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Le concept «gouvernance» : quelle évolution ?

Par Abdelghafour Salka
Chercheur

Le concept «gouvernance» : quelle évolution ?
Utilisé dans plusieurs disciplines, le mot « gouvernance » revêt de multiples significations et se prête à de multiples usages. Son évolution s'est faite progressivement du domaine de l'entreprise privée vers la sphère politique (transformation des formes de l'action publique et de la relation entre l'Etat, le marché et la société civile). Dans la littérature et dans ses formes, l'intérêt de la gouvernance a augmenté simultanément avec la mondialisation et les préoccupations de développement durable. Les spécialistes en sciences sociales arrivent petit à petit à réorienter le concept de gouvernance à la marge du modèle néoclassique qui a développé le concept.

Désignant en 1471 en Angleterre le régime politique, (Georges Cavalier, 1996) puis en 1478 (pour le Robert), la « juridiction de certaines villes françaises sous la domination des Pays-Bas », le mot gouvernance est réapparu en 1937, dans un article « The nature of firm » de Ronald Coase qui donna un fondement économique au développement de la grande entreprise observable empiriquement aux Etats-Unis dans les années 20 et 30. Selon cet auteur, le système économique fonctionne « automatiquement, sans contrôle central, grâce au système des prix ». Les prix ne permettant pas d'agir en toute circonstance et que la coordination par le marché entraînant des coûts de transaction, la firme par ses coordinations internes permet de réduire les coûts de transaction du marché.

« Les procédés par lesquels la firme s'organise pour parvenir à cette action plus efficace s'appellent la gouvernance », souligne Dominique Lorrain dans les Annales de la recherche urbaine
Ces idées ont par la suite été développées dans les années 70 par Olivier Williamson qui y contribue largement. Selon ce chercheur, « les échanges (ou transactions) peuvent s'organiser selon deux voies : le marché ou les organisations ». Le marché pour être efficace doit répondre à une condition d'atomicité; c'est donc une forme organisationnelle fragmentée. Cette complexité des échanges entraîne des coûts. Les choix sont arbitrés par les prix. La grande firme intégrée s'impose historiquement comme un moyen pour réduire ces coûts de transaction. « La gouvernance, selon les analyses de Coase et Williamson, désigne les dispositifs mis en œuvre par la firme pour mener des coordinations efficaces » en vue de réduire les coûts de transaction que génèrent le marché (corporate governance ou gouvernement des entreprises). Ces coordinations relèvent de « deux registres » : d'abord des « protocoles internes lorsque la firme est intégrée (les hiérarchies) et des contrats, applications de normes lorsqu'elle s'ouvre à des sous-traitants », selon Dominique Lorrain . En 1979, les spécialistes en sciences politiques développent le concept «urban governance » sous l'égide du gouvernement Thatcher qui décida d'engager une large réforme du gouvernement local en privatisant et en renforçant la centralisation. Le concept ''gouvernance urbaine'' apparaît alors comme l'opposé du gouvernement local décentralisé.

Ce n'est qu'à la fin des années 80 que la notion ''bonne gouvernance'' apparaît dans le champ des relations internationales. Les institutions internationales (FMI, Banque mondiale, …) vulgarisent l'expression « good governance » pour définir et préciser les critères d'une bonne administration publique applicables à des pays fortement incités à mettre en place des réformes institutionnelles utiles à la réussite de leurs programmes économiques. Ces évolutions ont donné lieu au début des années 90 à la création de la Commission sur la gouvernance mondiale suite à la Conférence de Rio. Dans les années 90, les politiques de décentralisation, les exigences de démocratie et de développement local ont placé la gouvernance locale au centre des processus de prise de décision. En 1997, et suite à la crise asiatique, la BIRD reconnaît que le marché ne peut assurer une allocation optimale des ressources et réguler les effets pervers de la globalisation d'où l'importance « de définir un corps de valeurs universelles qui inspirerait les bonnes pratiques tant au monde des affaires qu'aux gouvernements et aux organisations chargées de la régulation de la mondialisation».

Au début des années 2000, on assiste à un renouveau de la « corporate governance » avec les faillites de ENRON, WorldCom, Vivandi, etc. Ces faillites ont eu des conséquences socio-économiques et financières graves et ont été à l'origine de la promulgation de nouvelles lois et règles comptables afin de mieux encadrer dirigeants et auditeurs et d'assurer une meilleure transparence des comptes comme la loi Sarbanes Oxley, les nouvelles règles comptables IAS/IFRS. Ces faillites sont l'expression de l'échec d'un système de régulation interne, c'est-à-dire de la structure du pouvoir au sein de l'entreprise qui renvoie à une nécessaire séparation entre les fonctions de décision, de gestion et de contrôle.
Les années 2000 ont été aussi marquées par un regain d'importance en faveur de la gouvernance locale avec les théories du bien commun (bien public). Ces théories ont fait surface suite notamment aux effets de la mondialisation et aux préoccupations de développement durable.

Globalement, ces dernières années sont marquées par un renouveau du concept gouvernance dû principalement aux défis de la globalisation de l'économie, les nouvelles attentes des marchés de capitaux à travers le monde, les scandales financiers et les menaces qui ont ébranlé le monde économique.
Ces facteurs ont fait des soucis de bonne gouvernance une priorité absolue pour les régulateurs mondiaux et locaux.
Cette renaissance qui concerne aussi bien le secteur public que privé et est au coeur des débats actuels sur la gouvernance.
Au niveau public, les formes traditionnelles de gouvernance et d'exercice de la démocratie sont en cause un peu partout dans le monde et c'est l'action publique étatique qui est la plus directement en crise, comme l'atteste partout le mouvement simultané de décentralisation et de construction de régions dans le monde. Cette crise touche à la fois les modes d'action et les échelles auxquelles s'exerce l'action publique.

Au niveau privé, des réflexions renvoient à la nécessité d'intégrer les relations sociales (conflits sociaux) de l'entreprise à l'ordre du jour des conseils d'administration. D'autres mettent l'accent sur la nécessité de remettre en cause les personnes dépassées par cette mutation des entreprises imposée par ce contexte « post globalisation » de crises économique, sociale et culturelle.
Bref, les réflexions convergent toutes vers la création d'un cadre propice et dynamique qui régule les interdépendances entre les acteurs dans la perspective de mieux appréhender le réel pour bien agir dans l'intérêt des différentes parties prenantes.
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