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Humour à la télé et débilité mentale

Abdelkarim Belhaj
Psychosociologue universitaire.

Humour à la télé et débilité mentale
Devant les productions télévisuelles qui sont présentées et diffusées depuis le début de Ramadan, on ne peut que constater un élément central qui en est la marque par excellence, celui du stéréotype du fait humoristique, ou l'humour stéréotypé. L'objet principal de cette stéréotypie en est la débilité mentale comme sujet et ressource pour ces productions. Dès lors, c'est cette association entre l'humour et la débilité mentale qui frappe, d'autant qu'elle dérange et inquiète. Bien que ce n'est pas nouveau dans les écrans de la télévision, mais la perpétuation et le maintien qui marquent cette reproduction prêtent à des questionnements sur les raisons et les motivations.

Notre propos ne porte pas sur des productions ayant pour thèmes la débilité mentale, puisque ce n'est pas le cas, mais plutôt sur la marque qui domine l'animation de ces programmes depuis l'élaboration des scénarios jusqu'à leur représentation, en passant par leur réalisation. Car il y a de quoi se demander le pourquoi de cette tendance à vouloir faire rire, et à n'importe quel prix, en adoptant des attitudes propres aux débiles mentaux... Cependant, deux remarques se posent en tant qu'elles se recoupent autour des questions de la discrimination et de la stigmatisation, bien qu'elles ne se sont pas affichées expressément, à l'égard des personnes qu'on présente dans cette catégorie, à savoir:

-Un manque de considération est enregistré pour les personnes qui sont atteintes de déficience mentale, voire aussi de maladie mentale (folie); et, donc, cette catégorie de la population ne peut être que l'objet de rire et de moquerie, voire sujette à faire distraire autrui.
-Par la force d'une telle représentation stéréotypée, la condition de ces personnes est bafouée tout en les condamnant à s'enfermer dans cette image et en entravant toute possibilité de leur intégration et de l'inscription d'un changement au niveau des représentations sociales et dans les mentalités. Dans ce cadre, n'oublions pas que la télévision reste une puissante machine d'influence psychologique.

Nul besoin de rappeler que les personnes faisant l'objet des représentations stéréotypées relatives à cette thématique de la déficience mentale sont des humains et ont des droits, et principalement le droit à la reconnaissance et à la dignité, pour lesquels des conventions, des accords et des textes de lois recommandent le respect. Pour mémoire, la charte des droits de l'Homme stipule que « toutes les personnes atteintes de troubles mentaux doivent être protégées de toutes formes de discrimination et de tout traitement inhumain». Bien entendu, il y a lieu de noter que la dénomination de débilité mentale n'est pas décrite ici avec une connotation péjorative; mais soulignons, toutefois, que c'est cette connotation qu'on décrypte et qu'on apprend dans ces œuvres. D'ailleurs, ce n'est pas étrange lorsqu'on se rend compte que beaucoup de blagues et d'histoires insolites entretenues dans notre société tournaient autour de personnages décrits comme débiles ou fous, tout en étant modelés et animés dans cet esprit.

Entendons par débilité mentale le retard mental, ou handicap mental, qui est une déficience des facultés mentales et intellectuelles, tout en se manifestant au niveau du comportement. Cet handicap peut être associé à des postures physiques (malformations) comme il peut être inhérent (facteur des inadaptations de toutes sortes). En tout état de cause, il s'agit d'un retard mental et qui est plus un retard de la personne par rapport à la normale. Mais pourquoi veut-on nous faire rire, voire nous rendre joyeux et rassasié, avec de telles représentations ?
Le dicton : « Le malheur des uns fait le bonheur des autres » peut bien s'appliquer dans ce cas de figure, lorsque certains se permettent le luxe de produire un spectacle présentant un personnage caractérisé par la débilité mentale, car c'est rentable et c'est monnaie courante. Car à aucun moment on ne pense au malheur des personnes qui sont l'objet de ce type de spectacle.

Si l'humour est par définition cette « forme d'esprit qui s'attache à souligner le caractère comique, ridicule, absurde ou insolite de certains aspects de la réalité », il est notable que la tendance, depuis quelques temps, inscrit la marque de cet esprit dans les sitcoms de production locale. Ainsi, à partir d'une observation avertie, on se rend compte que l'esprit généré par l'humour est employé dans une optique railleuse jusqu'à tourner en dérision, voire ridiculiser les personnes qui sont porteurs de cet handicap par des drôleries qui ne sont perçues que sur le compte de leurs auteurs. Par ailleurs, bien que l'humour est inhérent au comique, tout en participant à rendre palpable « ce qui est propre à faire rire » à travers différentes œuvres et animations, il n'en demeure pas moins que la gestion de cet humour et le comique qui en découle sont opérés avec une amère déconvenue.

Des scénarios et des discours paraissant confinés dans des logiques de facétie et d'espièglerie, en faisant disparaitre les qualités artistiques et esthétiques qui sont la marque du genre. Les scènes exposent des situations dans lesquelles les personnages paraissent en tant que pitreries s'efforçant à faire rire par une représentation animée par des gestes, des grimaces, un mode de présentation et des manières d'agir rassemblés dans le lot du délire, du surréalisme et en contraste avec la réalité, non seulement la réalité des gens normaux, mais aussi de celle des personnes atteintes de déficiences mentales.

