LE MATIN : Vous venez de clore votre premier plan de développement et vous entamez le deuxième. Etes-vous satisfait des résultats atteints ?
Hafid Kamal : Je peux porter avec vous un double regard, celui de la fourmi et celui de l'aigle. Notre pays a patiemment construit une vraie politique pour l'emploi. Nous sommes partis de loin. On se souviendra des Bureaux de Placement et de toutes les initiatives qui ont progressivement fait avancer les idées et les réalisations pour arriver à l'ANAPEC d'aujourd'hui, celle qui est issue des Initiatives Emploi de 2005. Au final, l'Etat a désormais une vraie politique de l'emploi, nationalement et internationalement reconnue, et l'ANAPEC s'honore d'être son bras armé.
A l'inverse, plus nos résultats progressent, plus les bénéficiaires de nos actions sont nombreux, et plus il nous faut regarder aussi ceux pour lesquels nos efforts n'ont pas encore donné de résultats. En fait, tant qu'un chercheur d'emploi restera sans solution, qu'une entreprise sera en quête de ressources humaines, qu'un porteur de projet ne pourra faire aboutir son entreprise, eh bien nous resterons insatisfaits. C'est ainsi, le verre en partie plein nous pousse à nous réjouir, le verre en partie encore vide nous conduit à retrousser les manches pour trouver de nouvelles solutions et mobiliser encore toutes nos énergies. Cet aspect des choses, c'est la grandeur et la noblesse de nos métiers, mais c'est aussi la modestie et l'humilité qu'il nous faut conserver en permanence. Alors l'aigle peut être globalement satisfait, mais la fourmi sait qu'il faudra travailler, encore et beaucoup, et sans cesse.
Le 29 janvier dernier se tenait le Conseil d'administration de l'ANAPEC sous la présidence du ministre de l'Emploi, Jamal Rhmani. Quel bilan peut être tiré de l'exercice 2009 ?
Il y a bien des façons de faire un bilan, même de façon très honnête. Je voudrais vous rappeler que nous sommes près de 32 millions de Marocains, et que notre ANAPEC ne compte que 560 fonctionnaires et 74 agences à travers le Royaume. C'est une très belle progression de la couverture du territoire par rapport à 2006, mais c'est encore peu pour faire face aux attentes. Pourtant, les performances se sont encore accrues en 2009 et très significativement. Songez que 120000 jeunes chercheurs d'emploi ont été reçus dans nos agences, ce qui veut dire que des agences reçoivent certains jours plusieurs centaines de personnes. Et ce ne sont pas des visites de courtoisie : 50 000 entretiens individuels et personnalisés, en face-à-face entre le chercheur d'emploi et un conseiller de l'ANAPEC, ont été délivrés cette année et 20000 personnes ont participé à des ateliers de recherche active d'emploi. Notre pays n'avait encore jamais connu une action aussi massive : l'emploi est donc bien une priorité gouvernementale.
Et les entreprises ?*
Nous avons collecté 80000 offres d'emplois. Je dis collecté et non reçu car la confiance des employeurs dans l'ANAPEC est une chose qui se mérite. En l'occurrence, 20000 visites d'entreprises ont été effectuées par les collaborateurs de l'ANAPEC. Au total, 60000 de ces offres ont été satisfaites, soit un peu plus de 2 sur 3. Il faut ajouter que les entreprises clientes de l'ANAPEC, interrogées de façon anonyme par un bureau d'études prestataire, délivrent à l'ANAPEC un satisfecit global incontestable. Les quelques items du questionnaire où nous sommes jugés insuffisants font l'objet de mesures correctives dont nous espérons bien jauger l'impact dès la prochaine enquête.
Les engagements du premier plan de développement sont-ils tenus, notamment au niveau des objectifs d'insertion des chercheurs d'emploi ?
Le premier objectif de ce plan, c'était la mise en place des mesures gouvernementales et bien sûr la progression des résultats. Le programme Idmaj, qui promeut l'emploi salarié, a permis 170000 insertions. Le programme Taehil vise à améliorer l'employabilité des chercheurs d'emploi. Nous atteignons 35000 bénéficiaires car nous avons privilégié les formations à fort potentiel d'insertion. Le programme Moukawalati a connu des difficultés de lancement et cela est public. L'ANAPEC y travaille aux côtés de nombreux partenaires qui ont su se montrer réactifs. Ce programme a été relancé, et même repensé. Plus de 2200 entreprises sont créées dans ce cadre aujourd'hui avec 8000 emplois directs. Ce n'est pas encore énorme mais la tendance est bonne et la croissance prometteuse.
