiétude sur une chaise se sent concerné et essaye de se défendre en disant calmement : ce qu'il faut savoir monsieur, c'est que les ouvrages sont choisis en fonction des maisons d'édition qui les ont publiés, et non pas des thèmes ou des auteurs. C'est ce qui justifie la pénurie que vous constatez au niveau de certains écrits ».
Mais au lieu de calmer le jeu, ces propos ne font qu'exacerber l'irritation du bonhomme : «Non, non ! cela ne justifie rien ! Il faut rendre à Dieu ce qui est à Dieu et à César ce qui est à César. La société marocaine a des préoccupations beaucoup plus vitales que les problèmes de mariage et de divorce. C'est une vision monoculaire des choses, ce n'est pas cela qui nous fera avancer… » La conversation continue entre les deux hommes, sans paraître prendre fin, chacun défendant son point de vue. Effectivement, chacun peut faire le constat que les mêmes titres reviennent dans chaque rayon. L'accent est mis sur des thèmes généraux, accessibles aux plus profanes et susceptibles d'intéresser la grande masse des lecteurs. Par contre, ceux qui cherchent des ouvrages minutieux de spécialité ne seront pas servis, d'autant plus qu'on n'a même pas pris la peine de classer les bouquins par ordre thématique. Cela complique davantage la vie aux visiteurs qui se trouvent dépaysés et préfèrent, dès lors, s'adresser aux bibliothèques où les choses sont organisées de manière beaucoup plus professionnelle.
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*Journaliste stagiaire
Jeudi, la ministre de la Culture était là pour l'inauguration de la foire. A partir du mois d'avril et à l'approche de l'été, un vent de fraîcheur souffle sur la vie culturelle quelque peu morne, et les foires du livre foisonnent dans toute la capitale. L'organisation de celle-ci est une initiative louable de la part du ministère, sauf qu'elle est restée, semble-t-il, sans écho. Preuve: les foires des équipements électroménagers rencontrent un succès beaucoup plus franc que celles du livre ! «C'est le facteur matériel à mon sens qui explique le désintérêt de la population », avance Mohammed, l'un des ouvriers. Et de poursuivre : «Nous proposons des prix moins importants que les bibliothèques. Pourtant, ils sont loin de motiver les citoyens, surtout ceux ayant un faible pouvoir d'achat ».
La motivation, c'est pratiquer des prix abordables, mais c'est aussi informer les gens. Or, à part le petit panneau sur le lieu même et une affiche à peine remarquable juste à côté, il n'y a aucun indice qui pourrait renseigner sur l'existence de la foire : c'est tout un travail de communication qui fait défaut. Vers 11h00, l'espace s'anime petit à petit. Quelques individus éparpillés dans les coins de la foire feuillettent rapidement les ouvrages étalés.
On a essayé de ratisser large : 16 maisons d'édition prennent part à cette manifestation culturelle, avec des livres arabophones et francophones de tous les formats et traitant de divers domaines : droit, philosophie, Histoire du Maroc, littérature, dictionnaires, livres scolaires… Un rayon consacré aux vieux bouquins exhale une odeur de moisissure. A l'intérieur, des livres jaunâtres sont entassés négligemment les uns sur les autres, alors que d'autres n'ont pas encore été emballés. Un jeune garçon s'affaire à dépoussiérer les livres et à les déposer sans discernement sur les étagères, sans paraître prêter assez d'attention à ce qu'il est en train de faire. Ici, sous la poussière, gisent d'anciens chefs-d'oeuvre de littérature et des documents historiques de grande valeur. Mais les déterrer relève du parcours du combattant.Rêveur, un quinquagénaire aux cheveux grisonnants contemple une ancienne série policière très célèbre à l'époque. Alors que les plus jeunes se dirigent vers d'autres coins plus attractifs, ce rayon qui semble appartenir au passé lointain n'attire que quelques rares personnes ayant pour devise : «Ah ! Le bon vieux temps !».
Le visiteur «flâneur » appréciera la variété des ouvrages et leur qualité, certains étant des best-sellers, si l'on peut dire ainsi. Mais pour le visiteur pressé qui recherche un bouquin précis, il y a de fortes chances qu'il rentre bredouille. C'est exactement le cas de Hamid, un juriste venu visiter la foire dans l'espoir de pouvoir dénicher des ouvrages intéressants de droit. «Je suis très déçu», avoue-t-il. «Il y a déjà une demi heure que je galère ici à la recherche d'un bouquin sur le droit commercial, je n'ai rien trouvé. Figurez-vous que les trois quarts des écrits juridiques exposés dans cette foire sont réservés au code de la famille», proteste-t-il encore, et de poursuivre avec conviction: «Certes, le code de la famille est intéressant, mais il existe une panoplie d'autres textes qui méritent d'être révélés au public». A le voir s'emporter ainsi, un responsable assis en toute quiétude sur une chaise se sent concerné et essaye de se défendre en disant calmement : ce qu'il faut savoir monsieur, c'est que les ouvrages sont choisis en fonction des maisons d'édition qui les ont publiés, et non pas des thèmes ou des auteurs. C'est ce qui justifie la pénurie que vous constatez au niveau de certains écrits ».
Mais au lieu de calmer le jeu, ces propos ne font qu'exacerber l'irritation du bonhomme : «Non, non ! cela ne justifie rien ! Il faut rendre à Dieu ce qui est à Dieu et à César ce qui est à César. La société marocaine a des préoccupations beaucoup plus vitales que les problèmes de mariage et de divorce. C'est une vision monoculaire des choses, ce n'est pas cela qui nous fera avancer… » La conversation continue entre les deux hommes, sans paraître prendre fin, chacun défendant son point de vue. Effectivement, chacun peut faire le constat que les mêmes titres reviennent dans chaque rayon. L'accent est mis sur des thèmes généraux, accessibles aux plus profanes et susceptibles d'intéresser la grande masse des lecteurs. Par contre, ceux qui cherchent des ouvrages minutieux de spécialité ne seront pas servis, d'autant plus qu'on n'a même pas pris la peine de classer les bouquins par ordre thématique. Cela complique davantage la vie aux visiteurs qui se trouvent dépaysés et préfèrent, dès lors, s'adresser aux bibliothèques où les choses sont organisées de manière beaucoup plus professionnelle.
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Prédominance
La prédominance des ouvrages gastronomiques, des livres islamiques et des livres d'enfants saute aux yeux. Ces ouvrages occupent à eux seuls près de la moitié de l'espace d'exposition et sont placés dans des endroits « stratégiques » et accessibles à tout le monde. Bien entendu, c'est la demande qui décide des catégories des livres à mettre en exergue. A présent, ce sont les genres précités qui suscitent, grosso modo, l'engouement des lecteurs. Dans l'industrie du livre comme dans les autres, rien n'est laissé au hasard : l'étude du marché se fait minutieusement et on sait bien qu'un ciblage raffiné signifie une clientèle plus nombreuse.*Journaliste stagiaire
