Il y a longtemps que le ministère de l'Education nationale a donné de fermes instructions prohibant les punitions physiques à l'école, mais force est de constater qu'elles sont restées encre sur papier en l'absence de mécanismes efficients de contrôle. Il semble, d'emblée, qu'une large frange des enseignants marocains sont profondément convaincus de l'utilité de cette méthode et ne cessent de vanter ses « bienfaits » comme moyen efficace d'éducation et de correction.
En effet, le châtiment corporel est enraciné dans le système éducatif marocain. Dans les écoles coraniques qui constituent la genèse de l'école marocaine moderne, les sanctions physiques étaient de mise. Pour bien garder la discipline dans sa « classe », l'enseignant se munissait d'une longue canne qu'il n'hésitait pas à employer pour rappeler à l'ordre les élèves distraits. Leur tirailler fortement les oreilles était aussi une sanction fréquente. Aujourd'hui, les pédagogues et pédopsychiatres tirent la sonnette d'alarme sur les châtiments corporels des élèves qui, selon eux, peuvent laisser des séquelles irréparables sur leurs âmes de petits enfants. Indubitablement, frapper un élève est le meilleur moyen de le faire persister dans l'erreur. Le recours au bâton demeure dans la majorité des cas inefficace. A force de les bourrer de coups, certains élèves s'y habituent et y restent totalement insensibles, comme si on leur faisait des cajoleries ou des caresses ! Naturellement, l'enseignant perd son sang froid devant cette attitude et devient, du coup, la risée de ses élèves qui se sentent, en plus, triomphants d'avoir pu « mettre le prof hors de lui ».
Chez d'autres élèves plus sensibles, la punition physique est synonyme d'humiliation, surtout lorsqu'elle est assortie d'invectives ou de paroles ironiques et qu'elle leur est infligée au vu de toute la classe. Inutile de dire combien cette expérience est pénalisante et destructrice pour le moral de l'élève. Il est sûr que son souvenir restera à jamais imprimé dans sa mémoire, associé à l'image de ce professeur cruel, à sa voix foudroyante, son visage convulsé par la colère et sa main crispée sur son gros bâton. Pis encore, ce type de punition produit assez souvent l'effet contraire de ce qui a été souhaité : isolement, délinquance, régression constante du niveau scolaire… ce sont toutes ces conséquences auxquelles il faudra s'attendre lorsqu'on fait subir aux élèves de sévères châtiments.
Certains professeurs sans merci poussent les choses plus loin en s'amusant à inventer des châtiments pittoresques qu'ils infligent à leurs élèves indisciplinés. Dans ce cas, on parle plutôt de sévices, de maltraitance, voire de torture qui donnent lieu à des situations dramatiques. C'était exactement le cas d'une maîtresse dans une école primaire à Hay Essalam à Salé qui, dans un moment de colère, a frappé l'une de ses élèves jusqu'à lui ensanglanter les mains atteintes déjà d'eczéma. A plusieurs reprises, cette enseignante a récidivé sans que personne ne bouge le petit doigt pour mettre fin à ses abominations. D'une part, les parents de ses victimes craignent que l'enseignante tienne rigueur à leurs enfants s'ils formulent des plaintes à son encontre. D'autre part, la direction de l'école s'efforce de régler à l'amiable ce genre de différends entre professeurs et parents d'élèves.
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Plus de 5.000 élèves, de 1.800 enseignants, 800 parents et 194 directeurs d'écoles ont été interrogées dans différents établissements scolaires à travers le Maroc. Ainsi, 73% des enseignants affirment avoir eu recours à des châtiments corporels, dont 54% qui ont utilisé une règle, un bâton ou un tuyau et 29% qui ont utilisé leurs mains et pieds. Les motifs déclarés des sanctions physiques sont les devoirs non faits en premier lieu (54%), puis les retards, absences, disputes et vol ou destruction du matériel. 52% des parents et 50% des enfants considèrent que frapper est "indispensable à l'éducation", idem pour 33% des enseignants et 15% des directeurs. Pour ce qui est de l'impact de cette pratique, la moitié des élèves punis affirment que les sanctions physiques créent un sentiment de peur ou d'injustice et selon 20% des élèves, les châtiments créent une haine de l'école.
Les sanctions physiques faussent la relation entre les enseignants et leurs élèves
Les sanctions physiques sont-elles le meilleur moyen d'éducation ?