Le programme Moukawalati, justement, a généré beaucoup de critiques et même des frustrations. La formule actuelle est-elle définitive ?
Rien n'est jamais définitif lorsque l'analyse et l'écoute décèlent des imperfections et que la volonté, l'intelligence et le travail sont là pour y remédier. Tous les partenaires ont contribué à améliorer cette offre et à la rendre plus accessible. Des programmes de cette nature existent dans de nombreux pays et rencontrent souvent des difficultés proches des nôtres. Il fallait réagir et d'abord dire la vérité, c'est-à-dire que la création d'une entreprise restera toujours un parcours. L'offre Moukawalati, c'est d'abord un accompagnement, une facilitation pour franchir des obstacles identifiés et non une entreprise montée clé-en-main. La communication de lancement initiale fut sans doute un peu excessive dans sa promesse implicite. En 2009, nous avons fait un grand effort de communication dans les médias en donnant la parole aux personnes en situation de réussite. Elles parlent mieux que nous des avantages de Moukawalati, savent ce qu'il leur a apporté et là où leurs efforts personnels ont été décisifs. Ces personnes parlent «vrai» comme on dit. Cette communication nouvelle et franche a touché ses publics. Entreprendre, c'est d'abord une envie, un désir, et la conviction que cela est possible. Si les médias préparent les esprits, c'est au contact des jeunes que l'on passe à l'action. Le travail de proximité, les réunions de sensibilisation, les dialogues directs, ont touché 35000 personnes volontaires pour en savoir plus sur Moukawalati, en quelques mois. 15000 d'entre-elles ont fait l'objet d'un entretien individuel autour de leur projet. Notre jeunesse porte donc un «stock» de projets et de volonté et il faut conduire à terme les idées viables. Voilà pourquoi je pense que la vitesse supérieure est désormais passée. N'oublions pas aussi que l'éligibilité au Programme est maintenant ouverte aux non diplômés, que plus de 300 guichets d'accompagnement sont ouverts pour être proches de ces jeunes et que les accompagnateurs sont formés, préparés, que beaucoup de travail a été effectué par les parties prenantes pour la coordination, la mise en synergie, la standardisation des procédures, etc. En quelques mois de 2009, plus de 1000 entreprises ont été créées, soit quasiment autant que durant les deux ans et demi qui ont précédé. Il faut donner sa chance à ce programme pour qu'il donne ses fruits. Moukawalati est aussi un outil en lien direct avec l'INDH qui mise notamment sur la création des Activités Génératrices de Revenus. Cela fait beaucoup de bonnes raisons pour soutenir ce programme.
Quels sont les autres acquis du premier plan de développement ?
Le plus visible est à la fois physique et moral. 74 agences installées c'est de l'immobilier, du fonctionnement de l'équipement, mais c'est d'abord l'équité instaurée entre nos concitoyens face à la recherche d'emploi. La sagesse du Conseil d'administration qui a voulu au moins une agence ANAPEC dans chaque préfecture, chaque province, c'est la volonté de rendre accessible ce service public, social et gratuit à tous, de façon équitable. Chaque agence ANAPEC se veut une démonstration de respect pour nos clients. Le mot «client» est important. Il implique la considération manifestée au chercheur d'emploi comme à l'employeur ou au créateur d'entreprise. Nos locaux sont propres, lumineux, modernes, avec des espaces très perceptibles affectés à chaque fonctionnalité. La Charte spatiale mise en œuvre définit tous ces détails, mais l'accueil et même les comportements sont « chartés », comme le ferait une société de services. Cet outil a été forgé durant ce premier plan de développement et c'est un acquis décisif où nous avons appris et pratiqué toutes sortes de métiers, parfois nouveaux pour nous, avec la volonté sans faille de réunir les meilleures conditions pour réussir nos missions. Nous avons également adapté nos offres de services à nos différentes clientèles et aux secteurs d'activité, bâti et diversifié nos partenariats, étoffé et professionnalisé le corps des conseillers en emploi. Plus globalement, une culture de la performance s'est imposée, avec un management moderne fondé sur le capital de nos ressources humaines. Ce fut une aventure, une phase pionnière.
Hormis les chercheurs d'emplois, les employeurs et les porteurs de projet d'entreprise, à quelles clientèles faites-vous allusion et comment les traitez-vous ?
