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Vers un nouveau droit constitutionnel international?

Trois jours durant, du 2 au 5 février, le Réseau africain du droit constitutionnel a tenu sa conférence annuelle à la Bibliothèque nationale de Rabat pour traiter du thème : «L'internationalisation du droit constitutionnel : quels impacts sur les transitions en Afrique ?». Le point.

Vers un nouveau droit constitutionnel international?
Nadia Bernoussi, vice-présidente de l'AIDC
Le Réseau africain du droit constitutionnel est une association de juges, d'avocats, d'universitaires, d'ONG de recherche universitaire et d'associations d'avocats ayant un intérêt dans le droit constitutionnel et du constitutionnalisme en Afrique. Trois jours durant, du 2 au 5 février, ce réseau a tenu sa conférence annuelle à la Bibliothèque nationale de Rabat pour traiter du thème : «L'internationalisation du droit constitutionnel : quels impacts sur les transitions en Afrique ?». L'objectif de cette conférence était d'analyser les différentes manières dont la communauté internationale et le droit international influencent le droit constitutionnel en Afrique, et les conséquences de ce phénomène par rapport aux dynamiques de démocratisation en cours, mais aussi par rapport aux dynamiques de déstructuration, de chaos que connaissent certaines régions.

L'actualité s'est en effet invitée au cours des débats avec les événements de Tunisie, d'Egypte et de la Côte d'Ivoire, qui sont devenus des «laboratoires des changements constitutionnels» où il s'agit, aujourd'hui, de défaire et de refaire les Constitutions pour tenir compte de la capacité de révolte des sociétés politiques. Mais qu'est-ce que la Constitution? «Au commencement du droit est la Constitution» qui est un fondement du système politique et juridique, qui pose les règles du jeu politique. Cet «acte vivant» ouvert à la création continue des droits et de libertés prend en compte les dynamiques politiques et sociales à l'œuvre dans l'Etat.

Aujourd'hui, le phénomène de mondialisation est en train de changer les choses, les acteurs politiques ayant pris la mesure des nécessaires réformes des institutions au point où l'on parle d'un nouveau droit constitutionnel, qui fait passer, comme le disait Maurice Duverger qui a travaillé sur le texte de la Constitution marocaine, «de l'âge métaphysique à l'âge positif». Comprendre les exigences de l'Etat post moderne, c'est sur cet objectif que travaillent les juristes. Cela nécessite la prise en compte de l'éclosion des multiples identités à la fois linguistiques et culturelles, l'un des enjeux, comme le soulignent les constitutionnalistes modernes, étant «de rendre compte du substrat humain de l'Etat, c'est-à-dire de la densité sociologique que prend le principe représentatif». C'est le maître de conférence Stéphane Pinon qui, dans un de ses articles, décrivait le mieux ce nouveau droit constitutionnel en Europe qui doit tenir compte de la diversité ethnique, linguistique ou religieuse.

Cela engendrera, dit-il, une démultiplication des pôles de représentativité. Toute l'architecture des pouvoirs risque de changer devant cette nouvelle combinatoire des puissances sociales. On le voit, une grammaire des institutions démocratiques modernes est plus que jamais à inventer. C'est ce qu'ont essayé de cerner et d'inventer les membres du RADC venus de toutes les régions d'Afrique mais aussi des Etats- Unis, de France, d'Australie, de Suède et d'Egypte, à Rabat, en déclinant trois sous-thématiques d'une grande actualité: «Le contrôle international des élections, impact sur les transitions africaines», «Les Parlements africains en contexte de transition» et «Influences internationales sur les Constitutions et le droit institutionnel en Afrique», un continent où l'Etat a été greffé sur des sociétés composites.
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Entretien avec Nadia BERNOUSSI, vice-présidente de l'AIDC, membre du bureau exécutif du Réseau africain de droit constitutionnel

LE MATIN: Le thème de cette rencontre est l'internationalisation du droit constitutionnel. Y a-t-il une véritable internationalisation du droit à la faveur de la mondialisation et aussi de l'émergence de l'Etat de droit ?
NADIA BERNOUSSI :
La rencontre a pour thème un sujet d'une actualité brûlante, à savoir «l'internationalisation du droit constitutionnel dans les Etats en transition.» Concernant le premier volet, c'est-à-dire l'internationalisation du droit constitutionnel, il y a eu toute une bonne littérature sur cette question et les différents auteurs ont pu mettre l'accent sur la réception par les Constitutions nationales des concepts, procédures, techniques et droits propres au droit international et universellement reconnus. Cependant, il serait juste de rappeler que cette internationalisation ne s'est pas faite du jour au lendemain. Il est vrai qu'il est loin le temps où, par mimétisme des traditions juridiques françaises, le droit international n'était pas considéré comme une source de droit interne, prenant place dans la hiérarchie des normes.

Bien plus, l'absence de sanction exécutoire le reléguait au titre de droit «mou». Entre-temps, les choses ont évolué et les Constitutions ont pu «rapatrier» les grands textes internationaux protecteurs des droit de l'homme, inscrire sur leurs tables que « les traités dûment ratifiés ont une autorité supérieure à la loi » et les juridictions ordinaires osé effectuer ce qu'on appelle le contrôle de conventionalité des lois. Avec l'application directe en Europe du droit communautaire, l'Etat va complètement changer de dimension en créant un ordre juridique supranational, dont les juridictions spécifiques seront chargées d'assurer le respect. D'autre part, si certains, depuis les années quatre-vingt, ont pu parler, à juste titre, de l'hégémonie du droit constitutionnel et de sa propension à envahir les autres disciplines par le truchement de la jurisprudence constitutionnelle, on peut tout aussi bien avancer l'idée que le droit constitutionnel est infiltré également par les coups de butoir du droit international qui, de manière plus ou moins manifeste, impacte, gère et régule les espaces juridiques et politiques internes. On peut citer, à titre d'exemple, la mention dans les Constitutions des pactes, de la Déclaration universelle des droits de l'homme, de la Charte africaine des droits de l'homme, ainsi que toute l'harmonisation des législations internes après ratification des instruments internationaux protecteurs des droits de l'homme. (Rappelons à cet égard l'impact au niveau national des ratifications des traités de Rome, de Kyoto, de la question au Maroc de la levée des réserves par rapport à la CEDAW, etc.)

