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Le G20 hanté par le spectre des sommets d'antan

Harold James Enseignant d'histoire et des relations internationales à la Woodrow Wilson School de l'université de Princeton et d'histoire à l'Institut universitaire européen de Florence

Le G20 hanté par le spectre des sommets d'antan
Le monde est aujourd'hui confronté à une crise économique dramatique qui, pour de nombreux responsables politiques, est plus grave que la Grande Dépression des années 1930. Avant 2008, les experts s'accordaient pour dire qu'une nouvelle dépression de cette importance était impossible du fait de la force et de la profondeur des mécanismes collectifs mis en place à la fin de la Seconde guerre mondiale. Le prochain sommet du G20 a ainsi fait naître l'espoir que l'internationalisme institutionnel soit, une fois de plus, capable de surmonter une multitude de problèmes. Malheureusement, du fait même de l'ampleur des attentes, la déception sera sans doute au rendez-vous. Le choix du lieu de réunion a une dimension symbolique regrettable, parce qu'il évoque la principale tentative ratée de piloter l'économie mondiale au cours de la Grande Dépression. La Conférence économique mondiale de 1933 s'était également réunie à Londres, dans l'ancien musée de géologie, avec un nombre plus élevé encore de participants qu'aujourd'hui, venant de 66 pays. Les délégués au sommet de 2009 ne visiteront sans doute pas ce musée, mais ils seront confrontés au spectre des conférences passées, parce que l'échec de 1933 recèle des leçons importantes pour nos dirigeants actuels.

Tout d'abord, comme pour le prochain sommet du G20, tout le monde s'attendait à ce que la conférence de Londres soit un échec. La réunion plénière a été paralysée par la manière dont les commissions préparatoires avaient préparé le terrain. Le groupe d'experts sur la question monétaire estimait qu'un accord sur la stabilisation des devises était souhaitable, mais qu'il fallait pour cela un accord préalable sur le démantèlement des barrières commerciales – les quotas et taxes douanières mis en place au cours de la dépression. De son côté, le groupe d'experts sur les questions commerciales émit un avis analogue. Il convint que le protectionnisme était à l'évidence une erreur, en étant toutefois un mal nécessaire sans stabilité monétaire. Seule l'impulsion donnée par une grande puissance déterminée, prête à sacrifier ses intérêts nationaux pour mettre fin à l'impasse, aurait pu sauver la conférence. Mais cette détermination était absente alors, comme elle l'est aujourd'hui. En vérité, la seconde leçon de la Conférence de Londres de 1933 est caractérisée par la réticence des gouvernements, dans les périodes de grandes difficultés économiques, à faire les sacrifices qui pourraient avoir un coût politique à court terme. Même si le résultat était une stabilité à long terme, les conséquences politiques immédiates seraient trop pénibles.

Dans des circonstances économiques défavorables, les gouvernements se sentent vulnérables et ne peuvent se permettre de s'aliéner l'opinion publique. En fin de compte, confrontés au fait que l'issue de la conférence serait un échec inévitable, les participants ont cherché un bouc émissaire. La conférence de 1933 ressemblait à une intrigue policière classique dans laquelle chaque partie avait des raisons d'être suspecte. La Grande-Bretagne et la France s'étaient détournées de l'internationalisme institutionnel et avaient adopté des systèmes commerciaux dits de « préférence impériale » qui favorisaient leurs empires coloniaux. Le président allemand venait de nommer Adolf Hitler à la tête d'un gouvernement de coalition radical et agressif. La délégation allemande était conduite par Alfred Hugenberg, qui sans être lui-même un nazi voulait prouver qu'il était un nationaliste encore plus implacable qu'Hitler. De son côté, le gouvernement japonais venait d'envoyer des troupes occuper la Mandchourie. De toutes les grandes puissances réunies à Londres, les Etats-Unis semblaient être de loin la plus raisonnable et la plus internationaliste. Les Américains avaient un nouveau président charismatique, Franklin Roosevelt, connu pour son état d'esprit anglophile et cosmopolite. Il avait déjà pris des mesures vigoureuses pour s'attaquer à la dépression et tentait de réorganiser le système bancaire américain en plein marasme.

Roosevelt n'était pas très sûr de la ligne à suivre pendant la conférence et ses conseillers ne lui offrirent que des avis inconsistants. A la fin, il perdit patience et annonça que pour le moment, les Etats-Unis n'avaient aucune intention de stabiliser le dollar. Ce communiqué, publié le 3 juillet 1933, fit l'effet d'une bombe. Roosevelt mettait l'accent sur la nécessité de restaurer « la solidité du système économique de la nation » et condamnait les « vieux fétiches des prétendus banquiers internationaux ». Les participants prétendirent être choqués par l'échec de l'internationalisme institutionnel, mais étaient en réalité ravis d'avoir trouvé le responsable de l'échec de la conférence. En 2009, nous sommes confrontés à des circonstances similaires. Les camps sont clairement définis à l'avance. Les Etats-Unis souhaitent que le reste du monde mette l'accent sur des plans de relance macroéconomique et estiment que la tâche compliquée de réinventer et de réorganiser la réglementation financière peut être remise à plus tard. De leur côté, de nombreux pays européens n'ont pas les moyens de mettre en œuvre des plans de relance en raison de finances publiques déficitaires et donnent la préférence à la réglementation internationale du secteur bancaire.

Les alibis ont aussi déjà été préparés. Le prochain sommet du G20 ne produira, sans doute, ni plan de relance coordonné, ni projet détaillé de réglementation financière infaillible. Tout au long de la réunion, les participants attendront le moment où l'un des chefs d'Etat (Angela Merkel peut-être) perdra patience et fera la remarque évidente et juste que ce sommet est une perte de temps. Tout le monde pourra alors rejeter l'échec de l'internationalisme sur ce politicien honnête.
Dans les années 1930, les gouvernements bellicistes du Japon et de l'Allemagne avaient le plus à gagner de l'échec de la conférence de Londres. L'échec du prochain sommet à Londres sera probablement aussi utilisé comme arme rhétorique contre les principaux gouvernements occidentaux et comme excuse pour mettre en œuvre de nouvelles formes de capitalisme d'État.
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