Menu
Search
Vendredi 26 Avril 2024
S'abonner
close
Vendredi 26 Avril 2024
Menu
Search
Accueil next Fête du Trône 2006

La Méditerranée dans le dialogue des cultures : un mythe contemporain

Abdejlil Lahjomri
Rives méditerranéenne

La Méditerranée dans le dialogue des cultures : un mythe contemporain
Plus les tensions s'exaspèrent, plus l'on parle de dialogue, plus la violence s'installe comme une constante de nos vies quotidiennes, plus l'on parle de rapprochement des Etats, plus les crises entre nations, s'intensifient, plus l'on parle de compréhension entre les peuples, d'alliance des civilisations, de convergences, de confluences, plus les désordres inquiètent et préfigurent nos avenirs, plus l'on parle d'union, de compréhension et d'espérance.

Mohamed Arkoun présente ce constat ainsi :' Plus les peuples riverains et les communautés juxtaposées et souvent querelleuses dans les mêmes espaces sociaux et politiques livrent des guerres implacables et perpétuent des exclusions réciproques, plus historiens, géographes, anthropologues, politiciens, gestionnaires des religions s'obstinent à prêcher un dialogue interreligieux, interculturel, interétatique qui ne parvient pas à se nouer de façon durable et productive ' ;Ce constat concerne plus particulièrement, plus intensément cette région du monde qui nous intéresse aujourd'hui, La Méditerranée dans sa singularité et sa profondeur, parce qu'elle est comme le dit Valéry, 'une mécanique à faire des civilisations ' comme l'affirme E. Morin notre MER MERE, ou comme l'écrit Joseph Maila 'une étonnante civilisation qui, au fur et à mesure de son déploiement, balisa les trajectoires de notre culture, fixant l'un après l'autre les repères majeurs de notre histoire et faisant de nous les dépositaires d'un héritage ou l'alphabet fut phénicien, le concept grec, le droit romain, le monothéisme sémite, l'ingéniosité punique, la munificence byzantine, la science arabe, la puissance ottomane, la coexistence andalouse, la sensibilité italienne, l'aventure catalane, la liberté française et l'éternité égyptienne' Comment se fait-il que cette Méditerranée "petit rectangle bleu presque imperceptible sur la mappemonde" qui est à l'origine de la pensée philosophique et comme l'affirme S. STETIE a été capable de créer notre pouvoir d'inspiration et de spéculation spirituelles, d'essaimer la raison et la foi dans le reste du monde :( ' Je suis de ceux, dit-il, qui croient fermement que partout.... ou l'on parle aujourd'hui de Mahomet, de Jésus, de Moise, ainsi que par ailleurs de Démocrite, d'Empédocle, de Socrate, de Platon ou d'Aristote, d'Ibn Arabi, d'Ibn Rochd ou de Maimonide on est toujours en Méditerranée : cela fait beaucoup de taches bleues sur le planisphère '), comment se fait il que ce petit rectangle bleu de profondeur et de singularité autorise l'observateur à affirmer que là plus qu'ailleurs le dialogue des cultures et des religions, l'alliance des civilisations est aujourd'hui utopie et mythe
. Régis Debray pense ce dialogue des cultures aussi comme un nouveau mythe contemporain ' Quand la chose manque, c'est le mot qu'il faut mettre, écrit-il. Devra-t-on considérer demain la 'théologie civile du dialogue ' comme l'opium des élites '?

Mais peut-être que cette utopie est porteuse d'espoir comme elles le sont toutes, et peut-être que ce mythe l'est dans le sens de ces représentations qui font bouger les certitudes et annoncent des temps plus cléments, sereinement féconds. Peut-être que cette utopie et ce mythe ne sont pas comme ces rêves qui s'évanouissent comme les senteurs, les parfums et les couleurs des rives méditerranéennes, escarpées, arides, s'évanouissent chassés par les coups infatigables de l'agression démente des spéculateurs, des touristes et des promoteurs.

Une utopie et un mythe des temps nouveaux. Utopie créatrice, comme le pensait déjà J. Berque Mythe dont le mérite serait de freiner la dérive actuelle, des êtres, des nations, des états et des peuples vers plus de violentes incompréhensions, de tragiques ignorances, d'insoutenables exclusions, dont le mérite serait d'annoncer et de faire éclore de nouvelles ANADLOUSIES.

