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Où nous conduit le Hadj ?

Anisa Mehdi
Journaliste et éducatrice interconfessionnelle. Elle a une bourse de la Fondation Fulbright pour l'année en cours, à Amman, où elle travaille avec des réalisateurs de documentaires et des professionnels de la radio et de la télévision.

Où nous conduit le Hadj ?
Les nouvelles concernant l'horrible événement de Fort Hood n'ont pas fait les gros titres de la presse jordanienne. Bien au contraire, l'accent y a été mis sur les assurances prodiguées par les responsables politiques que les gens auront assez de bouteilles de butane pour se chauffer en hiver, sur l'eau qui ne manquera pas et sur l'expansion des colonies israéliennes à Al-Qods. Même lorsque ces préoccupations remplissaient les manchettes, l'Aïd El Adha, célébrant la fin du pèlerinage, le Hadj, était une source d'espoir.

L'Aïd El Adha, c'est la fête du sacrifice. Selon les Ecritures, Dieu demanda au Prophète Abraham qu'il apporte la preuve de sa dévotion en lui sacrifiant son fils. Comme, sur le chemin de l'autel, Satan lui apparaissait, dénigrant Dieu, qui exigeait un acte si atroce, Abraham lui jeta des pierres pour le chasser. A la fin, Dieu, satisfait, épargna le fils d'Abraham, et offrit à ce père reconnaissant un bélier, pour qu'il le sacrifie à la place de son fils. Ce sont, parmi d'autres, ces épisodes de la vie d'Abraham que les musulmans commémorent pendant ces trois journées du Hadj, avec, notamment, le rituel qui consiste à jeter des cailloux sur une stèle de pierre représentant Satan. Lors de l'Aïd El Adha, qui marque la fin du Hadj, les musulmans sacrifient, ou bien, le plus souvent, paient pour qu'on sacrifie en leur nom chèvres, vaches et moutons, en souvenir du grand sacrifice offert par Abraham à Dieu, les "bêtes du sacrifice" étant ensuite distribuées aux pauvres.

Cette année, le nombre de pèlerins jordaniens observant le Hadj s'est élevé à 10.000, autant d'Américains, et presque trois millions d'autres musulmans venus de partout dans le monde. Par miracle, toute cette foule rassemblée, entassée en un seul lieu, comprimée, souffrant de la chaleur, de la faim, n'a pourtant pas fait de La Mecque un océan de violence, de bagarres, de meurtres et d'agressions. Dans ce rite islamique vieux de plus de 1400 ans, le danger le plus grave reste celui de la maladie. Comment se fait-il que, dans ces conditions aussi éprouvantes, des étrangers venant des recoins les plus reculés de la planète, appartenant à diverses ethnies et nationalités, parlant des langues différentes, soient en mesure d'entretenir en général de bonnes relations les uns avec les autres, pendant les éprouvants rituels que comporte le Hadj ? Ce n'est pas seulement le défi du Hadj, c'est celui de l'Islam lui-même. Le grand jihad — ou combat — que tout musulman doit affronter dans sa vie, c'est celui qu'il a à mener pour devenir la meilleure personne possible. Rien ne vaut le Hadj pour prouver qu'on sait être à la hauteur, pour exprimer, par la pratique, son humanité. D'ordinaire, on voit immédiatement comment les gens se tiennent séparés les uns des autres.

Beaucoup d'entre nous s'évertuent à se distinguer des autres-en affirmant même une supériorité ou une domination fondée uniquement sur le droit de naissance. En Jordanie, par exemple, musulmans et chrétiens coexistent, en considérant avec bienveillance de ce qui leur apparaît comme des croyances modérément erronées de l'autre. Il y a des Jordaniens de souche bédouine et des Jordaniens du Nord ou du Sud, chacun attaché qui à son mansaf d'agneau, qui à sa knafeh bien sucrée - savoureuses spécialités locales. Et il y a les Jordaniens palestiniens de 1948, et les Jordaniens palestiniens de 1967, chacun avec les bons moments et les doléances qu'ils tiennent de leur histoire. Lors du Hadj que j'ai eu le privilège de filmer et de commenter pour le Public Broadcasting Service (PBS) et pour la National Geographic Television, ces différences commencent à se dissoudre.

Le 9e jour du mois du Hadj, lorsque le crépuscule s'abat sur cette plaine d'Arafat où Sidna Mohammed, vers la fin de sa vie, fit ses adieux aux musulmans, de nombreux pèlerins, séchant leurs larmes, comprennent que, quand tout est dit, nous naissons, nous aimons et nous mourons; et qu'en fin de compte notre identité est liée à la manière dont nous vivons nos vies, non pas à la nation ou à la tribu dans laquelle nous sommes nés. Autant que l'individu, le Hadj concerne aussi, et ô combien profondément, la communauté et la communion de l'humanité.
Dans le Coran, Dieu dit : "Ô hommes ! Nous vous avons créés d'un mâle et d'une femelle, et Nous avons fait de vous des nations et des tribus, pour que vous vous entre-connaissiez. Le plus noble d'entre vous, auprès de Dieu, est le plus pieux.” (49:13). Et voici la grande leçon du Hadj : plus important que le lieu d'où nous venons est celui où nous allons.
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