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«Il faut sauver l'université marocaine»

Dans un entretien accordé au Matin l'universitaire, Mokhtar Chaoui, revient sur le véritable danger qui menace l'amour et la vie en couple. Et met l'accent sur la promiscuité permanente entre époux ou partenaires.

«Il faut sauver l'université marocaine»
LE MATIN : Pour vous, les rapports entre l'homme et la femme ont pour seul enjeu, le désir de domination. Vous ne croyez donc pas à l'amour ?

Mokhtar Chaoui :
Ce n'est pas moi qui ne crois pas à l'amour, mais mon personnage. Dans mon roman, je fais le portrait d'un homme qui aime trop les femmes, et qui a été déçu par elles, jusqu'à en devenir misogyne.
Il est donc impossible pour lui d'envisager le rapport homme/femme sous d'autres perspectives que celles du désir et de la domination, comme il était impossible pour moi de lui prêter des mots et des phrases qui ne soient pas machistes, voire cruels, ce serait aller contre la logique du personnage.
Salman, le héros du roman, ne croit pas vraiment à l'amour, mais il cherche le désir là où il se trouve et il n'a aucun scrupule à martyriser ses compagnes pour se sentir « homme», « viril » et « dominateur ». À ce propos, le roman a effectivement été construit sur l'idée de ce désir de domination de part et d'autre ; car à sa manière, et avec ses stratagèmes bien féminins, Abire cherche elle aussi à dominer Salman. Voilà pourquoi je considère personnellement que la plus grande erreur de l'homme est de vouloir soumettre la femme, alors que la plus grande erreur de la femme est de chercher à posséder l'homme. J'ajoute que le seul véritable amour de Salman est « l'écriture », du moins, c'est ce qu'il prétend.
C'est un homme victime d'un dilemme cornélien, celui de vivre une vie heureuse, mais ennuyeuse, avec une femme en chair, ou de consacrer sa vie à ce qu'il appelle «la plus chère des femmes », l'écriture. De ce point de vue, l'amour, dans le sens romantique, n'a pas de place dans le roman.

Vous essayez également d'analyser la psychologie humaine en tant qu'être orgueilleux, égoïste qui ne pense qu'à soi même et qui ne fait pas place à l'autre. On le voit à travers les deux personnages, Salman et Abire qui, chacun de son côté, ne pense qu'à son propre bonheur, sans penser que son bonheur passe par celui de son partenaire. Pour vous, les humains se résument à ça : des êtres égoïstes ?

Cet égoïsme, ou plus exactement cet égocentrisme est le propre de la société moderne. On peut le dénoncer, mais il n'en reste pas moins une réalité avec laquelle il faut composer. Ceci dit, les êtres « normaux», qui « se marièrent et eurent beaucoup d'enfants », les êtres «bons», les «tourtereaux», les «je t'aime, moi aussi» sont souvent ennuyeux, sans intérêt et surtout néfastes pour un roman. J'aime les êtres vicieux, paradoxaux, « anormaux », ceux qui sortent de l'ordinaire. Ce sont ces gens-là qui m'intéressent et dont je cherche à percer la cuirasse. Cela ne veut pas dire que les rapports humains se résument à des êtres égoïstes. En plus, je m'interdis de porter des jugements de valeur sur les personnages. Tout mon effort consiste à apprivoiser leurs zones d'ombre les plus sombres. J'essaie dans la possibilité de mes moyens de comprendre : comprendre les contradictions de l'être humain, son état d'âme, ses humeurs et son humour, les agissements et les manigances de son esprit, etc. Quant au bonheur, Salman le refuse parce qu'il estime qu'il rend « imbécile ». Pour lui, seuls le malheur, la détresse et la souffrance sont dignes des grandes âmes, dont, pense-t-il, il fait partie. Le malheur et la souffrance rendent créateur alors que la joie et le bonheur sont improductifs.

Vous faites beaucoup l'éloge de la solitude et du célibat. La vie en couple est-elle si décevante que ça ?