Dès lors que l'on veut apporter une réponse plus juste à chacun, il faut considérer les sous-groupes de nos clients qui se distinguent par des spécificités qui leur sont communes. Je peux citer comme exemple les personnes dont l'insertion paraît très difficile, c'est-à-dire, pour utiliser un indicateur simple, celles qui sont inscrites depuis 12 mois et plus dans notre base de données sans être insérées. Nous avons décidé qu'il s'agit pour l'ANAPEC d'une population prioritaire. Chaque personne concernée a fait l'objet d'un appel téléphonique personnalisé par des télé-conseillers d'un centre d'appel, tous formés par l'ANAPEC. 46000 personnes ont ainsi été contactées et 25000 ont accepté de suivre une démarche pour améliorer leurs chances de trouver un emploi. 11000 de ces personnes prioritaires ont été insérées ainsi, 900 ont suivi une formation qualifiante et 2400 ont participé à des ateliers de recherche active d'emploi. Cet effort particulier, énergique et ciblé, se poursuit. On peut aussi distinguer d'autres clientèles à fortes spécificités. Les personnes désireuses de participer à l'offre du placement à l'international, les handicapés ou les MRE le sont aussi par exemple.
Vous venez de vivre la cérémonie de clôture du projet pilote Appui institutionnel à la circulation des personnes conclu dans le cadre de MEDA2. Les commentaires ont été contrastés sur la campagne des ouvrières agricoles et des fraises en Espagne, mais quel est le bilan ? Quelles sont les perspectives ?
Rappelons d'abord qu'avant le projet pilote, cette dimension de l'activité était encore embryonnaire à l'ANAPEC; il a même fallu adapter l'organisation de l'ANAPEC pour qu'elle puisse incarner cette ambition au Maroc en partenariat avec l'Union européenne. Nous avons désormais une Division de Placement à l'International, quatre agences spécialisées et un espace dédié à cette activité dans chacune des 74 agences du Royaume. Même si l'on a parlé beaucoup des fraises avec la province espagnole de Huelva, d'autres compétences ont connu des migrations organisées, légales, sécurisées, de cette nature, dans la transparence et avec les conditions de transport et de séjour souhaitables. Nous faisons mener de véritables enquêtes de satisfaction auprès de nos concitoyens à leur retour, sur l'hébergement, le travail, les soins, etc. Les taux de satisfaction sont très élevés et, de part et d'autre, la volonté de réitérer les opérations est affirmée. Les taux de retour sont très proches de 100%. Rien n'est jamais parfait et l'on peut sans doute améliorer encore nos interventions, mais deux conclusions sont certaines. Primo, l'ANAPEC a acquis des savoir-faire, des procédures, des outils de gestion appropriés pour ce type de migrations. Secundo, nos partenaires européens, à l'Union européenne ou dans chacun des pays concernés, ont accordé leur confiance à l'ANAPEC et ne le regrettent pas. Ils sont suffisamment satisfaits pour envisager le même type de partenariat avec d'autres pays et ils nous impliquent dans cette démarche. C'est dire que le projet a bien acquis sa valeur de modèle.
L'action de l'ANAPEC est-elle suffisamment en prise avec le monde de l'entreprise ? Ce sont tout de même les employeurs qui embauchent.
Nous avons trois façons d'aborder cette question essentielle. La première, c'est le terrain, avec nos conseillers en emploi qui visitent les entreprises, dialoguent avec les décideurs, renforcent chaque jour leur connaissance des marchés de l'emploi locaux et des impératifs des entreprises proches. Ils reçoivent aussi des formations dédiées pour accroître leur expertise et certains se spécialisent par des stages en entreprise. Ensuite, nous sommes présents aux côtés des investisseurs internationaux, dès l'amont, et je pense sincèrement qu'un interlocuteur qui délivre des informations circonstanciées sur les marchés de l'emploi, par nature de compétences recherchées, et propose une démarche convaincante et professionnalisée, c'est un atout pour notre pays dans la décision d'investissement en faveur du Royaume. Des opérateurs comme Renault, Veolia, Mazagan et Iberostar Barcelo dans le tourisme et l'hôtellerie, ou encore Webhelp, nous font confiance par exemple. Des milliers d'emplois créés sont concernés.
