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«A mes amours tordues»

Émouvant, renversant, touchant : c'est en ces termes quelque peu dithyrambiques qu'on pourra qualifier la dernière œuvre de Mokhtar Chaoui. Après «Renfermez la nuit» et «Permettez-moi madame de vous répudier», l'auteur nous livre un troisième roman dont le titre en dit long : «A mes amours tordues».

«A mes amours tordues»
Dès les premières lignes, le lecteur est plongé dans un monde qu'il connaît où seuls les mots importent. Un voyage dans notre société, ses croyances et ses mœurs.
Et ce n'est ni l'histoire, ni les décors décrits avec finesse qui font de ce roman une aventure exceptionnelle. Mais c'est la façon dont le narrateur voit le monde et comment il en parle qui accroche tout de suite et qui tient ses promesses sur une succession misant sur la proximité. Le style est cru, péremptoire, violent et aucun répit n'est laissé au lecteur. Les mots, les phrases et les paragraphes s'enchaînent comme les jours. Pas moyen de reculer ni de modifier ou de rectifier telle une vie qu'on subit dont la fin ne prévient jamais.

Le narrateur se dit né sous le signe de l'inachèvement : «Ma vie est une succession d'années amputées, de mois mutilés, de jours estropiés, d'heures blessées, de minutes infirmes et de secondes claudicantes». Au fond, on est tous comme lui. Nos vies, sans qu'on ait le temps de s'en apercevoir finissent toujours par une note d'un non accomplissement. Le héros de ce livre, lui, a pris l'initiative de dire tout avant que la fin ne lui en empêche. Il se lâche, y va sans compromis.
Dans ce roman, il est question de la vie, mais aussi de la mort. Sa mort, il l'a voit d'un œil que lui-même qualifie de cynique. «Elle est comme l'eau : incolore ; comme l'air : inodore ; comme Dieu : invisible ; comme Lucifer : sournoise ; comme l'homme : lâche ; comme la femme : perfide». Toutefois, ne vous détrompez pas. «A mes amours tordues» n'est pas une simple histoire avec des évènements qui se succèdent et des personnes qui apparaissent et disparaissent. Il s'agit plutôt de sentiments et d'émotions que le narrateur éprouve tout au long de son existence.

D'ailleurs, le préface du premier chapitre, une citation signée Louis-Ferdinand Céline, annonce la couleur : «il n'y a de terrible en nous et sur la terre et dans le ciel peut-être que ce qui n'a pas encore été dit. On ne sera tranquille que lorsque tout aura été dit, une bonne fois pour toutes, alors enfin on fera silence et on n'aura plus peur de se taire.»

Et face à une société qui a du mal à assumer ses propres contradictions, le narrateur n'épargne personne. «Les gens originaires des villes réputées trop libertaires, voire libertines, connues plus pour leurs discothèques que pour leurs mosquées, étaient ceux qui étaient les plus fanatiques et les plus intransigeants de tous». Ainsi, tout le monde y passe. Même sa famille ou bien surtout sa famille. Il règle ses comptes avec La mère et avec Le père. Un exercice délicat pour cette personne qui a dû grandir dans une famille nombreuse où, dit-il, «on perd son égoïsme et on se fond dans la masse». Un exercice délicat surtout que notre héros règle ses comptes sans haine, mais avec une grande franchise. «Pour vous venger, vous pleurez toutes les larmes de votre corps, cela énerve votre époux. Vous vous plaignez inlassablement, il vous fuit.

Vous attaquez sa famille, surtout sa mère que vous appeliez au tout début, "Lalla", puis"ta mère", puis "l'autre", ensuite "la vieille" et enfin "la sorcière", il vous exècre. Vous le provoquez à longueur de journée, mais il fait la sourde oreille, il est absent, il mène sa vie comme si vous n'étiez pas là, comme si vous étiez un fantôme. C'est alors que vous commencez votre dernier combat : le faire haïr de ses enfants», dit-il à sa mère. Pourtant, il n'a ni refus ni négation de la famille dans ses propos.
Le narrateur lance une vive critique de la main mise de la famille sur nos vies, nos actes et nos décisions. Il n'aime pas du tout le poids trop lourd qu'elle exerce sur nous et qui nous empêche d'être libres, qui nous empêche de vivre. Le lecteur lui aussi se verra à un moment donné impliqué directement dans ce recueil de sentiments.

«A mes amours tordues» est plus qu'un simple roman, mais c'est aussi un livre interactif car le lecteur sera invité à contribuer à l'élaboration de cette œuvre qui comme la vie du narrateur est inachevée. Des pages vierges et numérotées sont laissées à sa disposition pour qu'il puisse sous le titre «lettre du lecteur à sa mère», «lettre du lecteur à son père» ou encore «lettre du lecteur à son dieu» exorciser ses démons intérieurs et mettre noir sur blanc tous les non-dits qui empoisonnent sa vie.

C'est en quelque sorte une thérapie sans psychiatre. A la fin, si le lecteur accepte de jouer le jeu, le livre devient son journal intime.
Malgré toutes les émotions enfouies du narrateur qui ressortent comme obus, « A mes amours tordues» est plein d'humour et de vie. Aussi paradoxal que cela puisse vous paraître, ce troisième roman de Mokhtar Chaoui est un hymne à l'espoir.

Bio-express

Mokhtar Chaoui est né à Tanger le 26 décembre 1964. Il est actuellement enseignant-chercheur à la faculté des lettres et des sciences humaines de Tétouan. Après un doctorat es lettres en France, il a soutenu au Maroc sa thèse d'État. Auteur de «Renfermez la nuit» et «Permettez-moi madame
de vous répudier», il signe un troisième roman qui aura du mal à passer inaperçu.
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