En effet, c'est un sujet très difficile à cerner. Depuis un certain temps, on marque au niveau mondial une tendance retour aux sanctions physiques à l'école. Les résultats des études, qui ont été menées en Europe sur cette question, sont, à vrai dire, très mitigés.. Dans le contexte marocain, les châtiments corporels sont pratiqués à large échelle. Dans plusieurs cas, ce sont les parents même qui les réclament pour « éduquer » les enfants. Personnellement, je ne pense pas que le recours aux sanctions physiques soit utile pour l'éducation des élèves, surtout en primaire. Au contraire, il risque de fausser la relation entre l'enseignant et ses élèves.
Quelles sont les alternatives qui existent pour rappeler à l'ordre les élèves rebelles ou fainéants ?
Trouver des alternatives aux châtiments corporels est du ressort de l'enseignant. C'est à lui de décider des sanctions appropriées à l'encontre des élèves indisciplinés. Il doit tout d'abord imposer son autorité dans la classe, puisqu'un professeur qui a du mal à s'imposer ne sera jamais respecté par ses élèves. Pour ce faire, il importe d'établir des règles de conduite claires dans la classe. Mais le plus important serait d'installer un climat de dialogue et de compréhension et de bâtir une relation de confiance entre les élèves et leur enseignant pour que le rôle de celui-ci ne soit pas limité à donner des devoirs et à faire subir des châtiments. Aussi, faut-il développer chez l'élève le sens de responsabilité et d'autonomie. A chaque fois que la conduite de l'un des élèves suscite des problèmes, il faut impérativement impliquer les parents pour discuter des possibles raisons de ce comportement et envisager des solutions.
En quoi consiste concrètement le rôle des parents dans la correction de leurs enfants/élèves indisciplinés ?
Le rôle des parents à cet égard est primordial. Dans certaines familles marocaines, on continue à considérer l'école comme le milieu exclusif d'éducation. On compte souvent sur les enseignants pour éduquer les enfants et leur inculquer les valeurs sociales et les règles de conduite au sein de la société.
A la maison, les parents démissionnent et n'assument pas leur responsabilité en matière d'éducation de leurs enfants parce qu'ils comptent sur le professeur pour le faire à leur place et ne s'intéressent à leur scolarité qu'à la fin de l'année. Il est sûr qu'un enfant dont les parents le suivent de près et prennent le temps de discuter avec lui des questions de l'école sera plus motivé et plus sérieux.
Dr. Karoumi Bouchaib Propos recueillis par Meriem Rkiouak
En effet, le châtiment corporel est enraciné dans le système éducatif marocain. Dans les écoles coraniques qui constituent la genèse de l'école marocaine moderne, les sanctions physiques étaient de mise. Pour bien garder la discipline dans sa « classe », l'enseignant se munissait d'une longue canne qu'il n'hésitait pas à employer pour rappeler à l'ordre les élèves distraits. Leur tirailler fortement les oreilles était aussi une sanction fréquente. Aujourd'hui, les pédagogues et pédopsychiatres tirent la sonnette d'alarme sur les châtiments corporels des élèves qui, selon eux, peuvent laisser des séquelles irréparables sur leurs âmes de petits enfants. Indubitablement, frapper un élève est le meilleur moyen de le faire persister dans l'erreur. Le recours au bâton demeure dans la majorité des cas inefficace. A force de les bourrer de coups, certains élèves s'y habituent et y restent totalement insensibles, comme si on leur faisait des cajoleries ou des caresses ! Naturellement, l'enseignant perd son sang froid devant cette attitude et devient, du coup, la risée de ses élèves qui se sentent, en plus, triomphants d'avoir pu « mettre le prof hors de lui ».
Chez d'autres élèves plus sensibles, la punition physique est synonyme d'humiliation, surtout lorsqu'elle est assortie d'invectives ou de paroles ironiques et qu'elle leur est infligée au vu de toute la classe. Inutile de dire combien cette expérience est pénalisante et destructrice pour le moral de l'élève. Il est sûr que son souvenir restera à jamais imprimé dans sa mémoire, associé à l'image de ce professeur cruel, à sa voix foudroyante, son visage convulsé par la colère et sa main crispée sur son gros bâton. Pis encore, ce type de punition produit assez souvent l'effet contraire de ce qui a été souhaité : isolement, délinquance, régression constante du niveau scolaire… ce sont toutes ces conséquences auxquelles il faudra s'attendre lorsqu'on fait subir aux élèves de sévères châtiments.
