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«Il faut 150 litres d'eau pour produire une tasse de café»

Le président du Conseil mondial de l'eau, Loïc Fauchon, vient souvent au Maroc où son entreprise, la «Société des Eaux de Marseille», a une antenne. Spécialiste de l'eau, il nous livre, dans cet entretien exclusif, les enjeux de l'eau en mettant en avant un nouveau concept «l'eau virtuelle».

«Il faut 150 litres d'eau pour produire une tasse de café»
Entretien avec Loïc Fauchon, président du Conseil Mondial de l'Eau
Est-ce que l'on peut imaginer qu'une tasse de café nécessite 150 litres d'eau pour être produite ? Qu'un kilogramme de viande a besoin de 15 mille litres d'eau et qu'une seule feuille de papier nécessite pour sa production une centaine de litres d'eau ? Eh bien oui. C'est sur cette nouvelle science, baptisée « l'eau virtuelle », que table le président du Conseil mondial de l'eau, Loïc Fauchon, pour attirer l'attention de l'humanité sur l'importance de l'eau. Dans un entretien exclusif qu'il nous a accordé, il a cité des exemples dans ce sens pour argumenter ses propos afin de dire que ce sont les pays qui ont de l'eau qui vont être puissants dans l'avenir comme le sont ceux qui ont du pétrole ou du gaz.

De là il met sur le tapis une problématique qui concerne le Maroc comme d'autres pays. Celle de savoir s'il faut continuer à produire des fruits et légumes…qui sont consommateurs d'eau ou s'il vaudrait mieux les importer. Car, estime Loïc Fauchon, en exportant par exemple certains produits on exporte avec eux toute l'eau qui a été utilisée, d'amont en aval, à leur production. La question est donc posée. Or, dit-il, «c'est moins d'une dizaine d'années qu'on a commencé à comprendre ces mécanismes. Il y a beaucoup de travail à faire puisque c'est une science nouvelle. Science qui aura des conséquences importantes sur le commerce international».
Ce ne sont pas là les seuls enjeux défendus par le président du Conseil mondial de l'eau. En effet, il est également question d'un enjeu très important en lien entre l'eau et l'énergie. Il estime que les deux sont liées. C'est ce qui l'avait poussé, lors du sommet de Copenhague, à appeler à ce que l'on parle plutôt du paquet énergie-eau dans les négociations pour le climat au lieu et place du paquet énergie-climat.

Loïc Fauchon nous dévoile aussi quelques coulisses des préparatifs du congrès international de l'eau qui devrait avoir lieu en mars 2012. C'est un forum mondial qui a pour sujet l'eau mais qui nécessite un «système de préparation extrêmement compliqué avec un processus politique, thématique, régional et un processus citoyen. C'est une organisation complexe dans laquelle plusieurs centaines d'organisations prennent part
dont notamment des organisations marocaines», nous informe-t-il.
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LE MATIN: Est-ce que vous pouvez tout d'abord nous faire une évaluation de votre participation aux travaux des MEDays de Tanger ?

LOÏC FAUCHON:
C'est la première fois que je participe aux MEDays. J'avais été invité auparavant, mais je n'avais pas pu répondre l'invitation. Je suis très frappé par l'importance des sujets qui sont évoqués pendant les journées de travaux de cette rencontre et du bien fondé des sujets choisis. Ce sont des sujets très sensibles et très importants qui ont trait à la sécurité, à l'économie, à la politique... Je suis aussi impressionné par la liberté de ton et la variété des intervenants venus de tous les pays... Cela fait des Medays un événement que je trouve extrêmement intéressant. Car, c'est dans ces circonstances, lorsque les discussions sont avec des gens aussi variés et libres, qu'on voit émerger des propositions intéressantes. Ce n'est pas le genre de conférences où il faut écrire à l'avance le texte. Et puis, disons le franchement, les rencontres qu'il y a en dehors des salles de réunion sont aussi importantes que les réunions programmées dans les salles.

Justement, quelles sont les propositions qui ont le plus retenu votre attention ?

