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«La douane face au démantèlement tarifaire et à la lutte contre la corruption»

Considérable, diffuse, la corruption n'a cessé de se développer dans tous les lieux, entreprises publiques, administrations, entreprises privées…et sous différentes formes d'abus de pouvoir avec un objectif, celui de satisfaire des intérêts personnels.

«La douane face au démantèlement tarifaire et à la lutte contre la corruption»
Devant l'ampleur du phénomène, le gouvernement réagit et édicte un plan d'action pour la lutte contre la corruption.
Ce plan qui s'ajoute aux précédents et aux différentes campagnes d'assainissement peut susciter du scepticisme. Reste qu'un ensemble de faisceaux, d'initiatives, de mesures pourrait créer une dynamique qu'il faut encourager.

La pression d'organisations internationales, la création de l'ICPC, l'instance centrale pour la prévention de la corruption, la réactivation de l'instance judiciaire, la mission de la Cour des comptes, la montée en puissance de la société civile, notamment à travers le travail de Transparency Maroc, la mobilisation des associations contre la corruption, le rôle actif de la presse sont autant d'ingrédients qui peuvent créer des cercles vertueux.

La création de multiples comités de lutte contre la corruption dans les institutions peut jouer également un rôle non négligeable comme en témoigne la charte et le code déontologique du comité d'éthique au sein de la CGEM. En témoigne également la création dans les prochains jours de «l'Observatoire dans la promotion de l'éthique dans les rapports douane-secteur privé».
L'organisation mondiale de la douane, l'OMD, qui regroupe 179 pays, a choisi le Maroc comme pays pilote pour ses réalisations d'une série de réformes et la mise en place d'un système d'information performant.

La douane marocaine a d'autre part adhéré à la déclaration d'Arusha, dispositif en dix normes ayant pour objectif l'amélioration de l'éthique douanière, la sécurisation de la chaîne logistique et la facilitation du commerce mondial. La douane qui est un milieu sensible peut être un acteur de bonne gouvernance s'il existait un réel partenariat entre l'administration et le secteur privé. L'observatoire qui sera créé à Casablanca le 19 janvier 2010, en présence du secrétaire général de l'Organisation mondiale des douanes, du président de l'ICPC, du président de la CGEM et du directeur général de l'ADII, M. Zaghnoun, est une structure de recueil d'information, d'analyse et d'échanges sur les questions liées à la corruption dans les relations douanes et usagers en général.
C'est un instrument qui propose des orientations et des mesures qui visent à lutter contre la corruption et à promouvoir la transparence dans les relations de la douane avec son environnement. Une structure de pilotage représentée par des membres de l'ADII, de la CGEM, de l'ICPC, de l'association des transitaires et des représentants de la société civile à travers Transparency Maroc, seront associés à ce chantier.
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Interview •Abdelatif Zaghnoun, directeur général de l'Administration des Douanes et des impôts indirects
LE MATIN : L'échéance 2012, c'est-à-dire dans deux ans, inquiète plus d'un. Nous nous posons tous la question de l'impact du démantèlement tarifaire sur les recettes douanières. Quel sera-t-il et avec quelles conséquences sur le trésor public ?

ABDELATIF ZAGHNOUN :
Le Maroc a conclu une série d'accords de libre-échange à l'échelle bilatérale et multilatérale. Ces accords vont se traduire par un démantèlement tarifaire qui est, il faut le rappeler, progressif car il a démarré depuis 2000 et il se fait selon la nature des produits. Il y a des produits qui ont été démantelés en totalité dès le début de l'accord, d'autres le sont 4 années après et d'autres le seront à l'horizon 2012 ! Cet étalement dans le temps permet d'en limiter les effets et l'impact. En 2004, les droits d'importation directement concernés par le démantèlement étaient de l'ordre de 11,3 milliards de DH. En 2009, ils étaient de 11,8 milliards de DH en légère augmentation.

Comment expliquez-vous cette stabilité des recettes douanières ?

Le démantèlement tarifaire qui s'est traduit à fin 2009, d'une moins-value fiscale de 10 milliards de DH, a été compensé par l'apport dû aux contrôles effectués pour lutter contre la fraude commerciale. Nous avons mis en place une série de mesures pour contrôler la valeur, le régime. En parallèle, des réformes tarifaires ont été engagées par le gouvernement. La dernière qui date de 2009 vise essentiellement à éviter la polarisation des échanges avec uniquement les pays avec lesquels nous avons des accords de libre-échange.

C'est-à-dire ?

