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Réglementation de la profession comptable : Quels enjeux pour l'économie nationale ?

Salah GRINE
Expert-comptable Membre du Conseil régional de Rabat et Nord De l'Ordre des experts- comptables du Maroc

Réglementation de la profession comptable : Quels enjeux pour l'économie nationale ?
La commission des finances de la première chambre du Parlement est appelée, durant la prochaine session d'automne, à se pencher sur le projet de loi n° 22-08 portant réglementation de la profession de comptable agréé et instituant un ordre des comptables agréés. A en juger par la controverse qu'il a soulevée, le projet en question ne semble pas faire l'unanimité auprès des différents acteurs de la profession comptable au Maroc. Les comptables qui n'ont le statut ni d'expert comptable, ni de comptable agréé viennent de constituer leur syndicat pour se préparer «à mener bataille pour ses propositions d'amendements du projet de loi». Concernant les comptables agréés, même s'ils sont les initiateurs du projet de loi, il semble qu'ils aient eux aussi le désir d'y apporter quelques amendements.

Les experts comptables, quant à eux, tout en réitérant, dans un communiqué de presse, «leur adhésion à la volonté des pouvoirs publics de réglementation de la profession comptable», n'en ont pas moins fait connaître «leurs réserves sur le modèle choisi, les niveaux d'accès et les multiples incohérences et ambiguïtés du texte proposé », affirmant «que l'adoption du projet en l'état aboutira à terme à tirer toute la profession comptable vers le bas», tout en invitant «les pouvoirs publics à initier d'urgence un débat national, sur la base d'une étude sectorielle, incluant toutes les parties concernées, afin d'élaborer une vision stratégique cohérente de la profession comptable, conforme aux besoins de l'économie nationale». C'est dire que cette question de la réglementation de la profession comptable au Maroc a grand besoin que l'on prenne le temps de la réflexion et du débat, étant donné les enjeux qu'elle représente non seulement pour les différents protagonistes, mais surtout pour l'économie nationale.

Le professionnel comptable, un acteur essentiel de la compétitivité et du développement pérenne de nos PME
Tout le monde s'accorde à dire que nos PME sont sous-encadrées, souvent parce que sous-capitalisées ou ne dégageant pas suffisamment de rentabilité pour pourvoir à leurs besoins en compétences. Mais ce sous-encadrement trouve également son origine, pour quantité de ces PME, au Maroc comme ailleurs, dans la difficulté à occuper à plein temps un directeur administratif et financier, un comptable, … et encore moins un juriste.
De par sa formation pluridisciplinaire (comptable, financière, fiscale, juridique, …), l'expert-comptable (1) est souvent le meilleur compromis dans l'équation coût/rentabilité, ce qui en fait, dans nombre de ces PME, comme le souligne William Nahum, ancien Président du conseil supérieur de l'Ordre des experts comptables en France, «le conseiller privilégié du chef d'entreprise, depuis la genèse du projet de création de l'entreprise jusqu'à sa transmission, comme peut l'être le médecin généraliste pour une famille. Cette simple comparaison démontre, s'il en était besoin, que l'expert-comptable et ses collaborateurs vont bien au-delà de la problématique comptable».

En effet, si la relation avec un expert-comptable est généralement établie pour les besoins d'établissement des comptes et des déclarations sociales et fiscales de l'entreprise, elle s'étend rapidement, dans la quasi-majorité des cas, à une mission de conseil global du chef d'entreprise dans pratiquement tous les domaines, de la tenue des comptes jusqu'au positionnement stratégique de l'entreprise ; une mission qui requiert, sans conteste, des compétences non seulement de haut niveau, mais surtout constamment mises à jour, le devenir de l'entreprise pouvant, des fois, en dépendre. Dans une PME, le chef d'entreprise est, pour les raisons évoquées précédemment, souvent seul à prendre d'importantes décisions pour lesquelles il ne peut s'appuyer, dans la majeure partie des cas, que sur son expert-comptable. En dehors de la certification des comptes (audit contractuel et commissariat aux comptes), dont il a le monopole et qu'il ne peut exercer que pour le compte d'entreprises dont il n'est pas le conseiller, la mission classique et la plus connue de l'expert-comptable est la tenue et la supervision des comptes de l'entreprise et l'établissement de ses déclarations fiscales et sociales.

En déchargeant l'entreprise, celle-ci peut focaliser son énergie sur le développement de ses activités et sa rentabilité. Mais l'apport de l'expert-comptable va au-delà. Par la veille qu'il assure sur les plans comptable, administratif, financier, fiscal et juridique, l'expert-comptable apporte à l'entreprise la sécurité nécessaire à sa bonne marche et à sa pérennisation. Des enseignements qu'il peut tirer de l'observation de son fonctionnement, l'expert-comptable peut alerter sur tout risque de dérapage, voire de défaillance de l'entreprise.

