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Ma fille ne m'aime plus

Le couple mère/fille est très compliqué. Il est marqué tout le temps par des hauts et des bas. Vers l'âge de 13 ans, certaines ados commencent à repousser carrément leurs mamans. Ces dernières ne savent plus comment s'y prendre.

Ma fille ne m'aime plus
À l'adolescence, certaines filles se montrent plus discrètes que jamais, vis-à-vis leur maman en particulier, elles se réfugient dans un silence frustrant. Face à ce refus de communiquer, les «pauvres» mères sont souvent déconcertées et hésitent entre la confrontation et l'acceptation de cette mise à l'écart en attendant que cela change. «J'ai toujours été proche de mes enfants, mais depuis quelques semaines j'ai remarqué que ma fille aînée qui a 14 ans s'éloignait de moi de plus en plus.

Elle s'enferme dans sa chambre, sort avec ses copines, parle avec elles au téléphone, elle se comporte normalement avec son père et avec tout le monde, sauf avec moi», confie Ghizlane. «Cela me rend très triste. Je ne comprends pas la cause de ce changement et je ne sais plus comment agir pour regagner sa confiance», poursuit-elle. En effet, les rapports mère/fille sont extrêmement complexes. Complices ou en guerre, mères et filles forment un couple particulier dont les sentiments vont de l'amour à la haine. Couper le cordon avec sa maman et passer le cap de l'adolescence se veut un combat quotidien des jeunes filles contre leurs génitrices. En général, à l'adolescence, le conflit entre la maman et sa fille est souvent la règle. Il permet à la jeune adolescente de quitter sa position d'enfant et de prendre sa place. Une étape difficile à franchir pour certaines. Ce qui fait que parfois la mère devient la meilleure ennemie de sa fille, sans doute parce qu'elle en est le portrait craché...

Il faut que les mamans sachent que le chemin pour conquérir son identité féminine reste plus ardu que celui de l'identité masculine. La mère est source de vie toute puissante, elle est le premier objet d'amour absolu, fusionnel. Le petit garçon sait qu'il est différent de sa mère et peut lui échapper. En revanche, la fille se perçoit dans une ressemblance physique et se sent très vite comme une reproduction, une copie ou même la miniature de sa maman. Elle va se débattre longtemps avec ces sentiments.
Dans ce lien à la mère, encore une fois, une fille n'est pas un garçon. Pour devenir une femme bien dans sa peau, et ne pas rester la fille de sa mère, celle-ci va mettre en place différentes stratégies, dont le fameux complexe d'Œdipe, cette fameuse tentative de séduction du père. Une démarche qui illustre le désir de différenciation d'avec la mère, souvent lourde de conséquences. Cela peut fausser leurs rapports pendant des années.

Aussi, à trop s'impliquer dans la vie de sa progéniture, les mamans en oublient de mettre des limites à leur rôle de confidente. Ce dernier se mélange d'ailleurs avec leur premier rôle de mère. Elles se permettent de juger toutes les fréquentations, épient tous leurs mouvements, interviennent dans leurs problèmes à l'école… Un véritable cauchemar pour les grandes fillettes! «Ma mère se mêle de tout ce qui me concerne, elle ne me laisse pas respirer. Cela m'agace beaucoup, elle doit comprendre que j'ai grandi et que j'ai aussi une vie privée», lance Dounia, une ado de 15 ans. «Je ne peux pas tout lui raconter, je ne peux pas parler avec elle de tous les sujets, c'est pourquoi j'ai choisi de m'éloigner d'elle», ajoute-t-elle. Bien qu'elle ait pris quelques dizaines de centimètres de plus et que ses formes commencent à se dessiner, toute maman considère que sa fille a encore besoin d'être protégée. Aussi cherche-t-elle à l'aider contre les coups durs de la vie (rupture, échec scolaire), mais aussi ses menaces (se laisser entraîner dans une voie sans issue). Sauf qu'à la puberté, on n'a pas forcément envie de prendre de leçons mais plutôt de les apprendre par soi-même.
Pour éviter tout problème, il faut surveiller sa fille de loin et essayer de mettre certaines barrières pour qu'elle se sente un peu plus indépendante et ne cherche pas à vous fuir. Mais il ne faut surtout pas être totalement indifférente, une maman doit savoir communiquer et être à l'écoute de sa fille lorsqu'elle en a besoin.