Si nous n'avions pas fait cette réforme, nous nous serions retrouvés devant la situation suivante : les marchandises importées de l'Europe seront à 0% en termes de droits d'importation. Celles qui seraient importées d'ailleurs en dehors de l'Europe et des Etats-Unis seraient taxées à des niveaux de 40%, voire de 45% ! Pour éviter cette différence de taxation, nous avons engagé une réforme qui vise à réduire la différence de taxation entre les pays avec lesquels le Maroc a conclu des accords et le reste à un taux maximum de 25%.

Prenons l'exemple d'importation des voitures. Quelle est la règle ?

Si nous n'avions pas engagé cette réforme en 2009, la différence de taxation en termes de droit d'importation serait de 32,5% pour les voitures importées de l‘Asie. Nous avons baissé ce taux à 17,5%. Une différence de 17%, parfois beaucoup moins entre les pays avec qui nous avons des accords de libre-échange et les autres, c'est une différence acceptable, car dans tout accord de libre-échange, il y a une contrepartie. Cela nous permet, d'une part, d'éviter une polarisation des échanges et, d'autre part, de diversifier nos sources d'approvisionnement.

Un mot sur les autres réformes ?

Nous avons baissé les droits d'importation sur les intrants et la matière première pour faire face à la concurrence, améliorer la compétitivité des entreprises par la réduction des coûts de production et pour favoriser les exportations.

Pour résumer, on retiendra deux chiffres et une évolution : la moins-value fiscale de 10 milliards de DH à fin 2009 a été compensée par les 11, 8 milliards de droits d'importation et l'augmentation des volumes d'importation constatée avec l'ouverture. Qu'en est-il des recettes douanières ?

Les recettes douanières sont passées de 41 milliards de DH en 2004 à 70 milliards de DH en 2009. Les importations ont augmenté, avec elles la TVA et les droits d'importation… Ces performances s'expliquent également par le recouvrement des créances, la vente de marchandises saisies dans le cadre de la lutte contre la fraude et dans le cadre du dénouement des affaires contentieuses à l'amiable, ce que l'on appelle les règlements transactionnels.

A la veille de la mise en place de l'observatoire d'éthique par la douane et la CGEM, pourriez-vous revenir sur les actions de contrôle et de lutte contre la fraude ?

Les missions de la douane ont évolué. Auparavant, nous avions une mission purement fiscale qui perdure car la douane contribue de manière importante dans le budget de l'Etat. Nous veillons aujourd'hui davantage à l'équité fiscale. Nous voulons amener les gens à déclarer ce qu'il faut déclarer. Ainsi, nous avons engagé une série d'actions qui visent l'assainissement du climat des affaires. Nous voulons que nos entreprises opèrent dans un climat de concurrence loyale. Pour cela, nous devons lutter contre la contrebande et la contrefaçon qui est un phénomène mondial et qui porte préjudice à notre pays et à son attractivité. Nous devons continuer à lutter contre la fraude commerciale sous toutes ses formes, fausses déclarations à l'origine, sous-facturation, fausses déclarations d'espèces.

On dit que la douane est un milieu corruptogène au Maroc comme ailleurs ?

Il faut relativiser les choses. Les réformes mises en place ont permis d'instaurer plus de transparence et d'équité et de lutter plus efficacement contre ces phénomènes de corruption. Il y a toute une dynamique, résultat d'une démarche participative douane- privé qui commence à donner des résultats. Pourquoi ? Nous avons demandé au privé de s'impliquer dans la révision de la réglementation et de la législation. Le code des douanes a été révisé en concertation avec les opérateurs économiques. Nous travaillons ensemble et nous tenons compte de leurs avis que nous traduisons dans les faits notamment à l'occasion de chaque nouvelle loi de Finances. Nous avons d'autre part engagé une série de mesures visant la facilitation et la simplification des procédures. Notre système d'informatisation a permis la dématérialisation et l'informatisation de 90% des procédures douanières. Cela nous permet de réduire au maximum le contact humain et aux opérateurs économiques de réaliser les formalités douanières à partir du bureau ou de l'usine. On ne se présente à la douane que pour récupérer la marchandise. Nous avons, d'autre part, mis en ligne toute la réglementation des douanes, toutes les tarifications et les informations dont pourraient avoir besoin les opérateurs ou les douaniers. Cela veut dire que nous travaillons en toute transparence et que tout le monde est informé de ses droits et devoirs.

Sauf, M. Zaghnoun, que toutes nos entreprises ne sont pas informatisées ?