Enfin, nous accompagnons les secteurs porteurs aux côtés des associations professionnelles. Par exemple, nous avons ouvert un guichet à Casanearshore et un autre à Rabat-Technopolis. Nous sommes partenaires des grands programmes comme FORCAP 5000, ou encore FORSHORE 3000 avec le ministère de l'Industrie, du Commerce et des Nouvelles technologies et l'APEBI. Nous allons même plus loin en « spécialisant » certaines agences dans des activités sectorielles prioritaires pour notre pays, comme l'offshoring, l'automobile et le tourisme, le BTP, etc. Lorsque nous travaillons à établir notre propre orientation prospective, c'est bien à partir des points de vue des opérateurs économiques que nous le faisons. Nous avons mené à bien des études régionales qui ont dégagé à ce jour des besoins à terme de 107000 recrutements à mener dans 6 régions du Royaume. Il faudra satisfaire ces besoins en compétences et nous mettrons en œuvre une démarche interrégionale de régulation pour y parvenir grâce à la force de notre réseau et sa couverture nationale.
Et le deuxième plan de développement, comment le management de l'ANAPEC veut-il conduire son action pour s'assurer de l'atteinte des objectifs ?
Ce que j'ai appelé la «phase pionnière», c'était aussi la période de réalisation du réseau actuel, l'équipement, la mise en place des procédures, de la culture entrepreneuriale orientée vers la performance, du développement de nos propres compétences aussi. Nous avons bâti un outil de travail solide; nous l'avons fait finalement assez vite, et nous devons maintenant élever nos résultats dans de nouveaux contextes. Pour que cet outil, qui continuera de s'étoffer, de s'enrichir, de gagner en compétences et en optimisation, puisse donner le meilleur de lui-même, nous allons appliquer deux orientations décisives, qui s'avèreront structurantes.
La première, c'est la qualité. Notre convention annuelle 2009, en décembre dernier, était placée sous le thème «La qualité oblige». La densité et la richesse des interventions ont montré que la préoccupation est présente dans tous les esprits, que les collaborateurs de l'ANAPEC portent en eux des propositions nombreuses et novatrices, qu'ils sont imprégnés de cette nécessité. Les résultats en bénéficieront, car la même quantité d'efforts produira plus de succès encore, notamment parce que beaucoup de problèmes sont désormais derrière nous. Le second axe est la régionalisation. Avec la fin du premier plan de développement, l'aventure pionnière, s'achève en partie la nécessité d'une certaine centralisation de la décision. Le nouveau plan s'appliquera donc dans un cadre de délégation de pouvoirs vers nos directions régionales, au plus près des réalités humaines et économiques, pour gagner en efficacité. Délégation et responsabilisation dans le cadre de contrats d'objectifs iront de pair. La mise en place est entamée. La région nous semble l'échelon optimal pour l'exercice de nos missions et la bonne gouvernance du réseau ANAPEC sous de nombreux aspects. Cette approche pourrait faire de l'ANAPEC une institution pilote car elle se trouve harmonisée à la volonté de «régionalisation avancée», exprimée par Sa Majesté le Roi, que Dieu l'assiste.
Quelles seront les manifestations les plus visibles, à court terme, des mutations en cours ?
L'ANAPEC est à la rencontre de deux logiques, celle du service public, gratuit, aux valeurs citoyennes, et celle des sociétés de service dont elle reprend les valeurs entrepreneuriales dans une logique de satisfaction de ses clientèles. Sous cet angle, elle adopte le triptyque classique du marketing : faire savoir, faire apprécier, faire agir, c'est-à-dire amener les prospects de différentes natures à venir à elle pour solliciter ses services. Nous avons encore du chemin à parcourir pour faire savoir ce qu'est l'ANAPEC d'aujourd'hui, faire apprécier ses offres à leur juste valeur. Nos enquêtes le démontrent. C'est une problématique de communication où nous devons accroître et professionnaliser nos efforts.
Par définition, cette dimension de l'activité aura des conséquences visibles. En interne, nous avons déjà accentué la communication justement pour bien fonctionner en réseau, avec un partage des informations en temps réel, une mise à niveau permanente aussi des connaissances sur tout ce qui a trait à l'exercice de nos métiers. Nous avons conçu un véritable dispositif d'animation du réseau qui sera en place avant l'été.
De grands chantiers sont ouverts depuis plusieurs mois, en matière de système d'information de démarche qualité, de services en ligne, de schéma directeur informatique par exemple. Tout cela, c'est aussi de la qualité globale et de la performance en plus à terme. Sur tous ces points, 2010 est une année totalement stratégique.