En fait, je ne me suis concentré que sur les débats relatifs à l'eau et à la sécurité alimentaire. A ce niveau, le choix des organisateurs est très judicieux. Ainsi, on a vu apparaître, dans le cadre des débats, le lien essentiel qu'il y a entre l'eau et la nourriture. Il faut de l'eau pour faire de la nourriture. Le problème, c'est qu'il faut beaucoup, beaucoup d'eau pour produire de la nourriture et pas pour la consommer…

Est-ce que vous pouvez nous éclairer davantage sur l'importance de la consommation d'eau en relation avec la nourriture, en donnant des exemples ?

Il faut savoir que, par exemple, un kilogramme de viande nécessite 15 mille litres d'eau, c'est-à-dire 15 m3. Quand vous buvez une tasse de café le matin, il faut savoir que c'est 150 litres d'eau qui lui ont permis d'exister.
Parce que, pour produire cette modeste tasse de café, il a fallu, en fait, tout au long du cycle de production, utiliser ces quantités d'eau.
Autre exemple, une seule feuille de papier nécessite pour sa production une centaine de litres d'eau.
Ainsi, quand vous avez, entre les mains, une ramette de papier, vous pouvez imaginer combien de quantités d'eau il y a derrière. Ainsi, cela fait des arbres, mais aussi de l'eau.
Tout cela, c'est ce qu'on appelle « l'eau virtuelle » et c'est extrêmement important pour la stratégie future sur l'eau.
Je pose donc, par exemple, la même interrogation soulevée par des Marocains : « est-ce qu'il faut continuer à produire certains légumes qui sont très consommateurs d'eau ? ». Par exemple, la banane exige beaucoup d'eau, beaucoup de soleil et de chaleur. Est-ce qu'il faut la produire ou voudrait-il mieux l'acheter et l'importer de l'extérieur et consacrer l'eau destiné à la produire à d'autres usages dans le pays. A l'inverse, quand vous exportez des légumes ou fruits, vous exportez aussi de l'eau. Non seulement parce qu'il y a de l'eau dedans, mais aussi parce que l'eau utilisée pour la produire est exportée avec. Ceci représente un champ nouveau de réflexion, tout simplement parce qu'on commence à comprendre l'importance de l'eau. D'un autre côté, il y a un enjeu stratégique pour savoir ce qu'on produit, quelle part de la sécurité alimentaire on garde… Parce que si vous avez tout à acheter de l'extérieur et que vous avez une guerre ou une crise… vous risquez d'affamez votre peuple. Donc, il faut trouver le bon rapport entre ce qu'il faut produire dans le pays, avec une autosuffisance totale ou partiel et ce que vous allez acheter dans d'autres pays. C'est aujourd'hui un élément important de la stratégie nationale de chaque pays.

Dans ce sens, est-ce qu'il y a une conscience de l'importance de l'eau, dans le sens que vous venez de décrire et au vu des volumes d'eau utilisés pour produire un simple article ?

Pas encore. Pas suffisamment, car c'est une science très nouvelle. C'est depuis moins d'une dizaine d'année qu'on commence à comprendre ces mécanismes. Il y a beaucoup de travail à faire puisque c'est une science nouvelle. Une science qui aura des conséquences importantes sur le commerce international.

Vous soutenez aussi que les pays qui ont le plus d'eau seront les pays qui vont dominer...

Je ne dirais pas dominer. Il est évident que les pays qui ont du pétrole et du gaz sont des pays puissants et qui ont de l'argent.
Demain, les pays qui ont de l'eau seront aussi des pays puissants, parce qu'ils vont avoir des capacités de production que, peut être, d'autres n'auront pas.

C'est donc un enjeu géopolitique ?

C'est un enjeu géopolitique et géostratégique extrêmement important qu'on découvre seulement depuis quelques années.
C'est à la fois aussi un enjeu écologique, car il faut comprendre aussi que nous devons protéger l'eau et sa qualité et lui restituer son milieu naturel. Si au Maroc l'on fait autant de stations d'épuration, c'est parce qu'on a la conscience que l'on ne peut rejeter comme ça à la mer l'eau qui vient des villes, des industries, des engrais de l'agriculture... Cela relève de la protection de la biodiversité et des écosystèmes.