Au XXIe siècle, une entreprise qui ne peut pas mettre en place les structures nécessaires pour moderniser son outil de production, pour gérer de façon optimale ses ressources, pour former son personnel, ne peut gérer ses objectifs. Aujourd'hui, l'entreprise doit faire l'effort de s'informatiser faute de quoi elle est condamnée à court terme. A la douane, nous avons fait notre travail, et chaque importateur peut accéder au système Badr et demander toutes les informations nécessaires qui sont données immédiatement. Ce système ouvert sur Internet prend en charge toutes les procédures douanières de manière intégrée, et nous permet une plateforme de communication avec les douanes partenaires. La douane du XXIe siècle est une douane qui travaille en réseau et le Maroc peut être fier de ces avancées et peut être fier de disposer d'un système aussi performant.

Revenons aux réformes qui permettent de lutter contre la corruption. Quelles sont ces réformes ?

Nous avons mis en place des structures de contrôle qui ont permis de redresser nombre de fausses déclarations et qui ont permis de générer des recettes additionnelles qui dépassent le milliard de DH, rien que sur le contrôle de la valeur ! Nous ne nous arrêterons pas là et nous continuerons à conjuguer, à développer nos efforts avec tous les acteurs économiques, car la lutte contre la fraude c'est un travail collectif qui concerne les administrations publiques, le secteur privé, les banques et la société civile. Nous sommes en train de développer des contrôles a priori avant même l'arrivée de la marchandise et des contrôles a posteriori. Nous formons actuellement 150 inspecteurs pour renforcer nos capacités de contrôle.

On parle beaucoup du partenariat public-privé. Comment le voyez-vous au niveau de la douane ?

Si nous voulons vraiment relever les défis de demain et anticiper les évolutions futures imposées par le commerce mondial, il faut trouver un équilibre entre d'un côté la facilitation des échanges et la sécurisation de ces échanges. On doit pour cela engager des actions de facilitation, de réformes, mettre en place des outils performants en termes de scanners, de système d'information, d'analyse de risques, de ciblage… Il faut travailler dans un cadre de véritable partenariat fondé sur la confiance, la transparence, le respect des exigences des uns et des autres.

Quelle réactivité avez-vous de l'autre partie, celle du privé ?

Je salue l'engagement des associations professionnelles, notamment la CGEM, l'AMITH, la SMEX avec qui nous avons conclu une série de conventions dans le cadre de ce partenariat. C'est ainsi que toutes les entreprises labellisées par la CGEM vont bénéficier d'avantages douaniers pour encourager notre partenariat.

Vous lancez, le 19 janvier, la création de l'observatoire d'éthique douane-secteur privé. Un mot sur cet observatoire ?

C'est une initiative de l'organisation mondiale des douanes (OMD) regroupant 179 pays et qui a choisi le Maroc qui a réalisé une série de réformes et a mis en place un système d'information performant. Le Maroc a été choisi comme pays pilote pour mettre en place un projet pilote entre la douane et el secteur privé pour promouvoir l'éthique et la bonne gouvernance. C'est une première au niveau mondial et l'objectif est de servir de modèle au niveau de la région MENA. Le SG de l'OMD a souligné l'importance de cette initiative lors de la dernière réunion de Bruxelles portant sur la politique générale de l'OMD où nous représentons la région MENA et assurons la présidence de l'audit de l'OMD. Nombre de pays pourront, si l'expérience réussit, dupliquer et capitaliser sur cette initiative sur laquelle nous pourrons capitaliser dans nos relations avec les douanes africaines et maghrébine afin de développer la coopération Sud-Sud. Nous avons là un modèle au niveau international qu'il nous faut réussir, mais aussi au niveau national. Cette relation douane-privé pourra être dupliquée au niveau des autres administrations. Avec l'Instance centrale de prévention de la corruption (ICPC) et la CGEM, nous ferons tout pour réussir cette expérience qui est la traduction dans les faits de cette volonté de lutter contre la corruption et d'améliorer la gouvernance.

Quelles sont les mesures douanières phares adoptées dans le cadre de la loi de Finances 2010 ?