Que nous disent les Méditerranéens convaincus, ? Ils disent tous comme Pedrag Matvetjevitc que si 'l'Atlantique reste une mer de distances, la Méditerranée est de voisinage et que' la Méditerranée n'est pas seulement une géographie mais un destin. Le notre à chaque vague recommencée ' Destin menacé. Si le dialogue n'arrive pas encore à se nouer, les menaces de conflit et de déflagration, elles, sont là bien réelles qui nous concernent tous parce qu'aussi imminentes et aussi imprévisibles dans leur déclenchements que le sont les tempêtes méditerranéennes.

La Méditerranée, elle' nous dit, qu'elle est un paradoxe. ' Réalité géographique et stratégique ' selon E Morin mais aussi selon lui 'Réalité poétique et mythologique ' IL me semble à la lecture des professions de foi de tous les adeptes de la Méditerranéité que la réalité géographique et stratégique est la réalité de la diversité, des conflits, des guerres, des oppositions, des tensions, des exclusions. Celle qui comme le dit E Morin : ' concentre en elle de façon virulente l'affrontement de tout ce qui s'oppose dans la planète : Orient et Occident, Nord et Sud, Islam et christianisme, laïcité et religion, fondamentalisme et modernisme, richesse et pauvreté ' Il me semble aussi que la 'réalité poétique et mythologique ' est la réalité d'un désir d'unité,, 'une Méditerranée unie mais virtuelle dans cette unité', un rêve de Méditerranée ' une espérance de l''échange, un vœu de convergence, un pont possible entre les disparités, une aspiration à une commune destinée. surtout la conviction des hommes de cette mer qu'ils sont habités par l' urgence d'une reposante synthèse.

Ce paradoxe de la diversité et de l'unité est un élément constitutif du concept de méditerranéité, si l'on reconnait à ce concept une réalité tangible, si l'on admet l'existence d'une identité méditerranéenne dans un espace ou en fait cohabitent plusieurs méditerranées, espace autrefois immense pour les marins de l'ODYSSEE ou pour SINDIBAD des Mille et une nuits aujourd'hui bien rétréci pour les marchands et les gestionnaires du profit. , pressés et présomptueux
Vouloir initier un dialogue dans cet espace rétréci, c'est d'abord penser ce paradoxe ; penser les méditerranées plutôt que la méditerranée, la diversité plutôt que l'unité, les oppositions meurtrières plutôt que les convergences virtuelles, les exclusions redoutables plutôt que les unions sans avenir.
Pedrag Matvejevic nous y invite avec une lucidité convaincante : 'Tout a été dit sur cette 'mer première ', sur son unité et sa division, son homogénéité et sa disparité. Nous savons depuis longtemps qu'elle n'est ni une 'réalité en soi ' ni 'une constante'. L'ensemble méditerranéen est composé de plusieurs sous_ ensembles qui défient ou réfutent les idées unificatrices La tendance à confondre la réalité avec cette réalité même se perpétue.

L'image de la Méditerranée et la Méditerranée elle même ne s'identifient point. En somme la réalité géographique et stratégique, hier et maintenant n'a rien à voir avec la réalité poétique et mythologique d'hier et d'aujourd'hui et la diversité n'a pas encore accouché ou n'a pas pu accoucher des conditions d'une dynamique agissante et unificatrice. Si historiquement comme on le rappelait avec J Maila il y eut synthèse à un moment donné du parcours chaotique de cette mer première, l'image en est aujourd'hui fracassée, fragmentée et selon la parole si pessimiste mais si juste de Pedrag Matvejevic ' les fragmentations l'emportent sur les convergences ' Il ne reste plus dans nos mémoires tatouées qu'une nostalgie de synthèse et dans nos aspirations qu'un idéal insatisfait de confluence
C'est toujours Pedrag Matvejevic, incontournable qui nous le fait remarquer :'les rives de la méditerranée n'ont en commun de nos jours que leur insatisfaction '
Cette insatisfaction est la conséquence de la défaite du politique.
L'histoire nous enseigne que le seul moment de l'histoire où la Méditerranée connut une union politique fut cette unions réalisée sous l'empire romain.

