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Quand Sidi Moumen s'expose

Grâce à une généreuse initiative, douze jeunes ont immortalisé leur quotidien difficile dans un quartier sous haute tension.
Quelques appareils photo jetables mis à leur disposition et, aujourd'hui, une exposition.

Quand Sidi Moumen s'expose
Entre dépotoirs et bidonvilles, les jeunes de Sidi Moumen essaient de se construire un semblant de vie.
Ils ne sont ni peintres ni plasticiens, encore moins sculpteurs ou dessinateurs. Pourtant, ce sont des jeunes qui se sont retrouvés, par un pur hasard, sous les feux de la rampe, en faveur de l'exposition intitulée « Autoportraits de Sidi Moumen » dont ils sont les stars. Auteurs d'une série de photos qui rompent avec celles traditionnellement véhiculées sur le fameux quartier, diabolisé suite aux attentas du 16 mai 2003, cette bande avait pour seule ambition de donner une autre image de Sidi Moumen. En effet, la vingtaine pour la plupart, 12 jeunes, filles et garçons, exposent leurs oeuvres (photos) au Goethe-Institut de Casablanca jusqu'au 7 janvier 2011.

Munis d'appareils photo jetables de 24 poses, nos 12 amis ont immortalisé des tranches de vie de leur quotidien. Certes, ils ont prouvé, à travers leurs clichés, que la désolation n'était pas le seul qualificatif de leur quartier, mais loin d'eux la volonté de cacher la réalité qui prévaut dans la commune bidonvilloise. Ils ont ainsi ''capturé'' aussi bien le visage pénible de Sidi Moumen, ses immenses dépotoirs cohabitant avec des baraques en taule ondulée, mais aussi les changements qui commencent à entrevoir le jour, à petits pas, certes.

«C'était une bien belle expérience, cela nous a permis de rencontrer des gens connus, d'avoir de nouveaux amis, issus de Belvédère ou d'Anfa, auxquels nous avons proposé de faire le même exercice et venir exposer leurs photos à Sidi Moumen», souligne Zakaria Assoul, l'un des jeunes impliqués dans ce projet. Et de préciser : « Je me souviens qu'au lendemain du 16 mai, nous étions perçus comme de vulgaires criminels. Même les chauffeurs de taxis refusaient de raccompagner des clients qui voulaient se rendre à Sidi Moumen, arguant que c'était le ''quartier des bombes humaines''. Nous voulions contredire cette mauvaise image que l'on se fait de nous et montrer que Sidi Moumen n'est pas synonyme de kamikazes, bien au contraire, le quartier recense également des jeunes éduqués, instruits… D'ailleurs, beaucoup de jeunes issus d'ici ont réussi leur vie, des comédiens, des sportifs de haut niveau… ».

A l'origine de l'idée, qui a vu le jour par pure coïncidence, on retrouve un certain Jamal Belmahi. En ce sens, serpentant les ruelles de Sidi Moumen et ses bidonvilles, ce jeune écrivain ambitionnait de s'inspirer des lieux pour l'écriture d'un scénario destiné à l'adaptation du roman « Les étoiles de Sidi Moumen », signé Mahi Binebine, et dont la réalisation sera assurée par Nabil Ayouch. A travers cet exercice, le scénariste sera confronté à la dure réalité de Sidi Moumen, à son bidonville, à ses infrastructures défaillantes ou inexistantes et, surtout, à ses jeunes dont le quotidien est d'une banalité agaçante. Une jeunesse qui, en dépit de son environnement, respire la vie, tout en rêvant d'un avenir meilleur, un avenir rompant avec le présent. « Sur place, j'étais confronté à des jeunes qui m'ont rapidement fait sentir qu'ils n'aimaient pas trop l'image que l'on se faisait d'eux, dans les grandes villes et principalement à Casablanca.

En même temps, ils saisissaient pertinemment l'importance de corriger cette image. En somme, ils se plaignaient du fait que les photos qui les montraient étaient toujours les mêmes, toujours axées sur la pauvreté, les ordures, etc., choses qui existent, certes, mais ils reprochaient un peu le côté réducteur de ces photos. Donc, l'idée était de leur proposer de devenir eux-mêmes producteurs de leurs images, et de leur donner cette possibilité de nous montrer leur Sidi Moumen au quotidien, sans pour autant nier la réalité », explique Jamal Belmahi. Et le résultat est là : des jeunes faisant du sport sur une pelouse, d'autres posant fièrement devant un graffiti symbolisant leur équipe vedette de football, un père donnant le biberon à son enfant, un tapis de prière et un Coran, un cybercafé, un mur criblé de trous, des vaches qui font partie du paysage quotidien du bidonville, etc.

« Les photos que j'ai prises sont en fait une partie de ma vie, de ce que je vis au quotidien et de ce que j'estime caractériser mon environnement direct. Cet événement nous a permis de tisser des liens avec des jeunes issus d'autres quartiers, plus nantis, avec lesquels nous avons eu des échanges fructueux lors desquels il était question de balayer cette fausse image que l'on se fait de Sidi Moumen et de sa jeunesse », conclut pour sa part Safaa Elfathi qui en plus de sa sœur Sanaa constituent le tandem féminin de cette belle aventure.

Responsabilité

« Je pense que la chose la plus importante pour ces jeunes est de se sentir responsables, qu'ils produisent eux-mêmes l'image qu'ils veulent donner de Sidi Moumen. Je pense que c'est un geste important, c'est-à-dire qu'ils ne doivent pas toujours subir ce que les autres veulent montrer à propos d'eux ou de leur quartier, et qu'ils soient eux-mêmes auteurs de l'image qu'ils veulent donner aux autres.
Et je crois que si cela a été possible avec des moyens aussi simples que des appareils photo jetables, ça peut l'être aussi avec des choses plus complexes et qui peuvent leur donner plus de sens. » Jamal Belmahi, concepteur du projet.
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