Par les outils que l'expert-comptable peut mettre à sa disposition et le conseil qu'il peut lui apporter, l'entreprise peut éviter de se trouver mise à mal par une croissance trop rapide de son activité, une fiscalité mal appliquée, un investissement insuffisamment étudié, un montage juridique aux contours imprécis, … Quand l'on sait que nos PME représentent près de 95 % de notre tissu économique, 30 % de nos exportations et occupent 45 % des salariés du Royaume, l'expert-comptable, ou celui qui en fait office, se trouve chargé d'une mission des plus cruciales, qui en fait un acteur essentiel de la compétitivité et du développement pérenne de nos PME.

Les PME sont, sans conteste, l'avenir de l'économie du Maroc, car constituant le creuset de la richesse nationale. Leur développement, voire leur avenir, dépendra, dans une large mesure, de la valeur des conseillers sur lesquels elles pourront s'appuyer, et le premier d'entre eux est le professionnel comptable. En l'état actuel de la législation au Maroc, ce professionnel peut être un expert-comptable ou un comptable agréé (2), mais aussi le tenant d'un cabinet comptable qui peut ne pouvoir justifier ni de la formation ni de l'expérience requises pour assurer cette mission si vitale pour l'économie nationale.

Les pouvoirs publics ont, depuis quelques années déjà, pris conscience de la nécessité de mettre à niveau la profession comptable, qui se trouve le plus souvent en première ligne dans l'accueil des investisseurs, tant locaux qu'étrangers dont le Maroc a tant besoin, et auxquels il se doit d'offrir une prise en charge par des professionnels présentant toutes les garanties de compétence.
L'expert-comptable est avant tout un professionnel de la comptabilité
Le projet de loi n° 22-08, règlementant la profession de comptable agréé et instituant un ordre des comptables agréés (3), soumis actuellement au Parlement, semble viser cet ambitieux objectif, qui requiert, à notre humble avis, de mettre à contribution l'Ordre des experts-comptables non seulement pour son expertise dans le domaine, mais surtout parce que la tenue et la supervision des comptes est le cœur du métier d'expert-comptable ; la certification des comptes ne représentant guère plus de 20 à 30 % de l'activité des experts-comptables en exercice au Maroc, en raison de l'étroitesse et la saisonnalité qui caractérisent ce segment du marché; qui reste, par ailleurs, dominé par les grands cabinets affiliés
aux réseaux internationaux, si bien que nombre d'experts-comptables ne détiennent aucun mandat de certification, et n'assurent l'équilibre financier de leurs cabinets que par la tenue et la supervision des comptes et les missions connexes qu'elles induisent (conseil juridique, financier, fiscal, formation,…) (4).

Les experts-comptables partagent donc, avec les comptables agréés et les autres fiduciaires, l'exercice de la majeure partie d'une même profession. C'est pour tout cela que l'Ordre des experts comptables se trouve concerné par le projet de loi visant à règlementer la profession de comptable agréé, qui est, en fait, un projet de réglementation de la profession comptable dans sa globalité, dont les experts-comptables sont une composante essentielle.

Le Maroc d'aujourd'hui a-t-il besoin de continuer à recruter des comptables agréés ?
Quand l'on sait :
1°) que nombre d'experts-comptables sont actuellement en sous-activité, sinon en difficulté financière, et seraient tentés d'abandonner la profession pour accéder à une situation matérielle bien meilleure en tant que salarié ;
2°) que la réforme du diplôme national d'expert-comptable, dont l'entrée en vigueur est imminente, vise à multiplier par quatre le nombre d'experts-comptables à former, pour le porter de près de 20 à 80 par an ;
L'on comprend aisément l'appel de l'Ordre des experts-comptables à diligenter une étude préalable, qui permettrait non seulement de tracer la cartographie de la profession comptable, mais également de mieux cerner les besoins actuels et futurs de l'économie nationale en la matière ; afin d'arrêter une stratégie intégrée d'évolution de la profession comptable au Maroc, pour la hisser, dans son ensemble, au niveau des standards internationaux, pour que nos entreprises soient aussi bien conseillées et encadrées que leurs concurrentes dans un monde qui devient de plus en plus globalisé.