Sur les Etats en transition, à quelles conclusions avez-vous abouti ?

Concernant le deuxième volet du thème à savoir « les Etats en transition », les ateliers sont arrivés à la conclusion suivante, selon laquelle les Etats africains vivent tous quasiment sous des configurations présidentielles ou semi-présidentielles. Les pouvoirs des présidents y sont en effet prépondérants. Faut-il s'en émouvoir ? Si l'on prend en considération les canons classiques de la « transitologie », à savoir nouvelle constitution, justice transitionnelle, élections fondatrices et régime parlementaire, force est de constater que les Etats africains ne remplissent pas tous ces paramètres. Doit-on pour autant les disqualifier au regard des standards internationalement reconnus ? Les débats ont eu tendance à rappeler qu'il ne saurait y avoir de déterminisme « historique » sur cette question ni de catégorisation absolue, chaque Etat ayant sa propre logique, son propre rythme, sa propre temporalité. La part d'inédit ne saurait être en contradiction avec la trajectoire démocratique. D'ailleurs un exécutif fort n'est pas en contradiction avec l'idée de démocratie.
Dans le même sens, ceux qui se penchent actuellement sur la transition en Tunisie réfléchissent à un régime semi-présidentiel car, selon le président de la commission de la réforme politique de ce pays, le futur chef de l'Etat ne devrait pas se contenter d'inaugurer les chrysanthèmes.

La tenue d'élections régulières et transparentes fait partie, indique la note de cadrage, du constitutionnalisme et de la bonne gouvernance. Vous avez consacré un atelier au contrôle international des élections, un sujet à discussion, qu'en avez-vous tiré ?

Le contrôle international des élections se trouve en effet à la lisière des deux disciplines, il est à l'intersection entre le droit international et le droit interne, entre les standards internationaux en matière de démocratie et le principe de la souveraineté nationale.
Les Etats sont tentés ou acculés à accepter du bout des lèvres le contrôle international, tout en veillant à ce que leur souveraineté ne soit pas entachée. Accepter un contrôle extérieur du déroulement de son processus électoral n'est pas une démarche simple.
Cette attitude constitue un marqueur de démocratie et un signe d'ouverture, un brevet de légitimation des élections et un gage de leur crédibilité.
Par contre, le refuser, c'est prêter le flanc aux critiques, c'est d'office placer les élections sous le signe de la suspicion. En fait, les débats ont souligné que si l'observation internationale des élections intervient généralement dans les pays en guerre ou habitués à des fraudes (Irak, Afghanistan, pour ne citer qu'eux), le déroulement des élections dans les régimes de démocratie bien établis n'est pas exempt de critiques. A cet égard, lors des dernières élections régionales en Italie, quelques voix italiennes en ont appelé aux observateurs de l'ONU (proposition provocatrice) pour un sursaut et un retour de l'éthique en politique, et pour un vote honnête et régulier au niveau des élections régionales.

Le contrôle des élections peut être un marqueur de la démocratie, mais ce contrôle n'est pas toujours synonyme de neutralité. Qu'en est-il dans la rive sud de la Méditerranée et quelles réflexions en tirez-vous ?

Dans la rive sud de la Méditerranée, les Etats ont évolué par rapport à la question du contrôle international des élections. Ouverts ou fermés, ou fermés pendant longtemps puis ouverts, ou fermés hermétiquement.
Le Bahreïn refuse bec et ongles la surveillance étrangère qu'elle soit arabe ou internationale. La Jordanie et le Maroc n'ont adhéré au contrôle international qu'en 2007. Depuis cette date charnière pour les deux Etats, ces derniers ont ouvert leurs portes aux superviseurs nationaux et internationaux, ce qui peut être considéré comme un indice d'assurance/confiance en soi démocratique. Il convient de rappeler que le complexe de souveraineté est encore prégnant. Si la Jordanie opte pour le contrôle international, elle préfère évoquer l'« observation» et non le contrôle ou la surveillance. Ce que je retiens des communications, c'est que ces dernières ont montré avec intérêt le rôle des superviseurs et analysé le contrôle international, notamment en Côte d'Ivoire, au Congo et au Maroc. Après avoir souligné le rôle important joué par le contrôle international et par le contrôle interne opéré par le collectif d'ONG au Maroc lors des élections de 2007, les débats se sont focalisés sur la certification en Côte d'Ivoire, qui a mandaté un haut représentant de l'ONU pour les élections, lequel devait apporter son concours à la commission électorale indépendante et au Conseil constitutionnel.
Les intervenants ont fait également la distinction, en matière de contrôle international des élections, entre la simple observation (envoi d'observateurs qui surveillent le déroulement des opérations électorales, campagne, vote, dépouillement, sans intervenir dans le processus), de la supervision qui consiste en une participation à ce processus.
Dans certains cas, le contrôle international peut aller jusqu'à véritablement organiser les élections, de la rédaction des lois électorales au dépouillement, en passant par la tenue des bureaux de vote.

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