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«Tramdina», encore et toujours !

Ce phénomène qui ne disparaitra pas de sitôt semble s'exacerber d'année en année. Et ses victimes deviennent de plus en plus nombreuses. La preuve par le vécu de l'une d'elle.

«Tramdina», encore et toujours !
Lundi, 19e jour du Ramadan, il est 16h. Comme la plupart des Casablancais actifs, Najat, une jeune maman, vient de quitter son bureau et la course contre la montre commence déjà. Il lui faut faire toutes les courses en une heure, préparation du ftour oblige. Top chrono.

Première destination, le supermarché pas loin du bureau. Son caddy à la main elle traverse les rayons aussi vite qu'elle peut et passe du côté de la boucherie, «oups» la file d'attente est énorme. Au bout de 20 mn arrive enfin son tour, à peine allait-elle lancer sa commande, qu'un autre client, arrivé une bonne dizaine de minute après elle, se met à crier le visage rouge de colère: «Ce n'est pas normal! J'attends depuis tout à l'heure et parce que c'est une femme vous la faites passer avant moi. Vous exagérez vraiment ! Il est où le civisme, l'égalité…. » Et vas-y pour une tirade interminable. Bouche bée, Najat tente vainement de calmer le monsieur et de lui expliquer qu'elle était là avant lui. De guerre lasse, elle se retourne pour partir, sans s'approvisionner bien sûr ! C'est là qu'une des employées du supermarché la prend par le bras et lui confie : « ne vous en faites pas, Mustapha habite dans le coin et depuis le début du ramadan, tous les jours il nous fait un scandale, le pauvre il est «mramdan » !».

Najat n'en revient pas, quitte le supermarché et tente de gagner le temps perdu. Elle monte dans sa voiture, démarre et tend 3DH à la gardienne de voiture. Surveillant la route pour sortir de son stationnement, elle est surprise par la dame à la blouse bleue qui lui balance ses pièces à la figure en hurlant « le tarif est de 7DH ». Najat évite l'altercation et préfère quitter les lieux. Mal lui en a pris. La gardienne ne l'entend pas de cette oreille, elle lui barre la route, criant à tue tête, gesticulant au point qu'une petite foule commençait à se former. Elle sort de son véhicule et tente bon gré mal gré de calmer la «furie» de la gardienne. Rien n'y fait, elle remonte en voiture en faisant un effort monstre pour se calmer.

Cette fois, c'est le concierge de l'immeuble en face qui s'approche d'elle et lui conseille de partir en vitesse , parce que la fameuse blouse bleue est « mramdana » et finit toutes ses journées au commissariat du coin. Sacrosainte «tramdina» ça semble devenir une épidémie ! Rebelote, Najat reprend son chemin et s'arrête à une mahlaba, ses enfants raffolent du «rayb », sa viande, elle l'achètera chez le boucher du quartier. « Salam alaykoum » de coutume lancé, Najat passe sa commande au monsieur derrière le comptoir.

Ce dernier ne répond pas et ne daigne même pas lever les yeux pour la regarder, il s'affairait à mettre en place sa marchandise. Au bout de quelques minutes elle n'a toujours pas de réponse. « Monsieur, s'il vous plait les 6 gobelets de rayb que j'ai commandés » et toujours rien. Quand il soulève enfin la tête, monsieur, les sourcils bien froncés, la fustige du regard et lui grogne « vous ne voyez pas que je suis occupé et de quel droit me donnez-vous des ordres, je ne travaille pas pour vous que je sache, pour qui vous vous prenez… », la jeune femme à bout de nerfs commence à tourner la tête à gauche et à droite pour vérifier s'il n'y avait pas de caméra qui la suivait, elle s'est vraiment crue devant un gag de caméra caché. Mais non, ce n'est pas ça, d'ailleurs un jeune homme en bouse blanche, interpellé par les cris de son collègue, sort de la cuisine, présente mille et une excuses à Najat, lui sortant la fameuse expression «ne lui en tenez pas rigueur, il est « maramdane » ! ».

Abasourdie Najat quitte les lieux, prend sa voiture et file à toute allure craignant d'être touchée à son tour par cette « tramdina » générale. Quand elle reprend ses esprits, il était presque 18H, elle prend son téléphone, appelle son mari, « S'il te plaît chéri, je pars récupérer les enfants à la maison et toi essaye de faire un saut à la pâtisserie prend un plateau salé-sucré et rejoins-nous chez maman, on prend le ftour chez elle ! ».

Avant qu'elle ne termine sa conversation, un policier l'arrête «Vos papiers, vous parliez au téléphone, vous devez payer une contravention !», «Mais monsieur je ne roulais pas, j'étais arrêtée au feu rouge et j'ai raccroché avant que le vert ne s'allume…» Le policier ne veut rien savoir, mieux encore il lui lance à la figure « vous n'avez pas honte vous mentez alors que vous jeûnez ! A quoi bon vous privez de nourriture dans ce cas? »... Visiblement, l'agent était tout aussi «mramadane» ! N'en pouvant plus, Najat éclate en sanglots puis fut prise d'un fou-rire quasi hystérique en entendant le «Allah Akbar» du al-Maghrib. La sacrosainte «tramdina» des uns et des autres lui a valu un ftour à un feu rouge du Grand Casablanca !
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Avis du spécialiste: Abdelkrim Belhaj • Psychosociologue universitaire.


«L'art et la manière de vivre subissent des variations non sans conséquence»

« Tout d'abord, avec Ramadan il y a ce changement fondamental qui se produit au niveau individuel et qui concerne le rythme physiologique. Sachant que ce rythme commande largement les comportements et activités des personnes dans la vie de tous les jours. Alors, une prédisposition psychologique s'installe chez certaines personnes dès les jours précédant le Ramadan et non seulement à ses débuts. Cette prédisposition argue chez elles la « tgarnina » dont elles font usage et qui parait être perçue comme forme compréhensible de vie sociale partagée par la communauté, voire qui accuse une stéréotypie dans les agissements et les comportements des jeûneurs. Pendant le Ramadan, le rythme homéostatique relatif à l'équilibre physiologique se trouve bousculé. Aussi, l'énergie habituelle pour le corps, les systèmes organique et cérébral essuient des modulations que certaines personnes paraissent moins enclins à gérer avec raison et qui se laissent objets de mouvements d'émotivité et de tension. Dans ce cadre, la soif et surtout la faim comme étant des motivations correspondant à des besoins fondamentaux sont pour beaucoup dans l'explication de ce type d'état psychologique mais sans pour autant le justifier. De même que le manque de sommeil auquel est relié un type de mauvaise humeur et d'animosité de certains, notamment par rapport à l'exercice d'une activité (travail, école..). Quant à la privation de consommation de café, de tabac…etc, qui entraînent un manque et un besoin de doses;ceux-ci se traduisent chez certain sujets par des états « d'explosions » qui deviennent comme la marque de tempérament associé à l'abstinence. Par ailleurs, avec les réaménagements et les réadaptations que le Ramadan impose dans l'organisation de la temporalité sociale, il faut dire que tout l'art et la manière de vivre subissent des variations non sans conséquences. Ainsi, ces variations trouvent leurs manifestations dans les comportements qui animent les rapports et les échanges interindividuels, notamment eu égard aux actions et faits quotidiens. Les individus deviennent impulsifs, impatients et plus disposé à l'excitation quant à leurs réactions aux situations qui ne leur procurent pas satisfaction. »
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