Hafid Kamal : Je peux porter avec vous un double regard, celui de la fourmi et celui de l'aigle. Notre pays a patiemment construit une vraie politique pour l'emploi. Nous sommes partis de loin. On se souviendra des Bureaux de Placement et de toutes les initiatives qui ont progressivement fait avancer les idées et les réalisations pour arriver à l'ANAPEC d'aujourd'hui, celle qui est issue des Initiatives Emploi de 2005. Au final, l'Etat a désormais une vraie politique de l'emploi, nationalement et internationalement reconnue, et l'ANAPEC s'honore d'être son bras armé.
A l'inverse, plus nos résultats progressent, plus les bénéficiaires de nos actions sont nombreux, et plus il nous faut regarder aussi ceux pour lesquels nos efforts n'ont pas encore donné de résultats. En fait, tant qu'un chercheur d'emploi restera sans solution, qu'une entreprise sera en quête de ressources humaines, qu'un porteur de projet ne pourra faire aboutir son entreprise, eh bien nous resterons insatisfaits. C'est ainsi, le verre en partie plein nous pousse à nous réjouir, le verre en partie encore vide nous conduit à retrousser les manches pour trouver de nouvelles solutions et mobiliser encore toutes nos énergies. Cet aspect des choses, c'est la grandeur et la noblesse de nos métiers, mais c'est aussi la modestie et l'humilité qu'il nous faut conserver en permanence. Alors l'aigle peut être globalement satisfait, mais la fourmi sait qu'il faudra travailler, encore et beaucoup, et sans cesse.
Le 29 janvier dernier se tenait le Conseil d'administration de l'ANAPEC sous la présidence du ministre de l'Emploi, Jamal Rhmani. Quel bilan peut être tiré de l'exercice 2009 ?
Il y a bien des façons de faire un bilan, même de façon très honnête. Je voudrais vous rappeler que nous sommes près de 32 millions de Marocains, et que notre ANAPEC ne compte que 560 fonctionnaires et 74 agences à travers le Royaume. C'est une très belle progression de la couverture du territoire par rapport à 2006, mais c'est encore peu pour faire face aux attentes. Pourtant, les performances se sont encore accrues en 2009 et très significativement. Songez que 120000 jeunes chercheurs d'emploi ont été reçus dans nos agences, ce qui veut dire que des agences reçoivent certains jours plusieurs centaines de personnes. Et ce ne sont pas des visites de courtoisie : 50 000 entretiens individuels et personnalisés, en face-à-face entre le chercheur d'emploi et un conseiller de l'ANAPEC, ont été délivrés cette année et 20000 personnes ont participé à des ateliers de recherche active d'emploi. Notre pays n'avait encore jamais connu une action aussi massive : l'emploi est donc bien une priorité gouvernementale.
Et les entreprises ?*
Nous avons collecté 80000 offres d'emplois. Je dis collecté et non reçu car la confiance des employeurs dans l'ANAPEC est une chose qui se mérite. En l'occurrence, 20000 visites d'entreprises ont été effectuées par les collaborateurs de l'ANAPEC. Au total, 60000 de ces offres ont été satisfaites, soit un peu plus de 2 sur 3. Il faut ajouter que les entreprises clientes de l'ANAPEC, interrogées de façon anonyme par un bureau d'études prestataire, délivrent à l'ANAPEC un satisfecit global incontestable. Les quelques items du questionnaire où nous sommes jugés insuffisants font l'objet de mesures correctives dont nous espérons bien jauger l'impact dès la prochaine enquête.
Les engagements du premier plan de développement sont-ils tenus, notamment au niveau des objectifs d'insertion des chercheurs d'emploi ?
Le premier objectif de ce plan, c'était la mise en place des mesures gouvernementales et bien sûr la progression des résultats. Le programme Idmaj, qui promeut l'emploi salarié, a permis 170000 insertions. Le programme Taehil vise à améliorer l'employabilité des chercheurs d'emploi. Nous atteignons 35000 bénéficiaires car nous avons privilégié les formations à fort potentiel d'insertion. Le programme Moukawalati a connu des difficultés de lancement et cela est public. L'ANAPEC y travaille aux côtés de nombreux partenaires qui ont su se montrer réactifs. Ce programme a été relancé, et même repensé. Plus de 2200 entreprises sont créées dans ce cadre aujourd'hui avec 8000 emplois directs. Ce n'est pas encore énorme mais la tendance est bonne et la croissance prometteuse.