Pour toutes les raisons évoquées plus haut et compte tenu de l'augmentation en perspective des effectifs d'experts-comptables et de l'élévation du niveau général d'instruction dans le pays, l'on ne peut s'empêcher de se poser la question de savoir si la Maroc a vraiment besoin de continuer à recruter des comptables agréés, qui, soit dit au passant, devaient parer à l'insuffisance d'experts-comptables.
Rappelons à ce propos que la France, qui a beaucoup inspiré notre législation, a intégré, en 1942, les comptables agréés à l'Ordre des experts-comptables, a, dès 1968, arrêté le recrutement des comptables agréés, en les faisant évoluer vers le statut d'expert-comptable ; et a, dès 1994, supprimé toute référence au titre de comptable agréé. Si bien que l'accès à la profession comptable n'était plus possible, depuis 1968, que via le cursus d'expertise comptable.
Cela étant, et pour assurer à la profession comptable une évolution homogène, bâtie sur des règles et des valeurs communes, le Maroc ne devrait-il pas chercher à l'unifier et ce :

1°) en intégrant à l'Ordre des experts-comptables, comme ce fut le cas en France, tous les comptables agréés en exercice actuellement au Maroc en les faisant évoluer, à terme, vers le statut «d'expert-comptable» ;
2°) en arrêtant le recrutement de nouveaux comptables agréés pour normaliser l'accès à la profession comptable par le cursus qui y prépare le mieux, à savoir le diplôme national d'expert-comptable.
Dans le cas où cette unification de la profession ne saurait se faire à court terme, le Maroc n'aurait-il pas plus besoin d'une réglementation de la tenue et la supervision des comptes que d'une loi instituant un ordre des comptables agréés ?
C'est à toutes ces questions et à bien d'autres que l'étude que l'Ordre des experts comptables appelle de ses vœux devrait, à notre à notre humble avis, apporter des réponses.

Prendre le temps de la réflexion pour légiférer dans le consensus et la sérénité et non dans la célérité
Etant donné la controverse soulevée par le projet de loi en question et l'importance du domaine qu'il vise à règlementer, le Maroc ne devrait-il pas prendre le temps de la réflexion et chercher à légiférer dans le consensus et la sérénité, bien plus que dans la célérité ; en essayant de trouver le moyen,
via un moratoire et de la formation, pour n'exclure de la profession aucun professionnel comptable valable ou pouvant et voulant le devenir, parmi tous ceux que l'on a laissés, des années durant, exercer la profession en dehors de toute réglementation ?
Tout en veillant à ce que le diplôme national d'expert-comptable garde tout son sens, le modèle de réglementation choisi devrait, à notre humble avis, éviter de n'être que la traduction d'un partage du marché entre les différents acteurs de la profession. Aucun corporatisme, de quelque nature que se soit, ne saurait prévaloir, seul l'intérêt de nos entreprises devrait primer ; un intérêt qui commence par la préservation de leur droit à choisir le niveau de compétence du professionnel comptable sur lequel elles souhaiteraient s'appuyer, ce qu'interdirait à certaines d'entre elles le projet de loi 22-08 s'il venait à être adopté en l'état (5).
L'évolution de la position des différentes parties prenantes dans ce dossier nous fonde à croire que le contexte actuel est plus que jamais favorable pour aboutir à un consensus sur cette réglementation de la profession, qui devient, aujourd'hui, plus qu'une nécessité, et que le projet de loi 22-08 aura, au moins, eu le mérite de mettre en exergue ; une nécessité non seulement en raison des contraintes de l'accord d'association avec l'Union européenne, mais surtout pour doter le Maroc d'une profession comptable à même, avant tout, de servir la compétitivité de son économie.
L'expérience réussie de la France dans ce domaine ne devrait-elle pas nous inspirer quant à la voie à suivre ?(6)

Texte rédigé en juin 2010 et actualisé en septembre 2010.
(1) Dans la suite de l'article le vocable « expert-comptable » doit être entendu comme désignant ce dernier ou tout professionnel comptable qui en fait office.
(2) In www.apce.com.
(3) Titre créé pour palier à l'insuffisance d'experts comptables. Il s'agit de professionnels de la comptabilité agréés par le ministère des finances sur la base d'un Bac + 4 en gestion et d'une expérience de 5 ans en comptabilité (Décret n° 2-92-837 du 3 février 1993).
(4) L'activité des experts comptables étant régie par la loi 15-89 qui leur accorde le monopôle du commissariat aux comptes et de l'audit contractuel.
(5) La certification reste une activité mineure pour nombre d'experts comptables. D'après les estimations de l'Ordre des Experts comptables, le total des mandats ne dépasserait guère les 3.000, détenus essentiellement par les cabinets affiliés aux réseaux internationaux.
(6) Le dernier alinéa de l'article 1 du projet de loi stipule que « les entreprises dont le chiffre d'affaires annuel dépasse le seuil fixé par décret et ne disposant pas d'un comptable salarié, sont tenues de faire appel à un comptable agréé pour la tenue de leur comptabilité » (les experts comptables étant exclus).
A rappeler que pour achever l'unification de la profession comptable, même les Centres de gestion agréés viennent d'être autorisés, en France, à s'inscrire à l'Ordre des experts comptables.
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