En fait, les séries usent de toutes les faveurs de la dramaturgie et de l'art du spectacle pour présenter des personnages dénués de raison, c'est l'image du «bouffon ou le fou du roi dans une cour », ou le personnage clownesque cher aux enfants, bien qu'il demeure quasi absent dans notre culture. En outre, des acteurs qui n'ont de repères ou de références pour promouvoir les personnages qu'ils représentent ou les rôles qu'ils jouent dans le cadre de la misère humaine. A la longue, on constate que ce sont toujours les mêmes clichés qui caractérisent les séries, et particulièrement les sitcoms, dans la représentation d'une histoire à travers les personnages sur lesquels sont distribués les rôles. Si ce n'est pas l'ensemble, il y a au moins un ''débile du service''. Les acteurs et tout le staff qui travaillent ces œuvres sont complices lorsqu'ils participent à leurs réalisations, et à l'occasion, le public devient complice en applaudissant le spectacle et contribue à l'entretien de cette image stéréotypée du personnage qui fait rire. Il y a même certains protagonistes qui se sont spécialisés dans la diffusion de cette image du débile mentale, et même ils en ont constitué un ''fonds de commerce''.

Le profil présenté est celui d'un attardé qui ne ménage pas d'efforts pour manifester ses écarts et ses carences dans ses actions et sa naïveté. Alors que dans la réalité, la vie a voulu que le développement psychologique et mental des personnes qui en sont sujet accuse un défaut cognitif et adaptatif. Il faut dire, aussi, que la télévision en tant que vecteur de diffusion de différents spectacles et de programmes d'animation, notamment à l'occasion de ce mois de Ramadan, se transforme en une boite à représentation de la dérision pathologique, d'une caricature déplacée avec toute la parodie qu'elle comporte, ainsi qu'à la distribution d'un humour frustrant et indigeste. Ainsi, on s'étonne pourquoi les Marocains désertent les productions nationales et les chaînes locales. S'est-on posé des questions à propos des attentes de ce public en matière de spectacles et d'émissions relatifs à la comédie et à l'humour? Car les protagonistes en question sont appelés à améliorer leurs prestations et les produits proposés au public en travaillant à créer et inventer, tout en se dépassant la logique de la reproduction et de la banalisation. Des scènes saupoudrées d'enfantillage et de naïveté crédule, à se demander si leurs destinataires sont bien les enfants, et non pas tous les enfants, mais ceux en bas âge à l'état immature, puisqu'il paraît que ces derniers trouvent satisfaction et plaisir.

Les tenants de ces fictions ne veulent pas comprendre que les temps sont révolus et qu'avec des représentations de cette nature, ils ne font qu'attiser les critiques dépréciatives plus que toute autre chose. Car il ne faut pas négliger, aussi, le fait qu'une bonne partie du public des téléspectateurs, notamment la nouvelle génération, qui considère ces fantaisies comme une atteinte à leur intelligence.
Pourquoi cette tendance à utiliser comme source de moquerie le cliché et le stéréotype de la débilité mentale jusqu'à en faire une stigmatisation?
S'agit-il d'un déficit ou d'une faillite au niveau de la création et d'un manque d'imagination chez les scénaristes et réalisateurs ? Car il y a bien de quoi se demander à quoi rime cette tendance à cantonner les séries télévisuelles, les sitcoms, les sketches, même quelques spots publicitaires et certaines pièces théâtrales dans le stéréotype de la déficience mentale. Est-ce que l'art du comique et de l'humour n'arrive pas à trouver ses marques et son identité, ou alors c'est bien sa propre réalité qui est représentée ? Un art qui paraît ne pouvoir exister qu'on se nourrissant des stéréotypes et de la misère humaine. Enfin, dans une perspective de donner un sens à cet art dans le domaine du spectacle et afin d'apposer plus d'options et de variabilité dans les pratiques, n'est-il pas opportun pour les professionnels du genre de chercher à puiser dans des répertoires autres que la débilité mentale et le patrimoine ou us traditionnels, d'autant que le quotidien des Marocains regorge de choix.

Aussi, la performance et la compétence doivent être sujettes à réexamen par les professionnels en vue de donner une nouvelle relance pour cet art et lui constituer un public. Car dans ce domaine, ce sont les styles qui doivent l'emporter sur les personnes. Dans la présente appréciation, il n'est pas ''question de généralisation'' sur toutes les productions, car des exceptions existent qui sont remarquables et faisant preuve d'une certaine élégance artistique, mais qui s'effacent devant le flot des fictions et la cadence de leur diffusion, notamment lorsque l'effet majeur qui marque les esprits est la débilité mentale. Dira-t-on, ce n'est que de la fiction et il n'y a pas de quoi faire toute une histoire. Mais c'est justement là ou réside le problème.
Car en effet, c'est bien une histoire qui se répète, particulièrement pendant le Ramadan, étant l'occasion durant laquelle les chaînes de télévision diffusent de nouveaux programmes et se préoccupent du divertissement des téléspectateurs.
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