'Pax Romana' qui donna naissance à cette appellation maintenant célèbre 'Marea Nostrum', si juste en ces temps là, si impropre en notre temps. Mais ce rappel historique est fait pour l'anecdote. Il n'est pas nécessaire dans une si brève intervention de faire un survol historique pour mesurer le poids des conflits, des tragédies, des guerres qui ont nourri le parcours historique de cette mer depuis la fin de l'empire romain. Les manuels d'histoire nous enseignent la permanence de la désunion, du désordre, des crises, des malheurs de cette mer que les habitants de ces rivages ensanglantés ne pourront plus nommer Marea Nostrum. Il nous suffit de rappeler avec Samia Elmachat que “les fractures héritées de l'histoire, les jeux des grandes puissances, l'enchevètrement des ethnies et des religions, les profondes disparités économiques, les déséquilibres démographiques, les évolutions internes désastreuses des Etats du sud-méditerranéens placent, la mère des civilisations et des mondes au coeur des conflits et des tensions géopolitiques les plus fortes”.De cela elle est héritière des errements du siècle dernier que deux guerres mondiales ont calciné et qui nous ont légué un champs clos méditerranéen ou les hégémonies de toutes sortes peuplent nos attentes de craintes et nous font appréhender des errements nouveaux qui attisent et entretiennent sur les rives tumultueuses des foyers de déflagrations futures.

C'est pourquoi, ni le dialogue dit dialogue 5+5, ni le processus dit processus de Barcelone ou encore partenariat Euromed, ni la politique européenne de voisinage dite PEV ni la nouvelle Union pour la Méditerranée aux motivations si ambigues, si opaques, suspectes pour ne citer que ceux-là n'ont pu donner au politique les atouts pour faire de ce lac si rétréci, de ce petit rectangle bleu, un lac de paix, de prospérité, un petit rectangle d'espérance et de stabilité dans un univers dérangé, pour en faire une mosaique colorée dont l'unité fera de sa sereine beauté un gage d'éternité.

ILs n'ont réussi à en faire qu'une' mer blanche' pour emprunter l'appellation que la langue arabe consacre à cet espace et qui comme nous le dit justement l'analyste ne renvoie en général à aucun concept ni de diversité, ni d'unité. Dans le contexte géopolitique actuel elle est une nouvelle page blanche ou sont en train de s'écrire les nouvelles myopies, les nouvelles défaites de la pensée et des imaginaires du politique Pourquoi ?
Parce qu'i y a eu Gaza, et Gaza nous a ramené au siècle des chocs meurtriers des civilisations, de la théologie mensongère des dialogues improbables, parce que tout simplement le droit de violence qui est permis aux uns, encouragé ou toléré pour eux n'est pas envisageable pour les autres, et reste du domaine de l'impensé, de l'inacceptable, de l'insupportable.

Pour clore ce passage sur la défaite du politique, j'aimerais vous soumettre cette réflexion de Bichara Khader qui justifie cette impasse du dialogue et fait de toutes ces tentatives, des tentatives vaines et inutiles, tentatives qui continueront à laisser se déverser dans les eaux bleues de ce beau petit rectangle devant le regard médusé et impuissant des riverains le sang des innocents de tous bords, de toute culture, de toute religion.

Pour réaliser l'union européenne, cet auteur constate que le politique a procédé ainsi :' il y a eu d'abord réconciliation, normalisation, reconnaissance de l'intangibilité des frontières et ensuite un projet d'intégration régionale. OR ce que l'Europe exige des Arabes pour la réalisation de la paix est la démarche inverse, on coopère avec Israel avant la réconciliation et donc avant la fin de l'occupation ‘
Cette citation concerne l' un des conflits politiques, le conflit majeur dans cette Méditerranée, nous éviterons de parler d' autres questions tout aussi redoutables les antagonismes et les belligérances qui déchirent les Balkans, le Liban, Le Maghreb mais aussi la montée des intégrismes, du terrorisme, l' instabilité chronique, l' Europe ouverte contre l' Europe forteresse, la dégradation de l'environnement, la pollution, les bombes écologiques sur toutes les rives, les mouvements démographiques, migratoires, les cadavres échouant sur la rive nord. Le constat est amer qui fait que les échecs successifs des différentes initiatives dont la plus prometteuse était le processus de Barcelone, la plus problématique l'Union pour la Méditerranée donnent raison à tous ceux qui dans leur scepticisme doutent de l'existence d'une identité méditerranéenne, d'une méditerranéité, qui transcenderait les conflits, apaiserait les guerres et ferait de la blancheur de cette mer, la couleur d'une paix enfin réalisée qu'aucune agression suspecte ne hanterait plus.