Certains professeurs sans merci poussent les choses plus loin en s'amusant à inventer des châtiments pittoresques qu'ils infligent à leurs élèves indisciplinés. Dans ce cas, on parle plutôt de sévices, de maltraitance, voire de torture qui donnent lieu à des situations dramatiques. C'était exactement le cas d'une maîtresse dans une école primaire à Hay Essalam à Salé qui, dans un moment de colère, a frappé l'une de ses élèves jusqu'à lui ensanglanter les mains atteintes déjà d'eczéma. A plusieurs reprises, cette enseignante a récidivé sans que personne ne bouge le petit doigt pour mettre fin à ses abominations. D'une part, les parents de ses victimes craignent que l'enseignante tienne rigueur à leurs enfants s'ils formulent des plaintes à son encontre. D'autre part, la direction de l'école s'efforce de régler à l'amiable ce genre de différends entre professeurs et parents d'élèves.
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Rapport alarmant
A la demande de l'Unicef, une enquête a été menée au Maroc en 2004 sur la violence contre les élèves à l'école. Les résultats de cette enquête ont été des plus éloquents et ont montré que la pratique des châtiments corporels a atteint de grandes proportions dans les écoles marocaines.Plus de 5.000 élèves, de 1.800 enseignants, 800 parents et 194 directeurs d'écoles ont été interrogées dans différents établissements scolaires à travers le Maroc. Ainsi, 73% des enseignants affirment avoir eu recours à des châtiments corporels, dont 54% qui ont utilisé une règle, un bâton ou un tuyau et 29% qui ont utilisé leurs mains et pieds. Les motifs déclarés des sanctions physiques sont les devoirs non faits en premier lieu (54%), puis les retards, absences, disputes et vol ou destruction du matériel. 52% des parents et 50% des enfants considèrent que frapper est "indispensable à l'éducation", idem pour 33% des enseignants et 15% des directeurs. Pour ce qui est de l'impact de cette pratique, la moitié des élèves punis affirment que les sanctions physiques créent un sentiment de peur ou d'injustice et selon 20% des élèves, les châtiments créent une haine de l'école.
Explication
Les sanctions physiques faussent la relation entre les enseignants et leurs élèvesLes sanctions physiques sont-elles le meilleur moyen d'éducation ?
En effet, c'est un sujet très difficile à cerner. Depuis un certain temps, on marque au niveau mondial une tendance retour aux sanctions physiques à l'école. Les résultats des études, qui ont été menées en Europe sur cette question, sont, à vrai dire, très mitigés.. Dans le contexte marocain, les châtiments corporels sont pratiqués à large échelle. Dans plusieurs cas, ce sont les parents même qui les réclament pour « éduquer » les enfants. Personnellement, je ne pense pas que le recours aux sanctions physiques soit utile pour l'éducation des élèves, surtout en primaire. Au contraire, il risque de fausser la relation entre l'enseignant et ses élèves.
Quelles sont les alternatives qui existent pour rappeler à l'ordre les élèves rebelles ou fainéants ?
Trouver des alternatives aux châtiments corporels est du ressort de l'enseignant. C'est à lui de décider des sanctions appropriées à l'encontre des élèves indisciplinés. Il doit tout d'abord imposer son autorité dans la classe, puisqu'un professeur qui a du mal à s'imposer ne sera jamais respecté par ses élèves. Pour ce faire, il importe d'établir des règles de conduite claires dans la classe. Mais le plus important serait d'installer un climat de dialogue et de compréhension et de bâtir une relation de confiance entre les élèves et leur enseignant pour que le rôle de celui-ci ne soit pas limité à donner des devoirs et à faire subir des châtiments. Aussi, faut-il développer chez l'élève le sens de responsabilité et d'autonomie. A chaque fois que la conduite de l'un des élèves suscite des problèmes, il faut impérativement impliquer les parents pour discuter des possibles raisons de ce comportement et envisager des solutions.
En quoi consiste concrètement le rôle des parents dans la correction de leurs enfants/élèves indisciplinés ?
Le rôle des parents à cet égard est primordial. Dans certaines familles marocaines, on continue à considérer l'école comme le milieu exclusif d'éducation. On compte souvent sur les enseignants pour éduquer les enfants et leur inculquer les valeurs sociales et les règles de conduite au sein de la société.
A la maison, les parents démissionnent et n'assument pas leur responsabilité en matière d'éducation de leurs enfants parce qu'ils comptent sur le professeur pour le faire à leur place et ne s'intéressent à leur scolarité qu'à la fin de l'année. Il est sûr qu'un enfant dont les parents le suivent de près et prennent le temps de discuter avec lui des questions de l'école sera plus motivé et plus sérieux.
Dr. Karoumi Bouchaib Propos recueillis par Meriem Rkiouak