Le programme Moukawalati, justement, a généré beaucoup de critiques et même des frustrations. La formule actuelle est-elle définitive ?
Rien n'est jamais définitif lorsque l'analyse et l'écoute décèlent des imperfections et que la volonté, l'intelligence et le travail sont là pour y remédier. Tous les partenaires ont contribué à améliorer cette offre et à la rendre plus accessible. Des programmes de cette nature existent dans de nombreux pays et rencontrent souvent des difficultés proches des nôtres. Il fallait réagir et d'abord dire la vérité, c'est-à-dire que la création d'une entreprise restera toujours un parcours. L'offre Moukawalati, c'est d'abord un accompagnement, une facilitation pour franchir des obstacles identifiés et non une entreprise montée clé-en-main. La communication de lancement initiale fut sans doute un peu excessive dans sa promesse implicite. En 2009, nous avons fait un grand effort de communication dans les médias en donnant la parole aux personnes en situation de réussite. Elles parlent mieux que nous des avantages de Moukawalati, savent ce qu'il leur a apporté et là où leurs efforts personnels ont été décisifs. Ces personnes parlent «vrai» comme on dit. Cette communication nouvelle et franche a touché ses publics. Entreprendre, c'est d'abord une envie, un désir, et la conviction que cela est possible. Si les médias préparent les esprits, c'est au contact des jeunes que l'on passe à l'action. Le travail de proximité, les réunions de sensibilisation, les dialogues directs, ont touché 35000 personnes volontaires pour en savoir plus sur Moukawalati, en quelques mois. 15000 d'entre-elles ont fait l'objet d'un entretien individuel autour de leur projet. Notre jeunesse porte donc un «stock» de projets et de volonté et il faut conduire à terme les idées viables. Voilà pourquoi je pense que la vitesse supérieure est désormais passée. N'oublions pas aussi que l'éligibilité au Programme est maintenant ouverte aux non diplômés, que plus de 300 guichets d'accompagnement sont ouverts pour être proches de ces jeunes et que les accompagnateurs sont formés, préparés, que beaucoup de travail a été effectué par les parties prenantes pour la coordination, la mise en synergie, la standardisation des procédures, etc. En quelques mois de 2009, plus de 1000 entreprises ont été créées, soit quasiment autant que durant les deux ans et demi qui ont précédé. Il faut donner sa chance à ce programme pour qu'il donne ses fruits. Moukawalati est aussi un outil en lien direct avec l'INDH qui mise notamment sur la création des Activités Génératrices de Revenus. Cela fait beaucoup de bonnes raisons pour soutenir ce programme.
Quels sont les autres acquis du premier plan de développement ?
Le plus visible est à la fois physique et moral. 74 agences installées c'est de l'immobilier, du fonctionnement de l'équipement, mais c'est d'abord l'équité instaurée entre nos concitoyens face à la recherche d'emploi. La sagesse du Conseil d'administration qui a voulu au moins une agence ANAPEC dans chaque préfecture, chaque province, c'est la volonté de rendre accessible ce service public, social et gratuit à tous, de façon équitable. Chaque agence ANAPEC se veut une démonstration de respect pour nos clients. Le mot «client» est important. Il implique la considération manifestée au chercheur d'emploi comme à l'employeur ou au créateur d'entreprise. Nos locaux sont propres, lumineux, modernes, avec des espaces très perceptibles affectés à chaque fonctionnalité. La Charte spatiale mise en œuvre définit tous ces détails, mais l'accueil et même les comportements sont « chartés », comme le ferait une société de services. Cet outil a été forgé durant ce premier plan de développement et c'est un acquis décisif où nous avons appris et pratiqué toutes sortes de métiers, parfois nouveaux pour nous, avec la volonté sans faille de réunir les meilleures conditions pour réussir nos missions. Nous avons également adapté nos offres de services à nos différentes clientèles et aux secteurs d'activité, bâti et diversifié nos partenariats, étoffé et professionnalisé le corps des conseillers en emploi. Plus globalement, une culture de la performance s'est imposée, avec un management moderne fondé sur le capital de nos ressources humaines. Ce fut une aventure, une phase pionnière.
Hormis les chercheurs d'emplois, les employeurs et les porteurs de projet d'entreprise, à quelles clientèles faites-vous allusion et comment les traitez-vous ?
