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«Derb Ghallef» à l'épreuve de la politique urbaine

Youssef Chiheb
Expert en développement territorial auprès du Programme des Nations unies pour le développement (PNUD), professeur à l'Université Paris Nord XIII et directeur du ''Master ingénierie de développement''.

«Derb Ghallef» à l'épreuve de la politique urbaine
La Joutia de « Derb Ghallef » est sans doute l'un des plus anciens vestiges de l'ère coloniale encore en activité à Casablanca. En dépit de son caractère insalubre, de ses activités informelles et d'une opacité quant à son fonctionnement économique et financier, la ''Joutia'' est présente dans la mémoire collective des Marocains en général et des Casablancais en particulier. Ce mythe n'est pas uniquement du fait de son enracinement dans l'histoire urbaine de la ville, mais également, et surtout, au regard des grands services et prestations qu'il continue de fournir aux centaines de milliers de clients venant de tous bords. Ainsi, citadins, ruraux, Casablancais, reste des Marocains, immigrés et Européens ont tous un jour où l'autre eu affaire à la ''Joutia''. On y trouve des choses insolites, des réponses originales et surtout une âme qui donne à ce lieu toute sa spécificité.

Aujourd'hui, la ''Joutia'' est une réalité socioéconomique en phase de décomposition. Le temps est venu pour repenser ce site mythique tout en lui donnant une perspective urbanistique de qualité à hauteur de sa valeur patrimoniale.
L'organisation spatiale de la ''Joutia'' et de son environnement urbain immédiat constituent le principal défi urbain et social. Le site est confronté à une désarticulation urbaine par rapport aux fonctionnalités le reliant à la ville de Casablanca. Les photos aériennes illustrent cette cohabitation de fait et non de droit de plusieurs formes d'occupations du sol.

Des bidonvilles éparpillés, des immeubles (R+6) ceinturant les baraquements, des artères majeures encombrées, des terrains nus présentant les caractéristiques d'un réceptacle où se développent déchets urbains, parkings sauvages, lieux anxiogènes … Bref, toute la panoplie d'un quartier sous-intégré au cœur de la commune urbaine de Maârif. Le site est à quelques centaines de mètres de l'actuel centre de gravité de la métropole économique. Ce qui lui donne un positionnement stratégique dans la future physionomie du pôle d'attractivité émergent.

Le nombre d'activités ayant fait l'objet d'une déclaration fiscale auprès des autorités ne dépasse pas les 51% de l'ensemble des « hanoutes » (boutiques) implantés. Le caractère informel explique en partie cette inégalité des actifs devant la fiscalité. Plusieurs acteurs informels attribuent cette gestion publique à deux vitesses au « Turn over » des actifs, à la rotation des exploitants et de manière plus aléatoire aux « arrangements » qui sont monnaie courante dans cet univers opaque. La redevance se situe dans une fourchette située entre 600 à 1.500 DH par an. Les recettes fiscales ne tiennent pas compte de la Taxe sur la valeur ajoutée. L'apport fiscal potentiel dépasse les 100 millions DH si toutes les activités y étaient assujetties. La ''Joutia'' est, par les origines géographiques des actifs, une véritable carte d'identité historique de Casablanca. Elle reflète également l'ancrage d'une activité, certes insalubre, mais profondément citadine.

Ainsi, ils sont majoritairement citadins, nés à Casablanca ou dans sa périphérie en dehors des Ferrachas. Certains ont font leur fierté, parfois avec une tonalité xénophobique. Ils sont fils ou petits fils d'ouvriers, de commerçants. Ils présentent également les traits d'une population très méfiante de l'intervention des autorités locales, assez septique quant à l'élaboration d'une solution acceptable par tous et, enfin, relativement noyautée par des Salafistes.

L'introduction des nouvelles technologies au Maroc a modifié profondément l'image et le rôle de la ''Joutia''. Les services et prestations diverses liées à l'usage du téléphone mobile l'ont promue ''au rang du plus grand centre urbain de service après-vente''. D'un côté, les usagers s'y rendent avec la certitude de trouver une solution à leurs problèmes. D'un autre côté, les opérateurs téléphoniques se frottent les mains compte tenu de leur faible maillage national en services après-vente. L'approvisionnement en téléphones mobiles est impulsé en amont par des accords entre fournisseurs grossistes étrangers et leurs partenaires marocains.

La Chine et les Émirats arabes unis constituent les deux principaux fournisseurs puisqu'ils alimentent le marché à hauteur de 85 % du total. Quelques actifs de la ''Joutia'' se sont installés à Hong- Kong à côté de la plus grande zone industrielle de téléphones mobiles au monde, appelée ''GUAN ZU''. Le deuxième point d'approvisionnement est situé à côté du plus grand centre commercial de Chine à 30 km de Canton. Cet hypermarché de la contrefaçon appelé « NAN FAN DASHA » s'est spécialisé dans la vente de téléphones contrefaits sans marque. De grosses quantités sont chargées dans des containers et acheminés du port de Hong-Kong à Casablanca, via d'Anvers. Dubaï constitue la deuxième zone d'approvisionnement compte tenu de la présence sur son « hinterland » de l'une des plus grandes zones franches du monde appelée « Al Khalidia ». Les marchandises s'acheminent vers le Maroc par fret, via l'aéroport Mohammed V.

Les deux opérateurs téléphoniques nationaux «utilisent» la ''Joutia'' comme un espace d'écoulement de téléphones et de cartes de recharge. Ils sont très réservés quant à son démantèlement qui leur permet, par ailleurs, de garantir un service après-vente à distance sans le moindre coût. Les enclaves espagnoles, et, de manière aléatoire, le marché de « Casa Barata » à Tanger approvisionnent la ''Joutia'' en produits de contrebande, notamment dans le secteur de l'agroalimentaire. Enfin, les Marocains résidant à l'étranger alimentent le site en produits multimédias, dont la téléphonie mobile. En somme, l'analyse des activités de la ''Joutia'' s'avère une démarche complexe. En effet, l'approche classique définit ces activités comme étant informelles, mais en réalité, elles ne sont pas si informelles que ça. L'approche doit être nuancée et modérée. Si une bonne partie d'activités correspond à l'économie non structurée, les activités liées aux multimédias sont bien organisées, structurées et satisfont un besoin réel en certains services.
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