Dans d'autres cas, ce sont les mamans qui souffrent du syndrome de la jeunesse éternelle. Laisser leur fille devenir adulte, représente un véritable danger: celui de se voir vieillir. Elles ont du mal à voir les années passer, elles préfèrent alors rester d'éternelles copines et se comportent comme tel. Histoire de s'offrir une cure de jeunesse, elles se mettent dans la peau de leur fille, dans les bons comme dans les mauvais moments.
Attention ! la maman qui ne s'assume pas finira par projeter sa propre personnalité, au risque de détruire celle de l'autre. Devenir soi dans cette relation-là exige à la fois qu'on s'accommode de cette donnée tout en prenant ses distances...

La relation fusionnelle

Certaines mères ont tellement peur que leur fille vive en dehors d'elles qu'elles la contrôlent dès la petite enfance. Confidentes de tous ses chagrins et de tous ses bonheurs, elles lui confient aussi leurs insatisfactions et leurs attentes. Par la suite, il est bien difficile, pour la fille, de distinguer sa propre émotion de celle de sa mère, puisque les deux femmes ont toujours eu une relation fusionnelle.
Rien de ce qui est intime pour l'une n'est étranger à l'autre. Inversement, lorsque la fille souffre, la mère est toujours là pour la consoler.
Ce lien, qui pourrait paraître idéal, rejette en fait les autres hors d'une sphère d'intimité inégalable. Ainsi le partenaire amoureux n'occupe alors qu'une place secondaire auprès de la fille. Il peut même être obligé de séduire la mère pour gagner la fille, comme si la mère et la fille ne faisaient qu'une, ou parce que le regard de l'une oriente celui de l'autre.
Certaines mères ne renoncent jamais à garder une place dominante auprès de leur fille. Elles conseillent, jugent, critiquent, sans comprendre qu'elles doivent lâcher prise. Parfois, elles entretiennent chez leur fille un sentiment de faiblesse, pour que celle-ci continue à s'appuyer sur elles, ce qui crée plusieurs problèmes pour la petite.
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Explication : Pr Ghizlane Benjelloun • Pédopsychiatre

«Il ne s'agit pas d'être la copine de sa fille»

Parlez-nous un peu de la relation mère-fille (surtout à l'adolescence).

La relation mère-fille ne répond pas à un prototype bien défini, elle dépend de beaucoup de paramètres : le vécu personnel de la mère, l'identification de la fille à sa mère, les conflits présents ou leur absence, la phase de développement de la fille (conformisme ou opposition). Il arrive qu'on retrouve une complicité étroite à cet âge ou, au contraire, un rejet et une opposition systématique entre les deux. L'identification est également dans les deux sens, la mère voit parfois en sa fille ce qu'elle aurait voulu devenir et peut en éprouver de la fierté mêlée à de la jalousie ou voir en sa fille l'exemple type de ce qu'elle exerce et la rejeter ou essayer de la «réparer».

Est-il normal qu'une fille «déteste» sa mère à cet âge ?

L'adolescence est une phase de transition pendant laquelle la règle est de casser les schémas établis pendant l'enfance et l'image idéalisée des parents pour pouvoir accéder à une identité propre suffisamment autonome des idéaux parentaux. Mais ce n'est pas toujours le cas... il arrive que certaines adolescentes aient du mal à critiquer ou à se révolter, soit du fait que la mère est si «idéalisée» qu'il est difficile de la critiquer objectivement, soit du fait d'une immaturité ou d'un manque de confiance en soi de l'adolescente. Ce processus de révolte est en fait salvateur !

Comment doit réagir une maman lorsque sa fille adolescente la repousse et s'éloigne d'elle ?

Elle doit rester stable ! Ne pas rejeter, faire du chantage affectif («c'est comme ça que tu me rends mes bons et loyaux services !») et ne pas culpabiliser. Il faut pouvoir tolérer ce mouvement en le cadrant : ne pas permettre les insultes et les gros mots ni les débordements de comportement.

Lorsqu'une maman sait que sa fille est amoureuse, que doit-elle faire ?

Elle peut partager avec elle ses propres expériences d'adolescente et la conseiller si celle-ci le demande, mais en veillant à garder la bonne distance. Il ne s'agit pas d'être la copine de sa fille, sinon elle aura du mal à gérer quand il faudra punir.

Quel inconvénient peut avoir une relation fusionnelle entre la mère et la fille ?

C'est délétère pour l'autonomisation de l'adolescente, le processus de séparation est long. Il débute dans l'enfance et se rejoue à l'adolescence. Il est souvent difficile et ambivalent, l'ado est prise entre les deux mouvements (rester enfant et la fille de sa mère) et grandir (se séparer et accepter le danger).
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