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L'art mystique de Jaride

«Efface ce que tu as écrit, oublie ce que tu as appris et renonce à ce que tu as accumulé. Que restera-t-il de l'oubli? Le silence et la sérénité !», quoi de mieux que ces mots pleins de sagesse d'Ibn Arabi pour annoncer et dire l'âme du travail d'Ahmed Jaride.

L'art mystique de Jaride
«Une quête du soi», c'est ainsi que l'artiste qualifie son expérience picturale qu'il partage avec son public jusqu'au 14 novembre à la galerie casablancaise Venise Cadre. Avis aux amateurs mais également aux curieux avides de nouvelles découvertes. Le travail plastique d'Ahmed Jaride vaut le détour… il surprend mais surtout impressionne par l'originalité du procédé et des matières et spécialement par l'ampleur de la manœuvre.

En pleine époque du blanc, Jaride donne à ses tableaux les airs de terres labourées, de murs patinés par le tems et par son cours. La quasi absence de couleurs est compensée pleinement par la matière et ses différents effets. En être vivant, elle respire, se métamorphose et prend du relief pour dévoiler toute la profondeur de la pensée matrice de Jaride. Les quelques traces de couleurs que l'artiste prend le soin de laisser sur la surface prennent les allures de pistes, de balises qui nous guident dans cette quête spirituelle et artistique. «Je passe mon temps devant ma toile à décortiquer les phrases picturales, à retrancher et
à me débarrasser de superflu chromatique pourvu que je déniche quelques traces ou détecte des empreintes. Je cherche une piste, un chemin.
Un mystère, ce meilleur artisan du merveilleux», nous explique l'artiste, le verbe philosophe.

Sobre… c'est l'impression que donne l'univers de Jaride et pourtant il n'en est rien. Derrière le blanc immaculé et le minimalisme chromatique se cache bien une complexité plus profonde. Ainsi au-delà de la «géographie» variée de ses tableaux, Jaride dissimule des lettres furtives arabes et latines pour rajouter une dimension de plus à ses œuvres.

Essaie- t-il de nous révéler quelques secrets jalousement cachés ? Ou c'est juste une façon de rendre hommage aux maîtres qui ont éclairé, par leurs paroles sages, sa voie vers la pensée mystique ? L'important c'est qu'en semant ces petits «t», «o» ou «houwa», l'artiste verra fleurir des interrogations et pétiller des curiosités dans le regard de son public. Le propre de l'artiste et de tout créateur n'est-il pas de provoquer la réflexion ?
Jaride passe pour un maître dans cet art. D'ailleurs impossible de rester indifférent quant on voit les descriptions de ses tableaux. «Craie, café, brou de noix, charbon… sur pain» et oui la fascination de Jaride pour les matériaux naturels n'a pas de limites ! «Il n'y a rien de plus réellement artistique que la nature. Ma fascination pour les matériaux naturels vient du fait que je cherche à exprimer une certaine fragilité de l'être», analyse-t-il.

Dans son expérience artistique, Jaride s'ingénue à inventer d'autres vies à la poudre de marbre, aux cendres du papier, au café, au charbon, à l'écorce de grenade, au brou de noix et la pâte du pain. Pour lui, seuls les pigments végétaux et minéraux laissent entrevoir toute la subtilité, la transparence, la sincérité et la limpidité qu'il veut communiquer à travers ses choix esthétiques. En peintre illuminé, Ahmed Jaride s'adonne à l'art comme un soufie s'adonne à la méditation, c'est sa façon de «percevoir l'impalpable, voir l'invisible et réaliser la représentation de l'irreprésentable!», comme l'exprime si bien lui-même.
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QUESTIONS À : Ahmed Jaride, artiste-peintre

«Je suis un artiste de trace !»
Votre peinture est traversée de signes, d'images furtives et de textes… Qu'est-ce que vous essayez de dévoiler et de dire ?

Je m'intéresse aux signes mais pas dans la peinture. Mon travail n'a rien à voir avec le signe. Je passe mon temps devant ma toile à décortiquer les phrases picturales, à retrancher et à se débarrasser de superflu chromatique pourvu que je déniche quelques traces ou je détecte des empreintes. Je cherche une piste, un chemin. Un mystère, ce meilleur artisan du merveilleux. Je suis un artiste de trace et non de signe. D'ailleurs, mon exposition raconte l'histoire d'une personne fascinée par son maître qui incarne le mystère du sublime, le talent et les valeurs transcendantales du beau et de l'amour.

Il s'agit là de l'illustre mystique Andalous Moheïddine Ibn'Arabi. Sous l'effet de la lecture avide des manuscrits de son enseignant, il en devient complètement hypnotisé. Il part dans un long voyage pour rencontrer son maître qui lui délivrera peut-être le secret. Il escalade les montagnes, traverse les gorges et les fleuves des jours et des nuits pour être à ce rendez-vous qui lui a coûté des troubles de mémoire sans que cette rencontre eût lieu. Grâce à Ait Rokaya, disciple de ce maître, cet inconnu a pu restaurer peu à peu sa mémoire et reconstitué ses souvenances. Si l'oubli se conjugue au passé, c'est pour vivre le retour ! Les toiles exposées récitent cette complainte de l'oubli. Pour créer, il faut effacer ce qu'on a appris. C'est Ibn'Arabi qui disait : efface ce que tu as écris, oublie ce que tu as appris et renonce à ce que tu as accumulé.

Que restera-t-il de l'oubli ? Le silence et la sérénité ! Voilà ce que racontent mes toiles depuis l'époque du noir (1993-2003) jusqu'à celle du blanc: une quête de soi.

Votre travail est plein de spiritualité. D'où vous vient cette charge mystique et comment vous l'interprétez en geste plastique ?

J'aurai aimé exprimer cette spiritualité. L'expression est le seuil de la création. On est loin de la création. En tout cas, je suis ravi que vous constatiez cette mysticité dans mon travail. C'est grâce à Adonis que j'ai pu dévoiler l'expérience mystique. Cela remonte aux années 70. Les écrits du maître Ibn'Arabi et l'illustre Annafari… étaient pour moi l'occasion unique de mûrir et de donner une dimension spirituelle à l'amour. En terme plastique, je ne vous cache pas que c'est une expérience à risque. Car on est là dans le champ de l'insaisissable et de l'indicible. La représentation plastique toutefois exécutée par des matériaux telle que le poudre de marbre, la cendre du papier, le café, le charbon, l'écosse de grenade, le brou de noix... est fluide, subtile, j'allais dire impalpable (visuellement).

D'où vient cette fascination pour les matériaux naturels ?

Les matériaux ne sont pas juste un moyen, ce sont l'objet et le sujet. La matière que j'ai citée ci-dessus est un dénominateur en commun de l'expression plastique. Il s'agit là de l'indissociable relation du fond et de la forme. D'autre part, il n'y a rien de plus réellement artistique que la nature. Ma fascination pour les matériaux naturels vient du fait que je cherche à exprimer une certaine fragilité de l'être. Dans une telle archéologie, il m a fallu descendre aux entrailles des choses et de moi-même. Il n'y a que les pigments végétaux et minéraux qui peuvent dégager une telle subtilité et qui répondent parfaitement à la transparence, la sincérité et la limpidité que je voulais. L'argile, la craie, la couleur de la terre... Nous renvoyons à l'enfance qui nous habite et quelque part à une certaine nostalgie.
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