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"Medias et communication politique: quels enjeux pour les élections ?"

Auteur de «La communication politique à l'épreuve du modèle d'analyse communicationnelle intégrée», Oumama El Kettani souligne que le rôle des médias est central pour expliquer les enjeux et organiser des confrontations.

"Medias et communication politique: quels enjeux pour les élections ?"
LE MATIN: L'intitulé pourrait paraître assez rébarbatif, n'eut été l'intérêt que l'on peut porter à un tel sujet ?
OUMAMA EL KETTANI:
Ce travail est en fait l'aboutissement d'un périple professionnel assez diversifié. Il est la synthèse d'un cursus universitaire, de nature théorique, d'un cursus politique et administratif, d'ordre pratique. De par ma formation universitaire et mon intérêt porté à la communication, évoluant moi-même dans le monde politique, j'ai découvert un domaine où la communication est à l'image de la complexité du facteur humain qui en est en même temps l'auteur, l'acteur et le spectateur.
Cette expérience a été surtout l'occasion de mettre en pratique un certain nombre de concepts méthodologiques tels que ceux de l'observation participante, tout en veillant à garder la distanciation et l'objectivité nécessaires à toute recherche scientifique. D'où l'intérêt d'une approche interdisciplinaire. L'objectif du travail de recherche étant in fine de mettre en place un modèle d'analyse interdisciplinaire, destiné à restituer l'aspect global, total et processuel des phénomènes communicationnels. D'où l'idée d'esquisser les premiers jalons pour un modèle d'analyse communicationnelle intégrée : le MACI, avec comme exemple d'application la communication politique électorale, à la lumière d'un phénomène saillant: l'argumentation.

Vous avez travaillé sur l'argumentation dans les législatives de 2002. Comment le sujet a-t-il été abordé ?
Contrairement à ce qui se passe en général dans le cadre des thèses d'Etat, qui partent de la théorie pour arriver à la pratique, j'ai suivi la démarche inverse : je suis parti de faits concrets puisés dans la campagne électorale des législatives de 2002 pour essayer d'expliquer, entre autres phénomènes, l'influence du média TV sur la communication électorale avec une différence de perception chez le citoyen, électeur potentiel en fonction de plusieurs facteurs, anthropologiques, ethnologiques, culturels, sociologiques (niveau d'instruction, niveau économique, appartenance monde rural/urbain, ville (habitat décent) ou précaire (périphérie), etc.). Au même moment, au niveau de la production de la communication politique, ces multiples facteurs sont peu ou pas pris en considération par la plupart des formations politiques.

Pourquoi avez-vous choisi les législatives de 2002 ?
Les législatives du 27 septembre 2002 se sont déroulées dans un contexte politique particulier, avec l'intronisation de Sa Majesté le Roi Mohammed VI en juillet 1999, qui marque un tournant décisif dans la vie politique au Maroc avec notamment le "nouveau concept de l'autorité".
Les législatives de 2002 interviennent dans une phase de développement inédite, où l'ensemble de la classe politique nationale et des observateurs étrangers s'accorde pour affirmer que cette consultation électorale a été qualitativement différente de toutes celles qui l'ont précédées. Ces élections se sont déroulées dans un contexte historique spécifique, dans un environnement où un nouveau dispositif institutionnel et juridique est mis en place pour servir de cadre normatif à l'opération électorale. Au niveau du système électoral, un changement qualitatif est intervenu pour la première fois dans l'histoire électorale avec l'abandon du système majoritaire uninominal à un tour et son remplacement par un scrutin de liste. Au niveau des moyens de communication, le système de l'affectation de couleurs électorales aux partis en compétition est abandonné. Il est remplacé par un système de symboles ou logotypes, choisis librement par les partis eux-mêmes, utilisés comme identité visuelle.

Par ailleurs, des efforts remarquables ont été déployés par certains partis politiques, qui ont souvent fait appel à des professionnels du "marketing" convertis, pour la circonstance, en "spécialistes" du marketing politique pour l'élaboration aussi bien de spots publicitaires audiovisuels que d'un matériel de propagande (brochures, t-shirts, casquettes, pins…) à l'effigie du "parti-client". Or, le recours aux "professionnels" de la communication s'est fait souvent sans encadrement politique, à de rares exceptions près. Car les "boîtes" de communication s'occupent en général de publicité commerciale ou se chargent de l'évènementiel. Mais une idée ne peut être assimilée à un produit et les techniques marketing sont totalement différentes.

La radio et la télévision ont d'ailleurs été abondamment mises à contribution pour la plus large communication de masse aux côtés des modalités locales classiques, propres aux partis politiques (meetings, réunions, repas offerts, distribution de documents et matériels de propagande…).


La télécratie constitue-t-elle une limite de la démocratie ? Quelles sont les limites du marketing politique ?
L'une des principales raisons de la suprématie de la télévision est l'ampleur de son audience, même dans les douars non électrifiés, où la TV fonctionne au moyen de batteries d'automobiles. Cette ampleur encore inégalée oblige des candidats souvent peu connus à acquérir une rapide notoriété. Face à cette nouvelle donne télévisuelle, l'image politique est d'une importance stratégique décisive et participe à un processus de valorisation et de simplification. Simplificatrices et valorisantes, les images politiques sont donc des représentations mentales synthétisant de manière stéréotypée des perceptions dominantes que les citoyens ont d'un parti ou d'un candidat. Le rôle de l'image en politique serait donc aussi déterminant que celui qui lui est attribué en matière commerciale.

Cette idée repose sur les deux principales recettes utilisées pour les "marchands" d'images politiques : la première tente de transformer les handicaps des candidats en qualités et les qualités perçues des adversaires en défauts; la seconde s'intéresse plus directement à l'image qu'ils donnent d'eux-mêmes.

L'une de ces critiques est le fait que le marketing politique se développe sur de courtes périodes et néglige ainsi le fait que les processus de création et de rectification d'une image sont en réalité assez lents et exigent une attention de tous les instants. Ce qui fait que progressivement, le conjoncturel l'emporte sur le structurel et limite le projet politique. La communication politique audiovisuelle, dans ce cas, piperait les dés du processus démocratique. On ne sait plus qui fait campagne, le candidat ou le réalisateur ?
L'éloignement des citoyens de la politique, surtout sensible chez les plus jeunes des téléspectateurs, atteste l'incompréhension et le désintérêt pour des prestations souvent jugées formelles et déconnectées de la réalité vécue au quotidien. Ceci aurait pour conséquence de distendre le lien social.
Nous pouvons même aller plus loin en avançant l'idée que le recours aux stratégies du marketing est probablement lié à la crise du militantisme que traversent un processus de démocratisation comme le nôtre.
L'époque des grandes utopies politiques étant révolue, la communication politique s'apparente progressivement à une industrie qui emploie des salariés, fait des investissements et génère des bénéfices sans que chacun voit clairement le profit qu'il peut en tirer, en dehors du spectacle auquel il est convié.
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