A part cette équation, est-ce qu'il y a d'autres enjeux en relation avec l'eau ?

Il y a un enjeu très important en lien avec l'eau et l'énergie pour plusieurs raisons. D'abord parce que ceux qui n'ont pas l'eau, sont ceux, généralement, qui n'ont pas l'électricité. Et ce sont aussi ceux qui n'ont pas généralement assez de quoi manger. C'est pour eux qu'on travaille, car les pauvres sont pauvres de tout. La deuxième raison, c'est qu'on prend chaque année de plus en plus conscience que pour apporter l'eau, pour la sécuriser, il faut de l'énergie. Il faut de l'énergie pour aller pomper dans le sol, pour dessaler et construire des usines de dessalement, il en faut aussi pour transporter de l'eau d'un endroit à un autre, etc. De l'autre côté, de plus en plus, on a besoin de l'eau pour l'énergie ; parce que l'hydraulicité demande de l'eau, les centrales nucléaires en ont aussi besoin en grande quantité pour être refroidies… Donc on voit bien aujourd'hui, et c'est assez nouveau, qu'on doit traiter en même temps les problèmes de l'eau et de l'énergie. Ceci est un enjeu considérable pour l'avenir.
C'est pour cette raison que j'ai demandé, avant le sommet de Copenhague, qu'on ne traite pas différemment les choses. On a mis au point, avant ce sommet, ce mécanisme qu'on appelle le paquet énergie-climat. Cela a été tout l'enjeu des négociations de Copenhague. Nous, on demande qu'on ne nous parle plus du paquet énergie-climat, mais qu'on nous parle plutôt du paquet énergie-eau dans les négociations pour le climat. Car il doit y avoir une mobilisation internationale pour réduire le CO2 et les émissions de gaz à effet de serre. Mais il faut aussi réduire la fracture de l'eau, les pollutions de l'eau, il faut augmenter les masses d'eau disponibles. Donc, on voit bien que c'est une question stratégique pour l'avenir de l'humanité.

Quelles sont donc vos actions au sein du Conseil mondial de l'eau pour attirer l'attention sur ces enjeux-là ?

Nous n'avons que notre pouvoir de conviction. Nous portons la parole et nous essayons d'être la voix de l'eau. La voix qui s'élève en sa faveur et défend ceux qui n'ont pas accès à cette denrée et aussi celle qui veut convaincre ceux qui ont le pouvoir de décision : les ministres, les maires, les présidents des banques internationales… Nous essayons de leur dire que l'eau doit devenir une priorité, car elle est au centre de tout. Elle est au centre de l'agriculture, de l'industrie, de la santé. Il faut donc faire en sorte que l'eau soit une priorité.
Nous appelons à ce que « les robinets soient avant les fusils».
Ce qui veut dire que les budgets civils doivent progresser plus vite que les budgets militaires. Nous disons aussi : « l'eau avant les téléphones portables ». Car en cette année 2010, on sait que ce sont 350 millions de téléphones portables qui ont été vendus dans le monde. On aimerait bien autant d'accès à l'eau que de téléphones portables.

En relation avec cette question de l'accès à l'eau, il y a eu une polémique : faut-il que l'accès à l'eau soit gratuit ou payant ?

Il n'y a pas de polémique à ce sujet dans le monde, sauf à de rares exceptions. Tout le monde admet que l'eau a un coût. L'eau est un don de Dieu. Donc, l'eau en elle-même ne coûte pas, mais son traitement, les frais pour l'amener ont un prix. Donc le prix n'est pas la même chose que le coût. Le prix de l'eau relève de la responsabilité de l'autorité publique qui doit en décider. Elle peut la subventionner, comme on subventionne le pain dans certains pays. C'est donc une question de choix politique et ce n'est pas un sujet de polémique.
Ce qui faisait par contre polémique, qui est d'ailleurs aujourd'hui terminée, c'est que certains pays ne reconnaissaient pas clairement le droit à l'eau comme un droit de l'Homme. Cette question s'est terminée parce que l'Assemblée Générale de l'ONU, du mois de juillet dernier, a voté une résolution (sans aucune opposition) reconnaissant le droit à l'eau comme un droit humain fondamental. C'est un grand pas, mais cela ne suffit pas. Il faut aller encore plus loin en mettant ce droit en application. C'est déjà une bonne chose parce qu'on va demander aux Etats de mettre dans leurs constitutions le droit à l'eau, de garantir une allocation minimale pour les populations les plus pauvres… en s'appuyant sur cette résolution votée à l'ONU.