Tous ces processus politiques de la diversité vers l'union, de la pluralité vers l'alliance dans leurs projets d'aménagements stériles ont si peu investi le domaine du culturel que des voix concordantes tout autour de cette mer bien agitée se sont levées, certaines pour s'interroger :' la culture sauvera_-t-_elle la Méditerranée ? ‘ d'autres pour affirmer que, certes la culture, fera le salut de cette mer qui semble à terme condamnée S. Stetie a beau s'écrier ‘Non, la Méditerranée n'est pas morte et le poids de ses cultures contrastées ne l'a pas tuée' l'échec du politique ne laisse présager aucune renaissance dans la reconnaissance. Renaissance dans la reconnaissance qui serait la conséquence heureuse des effets conjugués d'une réflexion mobilisatrice de nouvelles approches de la mémoire et de l'histoire partagées et d'actions culturelles fondatrices d'une philosophie de l'altérité qui penserait les fractures, les frontières, les divergences plus que les convergences, les malheurs plus que les heurts.

Des actions louables, nécessaires, indispensables, sont entreprises par des personnes ou des institutions. Il serait vain de les énumérer. L'archivage est bon pour la mémoire partagée, bon pour l'affirmation d'une identité méditerranéenne ; rassurant comme l'est le projet Qantara que pilote l'Institut du Monde Arabe. Indispensable comme le dit Marco Césario pour ‘ recenser le patrimoine méditerranéen et les fonds artistiques des deux rives en mettant en lumière tous les éléments communs susceptibles de rapprocher des populations très souvent ancrées dans leurs particularismes' Cet archivage montrera que la Basilique de Sainte Sophie de Constantinople, édifiée par l'empereur Justinien fut transformée en mosquée lors de la prise de la ville par les Ottomans en 1453. que par exemple le Dôme du Rocher d'Al-Qods construit en 691 par le calife Omeyade Abdelmalik a conservé le plan et les proportions originaux inspirés d'édifices chrétiens. Il montrera aussi que l'église de San Giovanni à Palerme, construite vers le VIe siècle transformée en mosquée pendant la présence arabe est redevenue église après l'arrivée des Normands.

Et cet archivage salutaire rassurera les Méditerranéens en leur suggérant qu'un ‘air de famille' les réunit, les rapproche. Un air de famille que les poètes évoquent souvent quand ils chantent le soleil, le bleu de la mer, la présence millénaire de l'olivier, le gout ineffable de l'huile, les danses, les veillées, quand ils inventent les épopées, les légendes, les tragédies, les fables et les contes qu'ils se transmettent les nuits froides de l'hiver, ou sous les tentes incandescentes des caravanes trouant les déserts infinis des espaces africains ou arabiques. Soit, mais les archivistes compilent, les poètes égrènent leurs mélodies, ‘l'air de famille ‘ n'en reste pas moins un air plein de ressentiment comme dans ces familles qui se haissent mais ne se ressemblent pas moins dans leur haine.

Si une identité méditerranéenne un jour émerge de ce lac incandescent c'est parce qu'enfin quelque part une politique culturelle saura inventer une pédagogie de l'altérité qui briserait le carcan des représentations erronées et des stéréotypes humiliants. On affirme la Méditerranée espace de métissage mais ce métissage qui est moi dans l'autre et l'autre en moi ne m'a pas appris le ‘soi meme comme un autre' de Paul Ricoeur. L'autre reste l'étranger que je crains et ce métissage n'a jamais pu exorciser les peurs de l'autre qui sont en nous et qui parcourent et traversent tout l'espace méditerranéen.