Il y a des mesures qui concernent le code des douanes et notamment l'autorisation de cession en l'état de marchandises déclarées sous l'origine de la ATPA. Aujourd'hui, quand un opérateur importe de la marchandise dans le cadre du régime ATPA, régime économique, admission temporaire pour perfectionnement actif, il ne peut pas laisser en l'état sa marchandise à un autre sous-traitant si elle ne subit pas une première transformation. Or aujourd'hui, certains opérateurs rencontrent des difficultés, ils importent la marchandise, par exemple le tissu, le fil, le coton et sont confrontés pour une raison ou pour une autre à des difficultés techniques, je pense à l'annulation des commandes, l'usine qui est à l'arrêt. Il a une marchandise qu'il doit apurer, c'est-à-dire transformer et exporter, et ce, dans un délai déterminé. Les nouvelles mesures lui permettent de céder cette marchandise en l'état avant transformation à un autre opérateur ou à un autre sous-traitant local qui, lui, a besoin de cette marchandise. Au lieu de l'importer et en respectant un certain nombre de règles et de normes, l'opérateur pourra l'acquérir puisqu'elle est disponible. Dés le 1ier janvier, cela est devenu possible.

Quelles sont les autres mesures phares ?

Nous avons des mesures en faveur du secteur agricole dont la réduction des droits d'importation des aliments de bétail, des veaux pour favoriser l'intégration de la chaîne de production de viande rouge et de maintenir les prix à un certain niveau notamment lors du ramadan. Cette dernière mesure qui porte le droit d'importation à 2,5% est limitée à un an. Nous ferons alors une évaluation pour voir l'impact sur certains secteurs et nous déciderons de la poursuite de cette mesure ou de son arrêt. Une autre mesure, pour protéger le fellah, concerne la modification des droits d'importation applicables au blé tendre et au blé dur. Il a été décidé, dans ce sens, de relever les taux de 80 à 90% pour le blé tendre et de 50 à 80% pour le blé dur. Nous avons augmenté la taxe intérieure de consommation sur les boissons alcoolisées qui n'a pas bougé depuis 1979 et nous avons mis en place un système de marquage fiscal.

C'est-à-dire ?

On a transféré certaines activités vers la douane, comme le stockage du whisky qui faisait au niveau du ministère de l'Industrie, le tabac qui se faisait au niveau d'Altadis. Aujourd'hui, à la demande du ministère de l'Industrie, c'est la douane qui assure le marquage fiscal. Nous allons mettre en place un système mécanisé qui permettra le contrôle de la chaîne de production par litre, par heure et par jour qui nous permettra de lutter contre la fraude commerciale, la contrefaçon grâce aux scanners portatifs des inspecteurs. Nous avons aussi comme autre mesure la suppression de la taxe sur le gaz naturel pour encourager l'utilisation des énergies propres et donner plus de visibilité aux investisseurs qui souhaitent investir dans ce secteur.

Votre administration a publié récemment une note sur la douane du XXIe siècle. Quels sont les défis que doit affronter cette institution ?

Les enjeux sont multiples comme le souligne cette note : mondialisation des affaires et du commerce; développement et réduction de la pauvreté; nouvelles règles complexes en matière de gouvernance; terrorisme international; protection de l'environnement et augmentation des menaces transnationales. A ces enjeux, il y a des possibilités d'apporter des réponses novatrices, prospectives: un réseau mondial des douanes; une meilleure gestion des frontières; un cadre stratégique avec des objectifs comportant des avantages à l'échelon mondial; une meilleure connaissance par la douane des chaînes logistiques et de leur gestion; la mise à profit au sein de la douane des nouvelles technologies; le renforcement des partenariats, non seulement avec les entreprises, mais également avec les autres organismes présents aux frontières, ceux chargés du contrôle et du respect de la loi et avec les autres organismes officiels. L'un de nos objectifs est d'instaurer un climat de confiance entre la douane et le secteur privé. Les échéances sont là : si on se projette dans un très proche avenir, nous avons les accords de libre-échange qui facilitent et encouragent les échanges. Cette dynamique va multiplier les mouvements de flux dans tous les sens sur le plan quantitatif et sur le plan origine. Pour concilier entre la sécurisation de la chaîne logistique et la facilitation des échanges, nous devons permettre à la douane de se focaliser sur des objectifs stratégiques qui permettent notamment de réduire pour les entreprises légitimes les coûts liés au respect de la législation, de cibler de manière plus efficace et rentable les mouvements de marchandises à haut risque et d'instaurer parmi les administrations des douanes un climat de confiance et de reconnaissance mutuelle des programmes et des contrôles des unes et des autres.
C'est ainsi que nous pourrons protéger les intérêts fiscaux et financiers de l'Etat, de protéger les économies nationales contre les mouvements illicites de marchandises, de soutenir le système commercial international en assurant des règles de jeu équitables pour toutes les entreprises et de faciliter le commerce légitime et de protéger la société.
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