Si l'époux et le père de famille que je suis répond, je dirai : «Non, la vie en couple n'est pas aussi décevante que cela. Elle a ses avantages et ses inconvénients.»
Ceci dit, j'estime que la solitude est un bien précieux que le mariage ou la vie en couple ne doit pas tuer. Etre marié, ou vivant en couple, tout en restant solitaire, voire célibataire, est un idéal que j'essaie de concrétiser dans ma vie, et ce, en m'offrant des espaces de liberté, du temps de solitude et d'isolement qui me permettent de me retrouver dans mon travail d'écrivain. A ce propos, le titre de mon roman qui a souvent été pris pour une insulte à l'égard des femmes n'appelle à rien d'autre qu'à ce que les sociologues nomment « les vacances matrimoniales.» L'extrait dit exactement ceci : « Permettez-moi madame de vous répudier, ne serait-ce que pour, de nouveau, vous désirer.» J'estime que le véritable danger qui menace l'amour et la vie en couple est la promiscuité permanente entre époux ou partenaires. Se séparer pour mieux se retrouver est la meilleure façon de renouveler l'amour et de continuer ensemble. Mais là aussi, je n'exprime que mon point de vue qui n'est sûrement pas partagé par les autres… Heureusement, d'ailleurs.

Vous êtes très critique vis-à-vis des mœurs au sein de l'université, notamment des professeurs et des étudiantes. Quelle est la part du réel et celle du fictif dans vos accusations ?

Si j'ai donné à mon personnage le statut de professeur universitaire, c'est justement pour pouvoir parler des problèmes de l'université marocaine.
Ce sujet me tenait à cœur, d'autant plus que rares sont les écrivains marocains qui ont abordé ce sujet. Ce qui se passe dans les facultés marocaines, surtout celles des Lettres et des Sciences humaines est une « Mascarade », un « Génocide éducatif et culturel », et je pèse mes mots. L'université marocaine a touché le fond ; et tout le monde est responsable : décideurs, professeurs et étudiants.
Au niveau des décideurs, je pense que le véritable problème du Maroc, c'est d'avoir des compétences sans postes et des postes sans compétences. Pour preuve, les interminables réformes, toutes aussi inapplicables qu'inefficaces, rendant les facultés un laboratoire et les professeurs et les étudiants des cobayes. Au niveau des professeurs ; beaucoup d'entre eux
sont devenus comme des fonctionnaires, blasés et souvent laxistes.
De moins en moins d'entre eux se consacrent à la recherche scientifique et de plus en plus s'adonnent à la recherche «scientifrique», voire «scientifille », (permettez-moi ce jeu de mots et de maux)… illa man rahima rabbi. Quant aux étudiants, ils sont complètement désemparés, mal orientés, victimes d'un système éducatif défaillant et finissent en chômeurs. Le nombre infinitésimal de ceux qui réussissent à se frayer un chemin, grâce à leurs études, ne mérite même pas d'être mentionné. Il suffit de savoir que seulement 10 pour cent des inscrits à la faculté terminent leurs études. Et même pour ces 10 pour cent, on est incapable de leur trouver un travail. C'est dur de dire cela, que ça fera grincer des dents, que je me ferai des ennemis parmi mes collègues, mais c'est la réalité. Il ne faut plus se voiler la face. Il est temps de dire la vérité avec franchise, l'affronter avec courage et réagir en conséquence. Ce que j'expose donc dans mon roman concernant l'université marocaine n'a rien d'une fiction, encore moins des accusations gratuites ; c'est malheureusement la stricte vérité. Qui peut nier que le harcèlement sexuel existe dans nos facultés ? Qui peut nier que le niveau de l'enseignement est au plus bas ? Qui peut nier que les professeurs n'ont plus le prestige ni le savoir d'antan ? Qui peut nier que l'Etat a échoué dans toutes ses tentatives de «sauver » le système éducatif? L'autruche peut-être ? Mais l'autruche n'ignore pas ses défaillances, elle se les cache en enfonçant sa tête dans le sable. Sommes-nous des autruches?
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Une fresque exquise

Né à Tanger en 1964, détenteur de doctorat ès lettres en France et d'un doctorat d'Etat au Maroc, Mokhtar Chaoui est actuellement professeur à la faculté de Lettres et des Sciences humaines de Tétouan. «Permettez-moi madame de vous répudier» est son premier roman. Mokhtar Chaoui nous offre une fresque exquise d'un couple d'amoureux en plein déchirement, mais au-delà, le roman est un cri d'alarme contre la dégradation de plus en plus grave, à la fois intellectuelle et morale de la situation dans nos universités. «Ce qui se passe dans nos facultés est un « Génocide éducatif et culturel». L'université marocaine a touché le fond», dit-il
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