Les archivistes peuvent archiver, les poètes clamer leur vers et leur chants, le méditerranéen convaincu tenter de nous convaincre que' l'air de famille' nous réunit et nous réunira toujours, si les historien ne procèdent pas à une déconstruction des représentations collectives que nous nous faisons les uns des autres, l'occidental de l'oriental, l'européen de l'africain, le riche du pauvre, le musulman du chrétien ou du juif, le juif de tous les autres, l'imaginaire collectif qui s'est forgé au cours de ces siècles de heurts, d'affrontements, partout autour de la Méditerranée, qui fait de moi l'ennemi de l'autre et de mon altérité une menace permanente, la mémoire que nous partageons restera peuplée d'incompréhensions, de rejets, de haines, d'exclusions et de méprises.
Avant toute tentative de dialogue c'est à une désinfection de la conscience collective qu'il faut procéder afin que débarrassée des stéréotypes et des mythes ravageurs, elle puisse permettre cette grande régénération morale qu'appelait pathétiquement EDGAR MORIN dans un article d' aout 95 et qui ferait de l'utopie du dialogue une utopie opérante et positive.

Echec du politique, échec du culturel, que nous reste -t- il pour qu'enfin une pédagogie de l'Altérité puisse débarrasser la conscience méditerranéenne des pollutions que des strates de dérives de la pensée ont ancré en elle ; et extirper l'extrémisme des incompréhensions, fonder une nouvelle Méditerranée de la concorde.
Il faudra dit Edgar Morin ‘ Méditerranéiser la pensée' et dit Mohamed Arkoun “scruter l'histoire des systèmes de pensée et des représentations qui ont façonné les croyances, les connaissances et les cultures de l'espace historique et anthropologique méditerranéen”.

Cette tâche là est colossale. Mais la Méditerranée a bien été le berceau de la philosophie, des philosophies. Serait elle capable de le redevenir et de procéder à cette reméditerranéisation de la pensée que E.Morin présente ainsi :'il faut une pensée qui ne soit pas linéaire, qui saisisse à la fois complémentarités et antagonismes “Une pensée qui arrive à concevoir l'insoutenable complexité du monde” Un des paramètres essentiels de cette complexité est ce que j'ai mis sous les vocables de philosophie de l'altérité, pédagogie de l'altérité en insistant sur la conviction que tout dialogue restera improbable, incertain, si les imaginaires croisés continuent à faire que les identités demeurent' des identités meurtrières.
L'autre n'est plus lointain, cantonné dans des colonies rentables et exotiques. Il est là partie intégrante de mon identité, la transformant telle qu' en elle même enfin devenue autre, devenue moi Occident C'est le cas de l'Islam en Europe mais parce que ma pensée moi Occident est restée linéaire, prisonnière des dogmatismes d'hier, je n'ai pas pris conscience que je suis devenu l'Orient de moi-même.

Pour que cette prise de conscience de la complexe altérité qui est en moi puisse s'opérer il faudra que la Méditerranée redevienne le berceau qui accueillerait une autre raison que celle qui justement a guidé le monde vers une telle absence d'imagination créatrice.
M. Arkoun, lui appelle pour cela à une refondation de la conscience historique, qui éviterait les omissions volontaires ou inconscientes, les travestissements ; les constructions mytho-historiques qui justifient les guerres, les invasions, et les stratégies d'expansion, de domination, d'exploitation que connait l'aire méditerranéenne.

Il résume ainsi les lacunes du processus de Barcelone :“on ne peut pas dire que des changements significatifs portant sur la rigidité systémique des représentations de soi et de l'Autre soient apparues depuis que les rencontres euro-méditerranéennes ont été inaugurées à Barcelone en 1995 ” et il s'interroge sur les conditions de l'émergence d'une raison “englobante” qui s'intéresserait à l'histoire comparée des systèmes de pensée théologique et philosophique de l'espace méditerranéen. Il propose dans un livre à paraitre pour que la Méditerranée redevienne le berceau de la philosophie qu'elle aurait toujours dû rester, et pour qu'elle invente cette philosophie de l'altérité le projet ambitieux d'un tronc commun éducatif aux pays riverains de cette mer.

Il nous propose là une autre utopie contemporaine. Mais après tout pourquoi pas ?
Vous remarquez que je n'ai pas cité Fernand Braudel non parce que Bichara Khader s'est demandé pourquoi l'on se sentait toujours obligé dans des discours et conférences sur la Méditerranée de le faire, mais parce que je voulais conclure en affirmant que si lui Fernand Braudel avait dit à propos de cette mer dont il a parlé mieux que quiconque ‘avoir être c'est une condition pour être' il me parait que pour qu'elle continue à être, la Méditerranée devrait devenir une autre elle-même.
Lisez nos e-Papers