Dès lors que l'on veut apporter une réponse plus juste à chacun, il faut considérer les sous-groupes de nos clients qui se distinguent par des spécificités qui leur sont communes. Je peux citer comme exemple les personnes dont l'insertion paraît très difficile, c'est-à-dire, pour utiliser un indicateur simple, celles qui sont inscrites depuis 12 mois et plus dans notre base de données sans être insérées. Nous avons décidé qu'il s'agit pour l'ANAPEC d'une population prioritaire. Chaque personne concernée a fait l'objet d'un appel téléphonique personnalisé par des télé-conseillers d'un centre d'appel, tous formés par l'ANAPEC. 46000 personnes ont ainsi été contactées et 25000 ont accepté de suivre une démarche pour améliorer leurs chances de trouver un emploi. 11000 de ces personnes prioritaires ont été insérées ainsi, 900 ont suivi une formation qualifiante et 2400 ont participé à des ateliers de recherche active d'emploi. Cet effort particulier, énergique et ciblé, se poursuit. On peut aussi distinguer d'autres clientèles à fortes spécificités. Les personnes désireuses de participer à l'offre du placement à l'international, les handicapés ou les MRE le sont aussi par exemple.
Vous venez de vivre la cérémonie de clôture du projet pilote Appui institutionnel à la circulation des personnes conclu dans le cadre de MEDA2. Les commentaires ont été contrastés sur la campagne des ouvrières agricoles et des fraises en Espagne, mais quel est le bilan ? Quelles sont les perspectives ?
Rappelons d'abord qu'avant le projet pilote, cette dimension de l'activité était encore embryonnaire à l'ANAPEC; il a même fallu adapter l'organisation de l'ANAPEC pour qu'elle puisse incarner cette ambition au Maroc en partenariat avec l'Union européenne. Nous avons désormais une Division de Placement à l'International, quatre agences spécialisées et un espace dédié à cette activité dans chacune des 74 agences du Royaume. Même si l'on a parlé beaucoup des fraises avec la province espagnole de Huelva, d'autres compétences ont connu des migrations organisées, légales, sécurisées, de cette nature, dans la transparence et avec les conditions de transport et de séjour souhaitables. Nous faisons mener de véritables enquêtes de satisfaction auprès de nos concitoyens à leur retour, sur l'hébergement, le travail, les soins, etc. Les taux de satisfaction sont très élevés et, de part et d'autre, la volonté de réitérer les opérations est affirmée. Les taux de retour sont très proches de 100%. Rien n'est jamais parfait et l'on peut sans doute améliorer encore nos interventions, mais deux conclusions sont certaines. Primo, l'ANAPEC a acquis des savoir-faire, des procédures, des outils de gestion appropriés pour ce type de migrations. Secundo, nos partenaires européens, à l'Union européenne ou dans chacun des pays concernés, ont accordé leur confiance à l'ANAPEC et ne le regrettent pas. Ils sont suffisamment satisfaits pour envisager le même type de partenariat avec d'autres pays et ils nous impliquent dans cette démarche. C'est dire que le projet a bien acquis sa valeur de modèle.
L'action de l'ANAPEC est-elle suffisamment en prise avec le monde de l'entreprise ? Ce sont tout de même les employeurs qui embauchent.
Nous avons trois façons d'aborder cette question essentielle. La première, c'est le terrain, avec nos conseillers en emploi qui visitent les entreprises, dialoguent avec les décideurs, renforcent chaque jour leur connaissance des marchés de l'emploi locaux et des impératifs des entreprises proches. Ils reçoivent aussi des formations dédiées pour accroître leur expertise et certains se spécialisent par des stages en entreprise. Ensuite, nous sommes présents aux côtés des investisseurs internationaux, dès l'amont, et je pense sincèrement qu'un interlocuteur qui délivre des informations circonstanciées sur les marchés de l'emploi, par nature de compétences recherchées, et propose une démarche convaincante et professionnalisée, c'est un atout pour notre pays dans la décision d'investissement en faveur du Royaume. Des opérateurs comme Renault, Veolia, Mazagan et Iberostar Barcelo dans le tourisme et l'hôtellerie, ou encore Webhelp, nous font confiance par exemple. Des milliers d'emplois créés sont concernés.