Vous aller organiser, en mars 2012, le Congrès international de l'eau. Quels sont les points les plus importants à l'ordre du jour ?

Il n'y a pas un point à l'ordre du jour, mais des milliers de points. Car il s'agit d'un Forum mondial de l'eau et non pas d'une simple conférence internationale. Lors du dernier Congrès tenu à Istanbul il y avait 32 mille participants. Quand vous avez autant de participants, vous ne savez pas ce qu'ils vont dire. C'est cela l'objectif. Le but du Forum, c'est que tout le monde puisse y venir, les puissants et les faibles, les riches et les pauvres, ceux qui sont dans une grande organisation et ceux qui sont dans une petite organisation… Il y aura 2000 journalistes, ce qui garantit une formidable répercussion dans le monde.
Dans ce Forum, tous les sujets de l'eau vont être traités et chacun ira vers ce qui l'intéresse le plus et portera l'attention sur ce qui le préoccupe. C'est vraiment le grand rassemblement mondial de l'eau. Il y aura des présidents, des rois, des princes… mais aussi de simples citoyens qui s'intéressent à la question de l'eau, des universitaires, des étudiants et des représentants d'ONG qui vont faire le menu tous ensemble. A la fin, chacun repartira en prenant ce qu'il souhaite. L'objectif donc est que les gens se rencontrent, dialoguent et établissent des solutions ensemble.

Et où en sont les préparatifs ?

Les préparatifs ne vont jamais assez vite à mon avis. Nous sommes à 17 mois de ce Forum qui aura lieu à Marseille. C'est un système de préparation extrêmement compliqué avec un processus politique, thématique, régional et un processus citoyen. C'est donc une organisation complexe que je ne peux détailler ici et dans laquelle plusieurs centaines d'organisations prennent part, dont notamment des organisations marocaines.

Quelle est votre appréciation de la politique marocaine en matière d'eau ?

Il y a une prise de conscience au Maroc de l'importance de l'eau qui est ancienne. On avait beaucoup critiqué feu SM Hassan II quand il avait imposé au Maroc une politique des barrages.
Cela paraissait à l'époque peu nécessaire. Imaginez aujourd'hui quelle serait la vie du Maroc s'il n'y avait pas ces barrages, ce serait l'enfer. Il faudra en faire encore d'autres et il y a des projets dans ce sens.
Donc, aujourd'hui, le Maroc fait flotter très haut non seulement son drapeau mais aussi le drapeau de l'eau. Le Maroc est un ami de l'eau, à la fois pour la politique des ressources et des barrages, mais aussi à travers la politique de distribution et d'accès à l'eau. En une quinzaine d'années, la quasi-totalité de la population marocaine a eu accès à l'eau. Petit à petit, elle a aussi accès à l'assainissement. Il y a des opérateurs extrêmement réputés. L'ONEP est connu dans le monde entier et travaille maintenant dans l'Afrique Subsaharienne avec des hommes et des femmes de très grande compétence.
Il y a aussi au Maroc un réseau de régie qui, petit à petit, se modernise et fait qu'aujourd'hui il y a ce qu'on peut appeler une autosuffisance hydrique. Ainsi, le Maroc fait partie, parmi les pays émergents, du peloton de tête dans la course à l'accès à l'eau, avec les progrès et les moyens très importants que le Royaume a consacré à l'eau et à l'assainissement depuis 20 ans.
C'est donc une politique assez exemplaire. Je suis d'ailleurs certain que la coopération marocaine dans le domaine de l'eau et de l'environnement va être très importante dans les années qui viennent dans le monde, et pas seulement dans l'Afrique subsaharienne.
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