Enfin, nous accompagnons les secteurs porteurs aux côtés des associations professionnelles. Par exemple, nous avons ouvert un guichet à Casanearshore et un autre à Rabat-Technopolis. Nous sommes partenaires des grands programmes comme FORCAP 5000, ou encore FORSHORE 3000 avec le ministère de l'Industrie, du Commerce et des Nouvelles technologies et l'APEBI. Nous allons même plus loin en « spécialisant » certaines agences dans des activités sectorielles prioritaires pour notre pays, comme l'offshoring, l'automobile et le tourisme, le BTP, etc. Lorsque nous travaillons à établir notre propre orientation prospective, c'est bien à partir des points de vue des opérateurs économiques que nous le faisons. Nous avons mené à bien des études régionales qui ont dégagé à ce jour des besoins à terme de 107000 recrutements à mener dans 6 régions du Royaume. Il faudra satisfaire ces besoins en compétences et nous mettrons en œuvre une démarche interrégionale de régulation pour y parvenir grâce à la force de notre réseau et sa couverture nationale.
Et le deuxième plan de développement, comment le management de l'ANAPEC veut-il conduire son action pour s'assurer de l'atteinte des objectifs ?
Ce que j'ai appelé la «phase pionnière», c'était aussi la période de réalisation du réseau actuel, l'équipement, la mise en place des procédures, de la culture entrepreneuriale orientée vers la performance, du développement de nos propres compétences aussi. Nous avons bâti un outil de travail solide; nous l'avons fait finalement assez vite, et nous devons maintenant élever nos résultats dans de nouveaux contextes. Pour que cet outil, qui continuera de s'étoffer, de s'enrichir, de gagner en compétences et en optimisation, puisse donner le meilleur de lui-même, nous allons appliquer deux orientations décisives, qui s'avèreront structurantes.
La première, c'est la qualité. Notre convention annuelle 2009, en décembre dernier, était placée sous le thème «La qualité oblige». La densité et la richesse des interventions ont montré que la préoccupation est présente dans tous les esprits, que les collaborateurs de l'ANAPEC portent en eux des propositions nombreuses et novatrices, qu'ils sont imprégnés de cette nécessité. Les résultats en bénéficieront, car la même quantité d'efforts produira plus de succès encore, notamment parce que beaucoup de problèmes sont désormais derrière nous. Le second axe est la régionalisation. Avec la fin du premier plan de développement, l'aventure pionnière, s'achève en partie la nécessité d'une certaine centralisation de la décision. Le nouveau plan s'appliquera donc dans un cadre de délégation de pouvoirs vers nos directions régionales, au plus près des réalités humaines et économiques, pour gagner en efficacité. Délégation et responsabilisation dans le cadre de contrats d'objectifs iront de pair. La mise en place est entamée. La région nous semble l'échelon optimal pour l'exercice de nos missions et la bonne gouvernance du réseau ANAPEC sous de nombreux aspects. Cette approche pourrait faire de l'ANAPEC une institution pilote car elle se trouve harmonisée à la volonté de «régionalisation avancée», exprimée par Sa Majesté le Roi, que Dieu l'assiste.
Quelles seront les manifestations les plus visibles, à court terme, des mutations en cours ?
L'ANAPEC est à la rencontre de deux logiques, celle du service public, gratuit, aux valeurs citoyennes, et celle des sociétés de service dont elle reprend les valeurs entrepreneuriales dans une logique de satisfaction de ses clientèles. Sous cet angle, elle adopte le triptyque classique du marketing : faire savoir, faire apprécier, faire agir, c'est-à-dire amener les prospects de différentes natures à venir à elle pour solliciter ses services. Nous avons encore du chemin à parcourir pour faire savoir ce qu'est l'ANAPEC d'aujourd'hui, faire apprécier ses offres à leur juste valeur. Nos enquêtes le démontrent. C'est une problématique de communication où nous devons accroître et professionnaliser nos efforts.
Par définition, cette dimension de l'activité aura des conséquences visibles. En interne, nous avons déjà accentué la communication justement pour bien fonctionner en réseau, avec un partage des informations en temps réel, une mise à niveau permanente aussi des connaissances sur tout ce qui a trait à l'exercice de nos métiers. Nous avons conçu un véritable dispositif d'animation du réseau qui sera en place avant l'été.
De grands chantiers sont ouverts depuis plusieurs mois, en matière de système d'information de démarche qualité, de services en ligne, de schéma directeur informatique par exemple. Tout cela, c'est aussi de la qualité globale et de la performance en plus à terme. Sur tous ces points, 2010 est une année totalement stratégique.
